Quel avenir pour la protection de l’enfance?

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Alors que de tous côtés, la faillite menace, les bonnes résolutions restent lettre morte et les mauvais choix constituent une véritable menace.

En octobre 2022, Nexem (1) évaluait à 50 000 le nombre de postes à pourvoir sur les 850 000 existants dans le secteur de l’action sociale. L’emploi de salariés non qualifiés ou intérimaires y prend de plus en plus d’importance. Et encore, quand les remplacements peuvent être assurés et que certains établissements ne sont pas contraints de fermer, faute de personnel ! Cette réalité impacte tous les secteurs de l’action sociale. Celui de la protection de l’enfance n’y échappe pas.

 

L’effet ciseau

Mais alors que la pénurie de professionnels prend une ampleur inconnue jusqu’alors, l’État a commencé à s’engager dans une réforme des plus pertinente : redimensionner les taux minimaux d’encadrement permettant de couvrir un accueil de qualité 365 jours par an, 24h sur 24. Entre 2020 et 2022, l’ANMECS, le GEPSo et la CNAPE (2) ont participé aux travaux ministériels destinés à rédiger un décret allant dans ce sens. Pour ce qui concerne le seul personnel éducatif (les autres catégories étant elles aussi concernées), ce qui était projeté, c’était 8 équivalents temps plein (ETP) pour 6 enfants de moins de 6 ans (contre une moyenne de 5,4 ETP actuellement) (3) et 8 équivalents temps plein pour 10 enfants de plus de 6 ans (contre une moyenne de 6,1 ETP actuellement) (3). Il ne s’agissait pas là d’une initiative révolutionnaire, mais d’une mise aux normes des plus élémentaire répondant aux besoins de ce public particulièrement vulnérable. L'impact financier fut alors estimé à 1,5 milliard d’euros par an, soit 0.4% du budget 2023 de l’Etat. A ce jour, le décret finalisé en avril 2022 est resté à l’état de projet (4). On peut imaginer qu’à l’heure où c’est par dizaines de milliards d’euros que notre gouvernement va réduire drastiquement ses dépenses, ce n’est pas demain la veille qu’il sera être publié ! C’est vrai que la priorité des priorités reste quand même de préserver les 97,1 milliards d’euros de bénéfices des entreprises du CAC 40 accaparés par les actionnaires. De gros nuages s’amoncèlent donc dans le ciel de la protection de l’enfance.

 

Un futur aléatoire

Une étude menée par le centre d’analyse Futuribles (5) en collaboration avec cinq associations (6) projette quatre scénarios pour les dix ans avenir.

Le premier intitulé « Rien ne bouge » est le plus pessimiste. « L’État continue « d’investir » le champ de la protection de l’enfance – en instaurant de nouvelles priorités et obligations – sans consacrer de moyens financiers pour les mettre en œuvre. Le contexte global s’aggrave : hausse du nombre de personnes en difficulté (inflation, précarité, crise énergétique et climatique…), complexification de leurs problématiques et de raréfaction des ressources financières. Les départements, responsables de la Protection de l’enfance, déclinent donc les orientations nationales de manière hétérogène et fluctuante, en fonction des ressources dont ils disposent et de leurs priorités propres. Les disparités territoriales s’accentuent et se creusent. Ce contexte aggrave l’épuisement et la démobilisation des professionnels. Dans ce scénario, l’ensemble des acteurs, y compris les opérateurs, se replient sur eux-mêmes dans une posture défensive. » (5)

 

Du pire au meilleur

Avec le second scénario, le ciel s’éclaircit nettement : « collégialité des institutions et personnalisation de la prise en charge ». « Protection de l’enfance devient une politique publique pilotée de manière collégiale par plusieurs décideurs et opérateurs : État (Santé, Éducation nationale, Solidarités, Justice, CNAF…), Conseils départementaux (ASE, PMI, MDPH…), associations et fondations gestionnaires, sans oublier les personnes concernées (enfants et parents). Elle est mise en œuvre par une instance nationale disposant de fonds dédiés à ses missions de pilotage (de la recherche à l’évaluation des pratiques et de leurs effets), et repose sur une répartition équitable et équilibrée des compétences entre l’ensemble des acteurs. ». (5)

Le troisième scénario table sur « le choix de la prévention ». « Une nouvelle répartition des compétences entre l’État et les Départements est envisagée avec la segmentation nette des missions de protection de l’enfance (le judiciaire revenant à l’État, et les Départements conservant uniquement les missions de prévention et de protection administrative). Priorité donnée à la prévention et au soutien à la parentalité, désinstitutionalisation des prises en charge » (5)

Dernier scénario imaginé : la « sanitarisation de l’enfance en danger » « Dans ce scénario, la Protection de l’enfance s’organise de plus en plus comme le secteur sanitaire avec une tendance à établir un diagnostic pour les publics pris en charge, comme on le fait pour une pathologie. Reste à appliquer un protocole thérapeutique qui vise la « guérison » dans un délai plus ou moins bref, mais toujours déterminé. La performance se mesure alors au résultat obtenu. » (5)

Voilà ce qui pourrait nous attendre. Peut-on imaginer des scénarios encore meilleurs ou encore pires. Rien d’impossible, tant notre société a démontré sa capacité à cultiver tant l’iniquité que la justice sociale. Tout dépendra la mobilisation des forces sociales en présence.

 

Jacques Trémintin

 

(1) Principale organisation professionnelle représentant les employeurs du secteur social, médico-social et sanitaire privé à but non lucratif.)

(2) Association Nationale des Maisons d’Enfants à Caractère Social / Groupe National des Etablissement Publics Sociaux et médico-sociaux/ Convention Nationale des Associations de Protection de l’Enfant

(3)  Enquêtes nationales réalisées entre 2019 et 2023 par le cabinet JEUDEVI, sous la direction du sociologue Christophe Moreau

(4) https://www.cnape.fr/documents/15-milliard-pour-repondre-aux-besoins-fondamentaux-des-enfants-et-des-adolescents-accueillis-en-protection-de-lenfance/

(5) « La protection de l’enfance à l’horizon 2030-2035 » Prospective-SYNTHESE_Web.pdf (futuribles.com)

(6) Apprentis d’Auteuil, Croix-Rouge Française, La Vie au Grand, Air SOS Villages d’enfants, Uniopss