J’ai mal à ma crèche, Ce que vous devez savoir sur l’accueil des bébés en France

MARTY PICHON July, Éd. Eyrolles, 2024, 184 p.

Après le scandale de ces EHPAD qui s’empiffrent sur l’or gris du grand âge, s’oriente-t-on vers une nouvelle abjection : un secteur privé se goinfrant sur l’or blond de la petite enfance ? C’est ce que laisse entendre le livre de July Marty Pichon.

L’auteure nous propose d’abord une description de l’existant. Crèche, mini-crèche, halte-garderie, pouponnière, sans oublier bien sûr les assistantes maternelles qui constituent la première modalité d’accueil n’auront plus de secret pour le lecteur. Aussi diversifiés que soient ces dispositifs, il manque dans notre pays 200 000 places pour la petite enfance. Quel mode d’accueil pour son bébé à la fin du congé de maternité ? Telle est la question qui se pose dès le projet de grossesse.  

S’occuper des tout petits ? Les clichés ont la vie dure, explique-t-elle d’emblée. « Il suffit de jouer avec eux et de savoir changer leur couche : tout le monde peut le faire. Il n’est pas nécessaire d’être formé pour cela » Non, travailler avec la petite enfance, c’est effectivement jouer, mais c’est aussi déployer tout un savoir-faire et un savoir être : observer, s’adapter, s’ajuster, créer du lien, s’attacher, communiquer, patienter, réagir ...

C’est pourquoi la France a fait le choix (elle la seule à le faire) d’exiger une qualification professionnelle pour intervenir auprès de la petite enfance. Que ce soit le diplôme d’infirmière puéricultrice, d’auxiliaire de puériculture, d’accompagnant éducatif petite enfance (anciennement CAP éponyme), éducatrice de jeunes enfants … chaque professionnel dispose d’une qualification. Seules les assistantes maternelles y échappent. Mais elles doivent être agréées avant d’exercer. La formation se centre sur le respect des besoins de l’enfant, l’organisation des espaces, l’accompagnement des parents, le retour sur les pratiques… Autant de registres qui n’ont pas toujours existé.

Jusqu’aux années 1970 les principes hygiéniques et de mise à distance des parents sont la norme. Dans la décennie suivante, se diffusent d’autres approches qui vont humaniser les habitudes. L’hospitalisme étudiée par Spitz, la figure d’attachement mis en avant par Winnicott, l’opération pouponnière lancée sur impulsion de Danielle Rapoport et Jeanine Levy … vont marquer durablement le secteur… Durablement ? Voire

La vague néo-libérale qui envahit la société depuis une quarantaine d’années touche aussi la petite enfance. La première offensive est intervenue en 2002. Jusqu’à cette date, le financement que la CNAF accordait aux établissements un financement forfaitaire à la place. Après cette date, c’est la facture à l’acte qui s’impose, comme à l’hôpital. Une heure de consommée = une heure subventionnée.

Le résultat ne se fait pas attendre. C’est très vite l’argument comptable qui s’impose. Les directrices ont le nez collé sur leur tableau Excel, avec pour objectif principal d’optimiser et de rentabiliser l’accueil. Il faut remplir à tout prix. Cela tombe bien : le dépassement du taux maximum d’occupation est autorisé jusqu’à 115 % de son effectif légal.

Seconde offensive : l’ouverture à la concurrence du secteur lucratif. La conférence de la famille, qui se tient en 2003, officialise l’OPA du privé sur le public. Toute délégation de service public se fait sur appel d’offre, tout prestataire qu’il soit à but lucratif ou non pouvant candidater. Et c’est le mieux-disant financier qui a le plus de chance de l’emporte.

Comme il faut bien faire fructifier l’investissement, l’heure est aux économies. Rationnement du nombre de couches et de repas, réduction du budget éducatif, suppression des interventions éducatives extérieures ; non remplacement des arrêt-maladie, les professionnels ne voulant pas emboliser leurs collègues venant au travail malgré tout au risque de contaminer les petits ; tâches administratives envahissantes au détriment de la pédagogie… Un parallèle avec ORPEA n’e serait pas fortuit.

Les professionnels s’épuisent et vont voir ailleurs. Au 1er avril 2022 (et ce ne fut pas un poisson) 8 908 postes étaient vacants, ce qui représentait entre 6,8 et 8,6 % de l’effectif total du secteur. Gageons que depuis deux ans cela ne s’est pas arrangé. D’autant que le métier ne fait plus rêver. Les centres de formation ne font plus le plein. La relève risque de manquer.

Le 11 avril 2023, l’IGAS rend le rapport qui lui a été demandé : « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches ». Sa conclusion est sans appel. Il y a une relation de causes à effet direct entre des pratiques managériales qui engendrent des maltraitances institutionnelles et des négligences individuelles.

La période entre 3 et 6 ans est celle qui est la plus dense pour le développement humain. Pourtant, cela fait des décennies qu’elle ne constitue pas un chantier prioritaire pour les gouvernements successifs. Ce malgré combien de mobilisations, de rapports, d’alertes. Il est vrai que les bébés ne vont pas déposer leurs couches souillées devant les préfectures. La petite enfance ne peut être laissée entre les mains de la concurrence et du marché, à la merci des dividendes.

Un vrai service public de la petite enfance, beaucoup en rêvent. Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres. A l’image de l’Education nationale, un accueil y serait gratuit. Des conditions de travail dignes. Des familles redevenant des usagers et plus des clients. Mais pour que la logique gestionnaire ne prenne plus le dessus sur les besoins des bébés, il faudrait en finir avec toute ambition de rentabilisation. Il faudrait en outre exclure toute entreprise privée à but lucratif. L’auteur déploie un programme alléchant. On en est loin !