Le Bel espoir : le retour

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S’il est bien un nom mythique dans le travail social, c’est celui du « Bel espoir ». Pionnière, en un temps où emmener naviguer des personnes en difficulté pouvait paraître incongru, cette association est aussi le symbole de la créativité atemporelle du travail social

C’est une corvette, construite en 1944 au Danemark, que rachète en 1968 le Père Jaouen, co-fondateur de l’Aumônerie de la jeunesse délinquante (appelée aussi « Amis de Jeudi Dimanche » !). C’est sur ce fier trois-mâts que l’association a organisé, pendant près de cinquante ans, des croisières mêlant toutes sortes de publics. S’y côtoyèrent des milliers de jeunes en difficulté, décrocheurs scolaires, toxicomanes ou sortants de prison, mais aussi la famille d’un dentiste, un pharmacien en retraite ou des titulaires des plus hauts diplômes universitaires. Toutes et tous étaient à la recherche de l’authenticité de l’école de la vie qu’offrent la mer et la navigation. Le bateau fit l’objet d’une première rénovation au mitan des années 1990, grâce aux dons qui affluèrent, suite aux appels relayés par l’émission Thalassa. En 2017, le Bel Espoir se couchait sur le flanc, suite à un violent orage, un an après la disparition de son mentor. Mais, ce ne fut pas pour autant la fin de l’aventure. Début 2019, une nouvelle coque de trente-sept mètres toute en métal sortait des chantiers Piriou de Concarneau. Elle fut livrée à L’Aber Wrach dans le nord-Finistère, où commencèrent les travaux d’aménagement du nouveau voilier. Le « Bel Espoir 2 » a tiré ses premiers bords le 13 juillet 2021. A l’orée 2022, il prendra la suite de son prédécesseur pour de nouvelles croisières. C’est cette aventure que raconte un livre illustré de dizaines de photos que viennent ponctuer les témoignages des acteurs de cette belle histoire. L’occasion, de saluer cette renaissance.

En tout bien, tout honneur, c’est à Jean-Bernard Chass que l’on doit le début du récit, lui qui fut capitaine du Bel espoir entre 1969 et 1971 : « Un car arrivait de Paris. C’était des petits délinquants. On savait les prendre, ça marchait très bien. Je leur disais que mon but, ce n’était pas de m’occuper d’eux, c’était pas de les punir, c’était pas de les faire dégueuler, c’était d’avoir un trois mats et d’aller le plus loin possible. Mes voiles étaient pourries, le moteur de 120 CV démarrait pas, les batteries étaient capricieuses. On était toujours en train de bidouiller là-dedans. Mais ça se passait bien. » On est loin des normes AFNOR ! Mais, ce n’est pas ces difficultés matérielles et techniques qu’a retenu Nicole Marinacci qui a séjourné à bord en 1974 : « avant d’aller sur le Bel espoir, ce qu’il fallait faire, c’est trois mois de désintoxication. Fallait que les gens soient en bonne santé ; j’ai signé et je suis rentrée en hôpital psychiatrique pour trois mois. Tous les toxicos qu’on était, on ne se connaissait pas. On est descendu à Dakar, le cap vert, la traversée de l’atlantique, toutes les îles. On nous demandait ce qu’on voulait faire. Moi, c’était le bateau. J’ai été la dernière à débarquer et Michel (Jaouen NDLR) m’a dit : ’’ça y est je t’ai trouvé un truc’’. Le patron m’a prise à l’essai. Nettoyer les bateaux, les désarmer, passer les vernis, les préparer pour la saison. A la fin de l’été, il était tellement content de moi qu’il m’a gardée ». Quarante-cinq ans ont passé. La magie de la mer fascine encore, à écouter Marion qui explique en 2020 que « le bateau, ça reprend un peu les rêves d’enfant. Un truc un peu fantastique. Le champ des possibles de l’aventure est immense. Ton but, c’est de faire à manger, faire avancer le bateau, ne pas mourir. Tu redescends un peu. Et puis le danger c’est hyper important pour moi dans la vie. Parfois il faut risquer un peu ». Bien sûr, l’adhésion au projet n’implique pas de se faire tatouer la silhouette du bel espoir sur toute la surface du dos, comme l’a fait Jean-Xavier Baumier ! En 2010, il décrivait son idole sans langue de bois : « c’est un bateau pourri, ça fuit de partout. C’est que des emmerdes. C’est dur de trouver des compliments, mais il a une âme. C’est plus qu’un bateau, c’est un univers qui au-delà du maritime t’apprend plein de choses. Tu vas un peu au fond des choses, tu recherches du sens à ce que tu fais. »

Depuis 2017, l’accueil des stagiaires ne se fait plus sur le Bel espoir, mais sur le chantier de sa rénovation. S’y côtoient des formateurs, des bénévoles, des jeunes en grande difficulté. Jean Laigret, qui a perdu une jambe dans un accident, a décidé de rejoindre l’AJD pour leur proposer ses compétences d’ébéniste, comme bénévole. Ça lui évite de penser au reste : « L’autre jour, je disais à un des formateurs : ’’c’est pas des cas sociaux qu’on a là’.’ Et oui, il me dit que si, il y en a des cas. Mais, moi je ne les vois pas. Parce qu’ils sont fondus avec les autres. Et c’est pas révélé. C’est bien. » Et, c’est notamment le cas Brian, incarcéré pendant sept mois. Combien l’attente de l’accord du juge d’application des peines lui a semblé durer une éternité : « quand je suis arrivé, ça m’a fait drôle … Tu passes d’une vie avec une seule personne dans ta cellule à une sociabilité de ouf ! Et puis en prison, les codes sont clairces. Ici, c’est plus compliqué. C’est rigolo et c’est épuisant. Je dois rester six mois, mais je vais demander à rallonger. » Mais qui pourrait faire la différence avec Mélanie, venue là, après la mort d’un ami, victime d’un accident de ski ? Avec Clémentine qui a pris conscience de s’être trompée de voie … après avoir obtenu son Master en sociologie ? Avec Pâris qui abandonne sa fac de chimie et arrive sur le chantier de l’AJD avec son sac-à-dos et sa casquette ? Bien malin serait celui qui réussirait à les distinguer dans les plus de soixante-dix photos qui les mettent en scène en pleine action (et qui ne sont pas légendées).

Les trois principes qui semblent émerger de cette aventure ? D’abord l’humain, ensuite l’humain, enfin l’humain. A preuve, le témoignage d’Adam Jackson, formateur en charpente et menuiserie : « les stagiaires, je veux leur montrer qu’ils peuvent faire et mieux que ce qu’ils pensaient au départ. Il faut les pousser ? Parfois, il faut s’y reprendre à trois fois, quatre fois pour faire une pièce. Quand ça marche pas, je leur dis qu’on va refaire, c’est tout, c’est pas grave. Une fois, un gars qui était avec moi est parti. Il n’allait vraiment pas bien et c’était un peu un challenge. J’ai eu un sentiment d’échec. On doit être assez proche de chaque stagiaire pour sentir quand ça commence à aller mal et lui en parler. » Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’idéaliser une démarche qui ne peut être exempte de toute critique. Quelle action n’en génère pas ? Ce qui comptait dans ce livre, c’est bien de donner la parole à celles et ceux qui la font vivre. Avec pour terminer les belles paroles de Tristan qui fut stagiaire en 2019 : « Bosser sur le nouveau bel espoir, ça me transcende. Tu reçois et tu donnes. Nous, on en ressort changés. C’est un tremplin. Tout me paraît possible depuis que je suis ici. Je ne savais pas poser une lisse et j’ai fini le gabarit. Y a plus de barrière pour moi, il n’y a que l’horizon. » Tristan est-il un jeune délinquant ou pas ? Quelle importance ? Ce qui compte pour lui, « c’est qu’en fait, tu participes à un mouvement et en même temps, c’est le début d’une aventure personnelle. »

 

« Bel espoir », Nedja Berder (photographies) et Virginie des Rocquigny (textes), Éd. Le Chasse-Marée, 2021, (29,90 €)

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1304 ■ 02/11/2021