Au quotidien, à l’écoute de l’enfant psychotique

Que se passe-t-il derrière les murs d’un Hôpital de jour ? Cette question trouve une réponse grâce à l’établissement Michel Ange de Saint Nazaire qui a ouvert ses portes à Lien Social.

Comme tous les mardis, Kevin arrive en ambulance, juste avant 9h30. Agé de 9 ans, il a été diagnostiqué avec des troubles envahissants du développement, dénomination désignant le spectre de l’autisme. Ce matin, il est particulièrement angoissé. Il se rend dans son groupe d’accueil où il retrouve cinq autres enfants. Il s’assied à la grande table et ouvre son cahier de dessin. Décidément, il n’est pas en forme : « je ne sais pas quoi dessiner. » Un des adultes présents engage le dialogue avec lui, feuilletant les pages précédentes amplement illustrées, pour valoriser sa créativité et l’encourager à produire ce qu’il a envie. Tout doucement, l’enfant se détend. « Ce moment calme fonctionne comme un sas qui permet de passer de l’extérieur à l’intérieur » explique Christine Delannoy, infirmière. L’équipe est particulièrement attentive à garantir une arrivée en douceur favorisant la rencontre et la communication : se dire bonjour, échanger, permettre l’expression de son état émotionnel, avant même d’entrer dans les activités. Cet espace sera d’ailleurs un lieu où chaque enfant pourra se retrouver tout au long de la journée s’il ressent le besoin de se ressourcer, de se recentrer et de se canaliser, un professionnel étant toujours disponible pour le recevoir. Il est 10h00, l’heure du temps libre. Kevin rejoint les douze autres enfants présents ce jour-là. Il passe de pièce en pièce, à la recherche de ses copains. Il les retrouve bientôt à l’extérieur. Un jeu de cour d’école s’improvise. De 10h30 à 11h45, Kevin intègre un premier atelier. Cette année, l’une des deux activités choisies par l’équipe, en fonction de sa problématique, est basée sur l’expression : les six participants sont invités par les adultes présents à raconter ce qu’ils ont dans leur tête, puis à le mettre en scène à travers un jeu de rôle. Kevin vit une nouvelle montée de l’angoisse qui ne l’a pas véritablement quitté depuis son arrivée. Refusant de jouer, il va progressivement se détendre et accepter de laisser aller son imaginaire.

 

L’Hôpital de jour Michel Ange

L’établissement a été construit en 1989, à partir des besoins des enfants : une grande pièce centrale sert d’espace de vie et d’accueil, permettant d’accéder à sept salles d’activités. Ce service reçoit, sur prescription médicale, des enfants âgés de 6 à 12 ans souffrant de troubles psychotiques, relais entre l’hôpital de jour Bellefontaine destiné aux 3- 6 ans et le Centre d'accueil thérapeutique à temps partiel dédié aux adolescents de 12 à 17 ans. Pendant longtemps, une quinzaine d’enfants y étaient accueillis à la semaine. La loi de 2005 organisant la scolarisation des élèves en situation de handicap a changé la donne. Ils sont aujourd’hui une cinquantaine à se succéder, à raison d’une à deux journées par semaine, alternant avec une ULIS, une école primaire, un ITEP ou IME. L’hôpital de jour est un lieu de soins et non une alternative à l’école. A Michel Ange, la psychanalyse fut au tout début la seule référence théorique admise. Cette époque est révolue. « Aujourd’hui, tous les courants de pensée se brassent, du fait de la multiplicité des formations des personnels et des références diversifiées des médecins psychiatres qui se succèdent. Nous sommes plus dans une logique de psychothérapie intégrative », affirme Lilian Millon, infirmier. De fait, l’équipe a pu pratiquer les techniques de l’enveloppement ou de la pataugeoire - aujourd’hui respectivement interdites et critiquées par la Haute autorité en santé - tout en invitant aux synthèses les psychologues libéraux pratiquant la méthode ABA. Ici, la guerre des psys entre partisans de Freud et des TCC n’a pas lieu. « Ce n’est pas l’enfant qui doit s’adapter à des approches pré existantes, mais à nous de concevoir des outils qui correspondent au mieux à ses besoins », poursuit Émilie Orrière, éducatrice spécialisée.

 

La journée de Kevin continue …

Mais, revenons à Kevin. Il est 12h30, c’est l’heure du repas. Carole, la cuisinière, a préparé un vrai repas. Pas de ces barquettes venant de la cuisine centrale et que l’on réchauffe. Non, il y a de vrais produits, parfois cultivés dans le jardin, transformés sur place, occasion de créer des liens avec les enfants. Le moment du repas constitue un autre temps fort de la journée. D’abord, parce que l’ensemble du groupe est réuni. Ensuite, parce que le cadre posé se heurte à des habitudes familiales marquées parfois par une certaine renonciation, certains parents baissant les bras face aux crises de leur enfant. Enfin, parce que les conventions sociales qui y sont travaillées se confrontent encore plus que dans le reste de la journée aux problématiques individuelles. Se tenir à table, employer des formules de politesse adaptées, utiliser des couverts plutôt que de manger avec les doigts, ne pas passer aux toilettes après chaque bouchée avalée, appliquer la tâche dont on est responsable (débarrasser la table ou la nettoyer …) : la socialisation à l’œuvre est importante, même si elle n’est pas toujours facile à tenir. Entre 14h15 et 15h30, Kevin va être pris en charge par la psychomotricienne : coordination motrice, dépassement de l’inhibition, repérage dans l’espace, coordination des gestes, identification du schéma corporel, repérage dans l’espace … les exercices sont multiples. En complément de l’atelier projectif du matin, c’est sur prescription médicale là aussi que le registre corporel a été choisi pour lui. Kevin reprendra son taxi, à 15h45, pour retourner dans sa famille.

 

Une équipe réactive

Ces enfants qui fréquentent l’hôpital de jour ont surtout besoin de stabilité, de continuité et de sécurité. C’est très progressivement qu’ils vont être confrontés à la nécessaire adaptation à la vie en société. Ce que fait cet « atelier conte » qui modifie le récit au bout de la troisième ou quatrième séance, travaillant sur la déstabilisation provoquée par la rupture de la routine. Chaque instant de la journée est source d’observation de la part des professionnels qui sont vigilants à identifier la moindre évolution, afin d’ajuster en conséquence le protocole de soins et concevoir l’atelier qu’ils vont faire vivre de septembre à fin juillet. Une évolution notable est à remarquer ces dernières années : « Notre regard a changé sur les parents qui constituent pour nous une ressource », affirme Mélanie Février, éducatrice spécialisée. Longtemps recluses dans le bâtiment des entretiens qui leur était dédié, les familles sont invitées régulièrement aux expositions préparées par leur enfant et à venir se rendre compte du travail accompli avec eux. Mais, les professionnels assurent aussi des visites à domicile, pour découvrir le lieu de vie des enfants et aider les parents à gérer le quotidien. Outre les ateliers en interne, des sorties à l’extérieur sont programmées : fréquentation de l’école d’art plastique, intervention d’une artiste, activité piscine. Seul écueil à l’offre de soins de cet hôpital de jour, une liste d’attente pour les nouvelles admissions,  du fait de la durée de séjour moyen de trois ans.

 

 

Une équipe pluridisciplinaire
L’équipe est constituée de quatre infirmier(e)s et de trois éducatrices spécialisées (5,75 ETP), d’une secrétaire, d’une ASH et d’une cuisinière. Un médecin psychiatre, une cadre, une psychologue, une psychomotricienne, un orthophoniste et un enseignant spécialisé assurent chacun un mi-temps.

 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1251 ■ 14/05/2019