L’ADN de l’action collective

Membre régulièrement du jury du diplôme d’État d’assistant de service social, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de corriger les écrits et de recevoir à l’oral les candidat(e)s à l’épreuve de l’intervention sociale collective. Encore intitulée ISIC il y a peu, la dénomination a changé, mais le fond est le même : décrire une action s’appuyant sur la dynamique d’un groupe d’usagers. 

Biberonné au Casework et ayant pratiqué toute ma carrière une intervention sociale individuelle, je ne me suis vraiment rapproché de l’intervention sociale collective qu’à travers ces sorties éducatives réalisées avec des groupes d’enfants sur une après-midi, voire une journée, rarement un week-end prolongé de mai et exceptionnellement toute une semaine. Mais ce registre relevait bien plus du « vivre ensemble » des éducateurs spécialisés : partager un vécu commun qui rapproche les aidants des aidés, confrontés les uns les autres aux mêmes difficultés, éprouvant les mêmes émotions, vivant les mêmes épreuves. Je suis donc très mal placé pour me faire « donneur de leçons » !

Coïncidence des plus cocasse, j’ai été sollicité il y a de cela quelques années pour assurer une formation continue sur l’ISIC auprès d’assistantes sociales du travail. Je structurai alors mon intervention de quatre demi-journées autour du pouvoir d’agir des usagers. Comment permettre aux personnes accompagnées de (re)prendre un peu de leur pouvoir, en s’emparant de la démarche d’action sociale, pour se l’approprier ? Tel est l’enjeu de cette démarche qu’il est d’ailleurs tout à fait possible de retrouver aussi dans l’intervention individuelle, dès lors où l’on est dans une démarche de co-construction.

Co-construction, le mot est lâché. Mais, rien de tel dans les travaux des étudiant(e)s qui ne faisaient après tout que refléter les pratiques de terrain. Pas de reproche à leur faire, juste un étonnement, en constatant cette action collective qui semblait pratiquée sur le terrain.

Une séance d’éducation à la vie affective et sexuelle dispensée auprès de collégien(ne)s ? A aucun moment les adolescent(e)s ne furent associé(e)s pour identifier ce qu’ils attendaient d’une telle intervention.

La création d’une bibliothèque dans un CHRS ? Aucun résident ne fut partie prenante dans l’élaboration du projet.

Un atelier cuisine dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile ? La démarche fut conçue en dehors de toute participation des personnes concernées.

C’est toujours et encore des professionnels qui pensèrent ce qui était bien pour leurs usagers. Et cela fonctionna, jusqu’au moment où des usagers s’autorisèrent à s’emparer de la démarche. A l’image de cet atelier cuisine destiné initialement à faire découvrir les légumes occidentaux (le chou-fleur, l’artichaud et poireau) et qui se transforma, sur la suggestion des demandeurs d’asile, en une présentation culinaire multiculturelle !

Mon copain Didier Dubasque décrit très bien l’échelle permettant de mesurer le degré de participation des usagers à un projet.( Les différents niveaux de la participation des personnes, des habitants dans une action collective | Didier Dubasque )

Il y a, d’abord, l’information apportée par des experts, la communication se faisant d’une manière unilatérale.

Puis, vient la consultation qui consiste à sonder les avis et à en tenir compte … ou pas.

Le niveau suivant de la participation correspond à cette concertation fondée sur une relation de confiance et d’écoute mutuelle se concrétisant dans la co-construction du projet

Enfin, summum de la participation, cette codécision marquée non seulement par une élaboration commune du projet, mais aussi un choix collectif de ses modalités d’application.

Information, consultation, co-construction ou codécision ? A chacun(e) de positionner l’action envisagée à l’aune de cette échelle. Les deux premiers niveaux ne me semblent toutefois guère convaincants pour ce qui est de la participation des usagers. C’est pourtant ceux que l’on retrouve le plus souvent dans les travaux des étudiant(e)s et du terrain qui est ainsi décrit.

Pour celles et ceux qui trouvent que je la ramène un peu trop, moi qui n’ai jamais pratiqué cette intervention sociale collective, une ultime contribution : je dis ça, je dis rien !