De la radicalisation au terrorisme : Quelles attitudes adopter face à la radicalisation ?
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Les réactions face aux manifestations d’obscurantisme ne peuvent être à chaque fois identiques. Les sociologues Laurent Bonelli et Fabien Carrié ont réalisé une étude minutieuse sur 166 dossiers judiciaires et mené de multiples entretiens sur le terrain (1). Ce travail leur a permis d’élaborer une typologie pouvant s’avérer inspirante sur les différents profils de jeunes radicalisés. Première catégorie identifiée, la « radicalité apaisante » qui concerne surtout des femmes en quête de repères symboliques stables et étayant ainsi que d’une routine et d’une prévisibilité rassurantes face un monde vécu comme instable et menaçant. Puis, vient la « radicalité rebelle » qui cherche avant tout à ébranler l’autorité des adultes en adoptant des attitudes intransigeantes, des propos outranciers, exhibant une dangerosité potentielle. La « radicalité agonistique », quant à elle, concerne des jeunes délinquants déjà confrontés aux institutions judiciaires et éducatives qui retrouvent dans l’intégrisme des valeurs familières fondées sur la force, le conflit violent et la brutalité des relations. Ultime profil, celui de la « radicalité utopique » qui renvoie à l’idéal d’une communauté mythifiée, censée répondre aux souffrances vécues, aux échecs subis et à l’absence de perspective. A l’évidence, on n’argumente et on ne réagit pas de la même manière face à un ado qui tient des propos radicaux par pure provocation ; face à une personne utilisant l’intégrisme comme bouclier pour se protéger d’un monde vécu comme insécurisant ; face à un djihadisme relais de comportements violents et transgressifs préexistants ; face à une attente utopique aussi meurtrière soit-elle. Une fois identifiée la motivation première (qui peut se cumuler), la question qui se pose est bien de savoir comment repérer le basculement vers un passage à l’acte.
Choix cornélien
Car, si tous les actes terroristes ont potentiellement commencé par l’émergence d’une forme de fanatisme, l'inverse n'est pas vrai. Pratiquer le salafisme implique-t-il automatiquement de préparer un attentat ? Les professionnels de l’animation peuvent s’appuyer sur les guides ministériels largement diffusés pour identifier les signes faibles ou forts de radicalisation. Mais, que faire une fois détectées ces manifestations inquiétantes ? On peut transmettre ses craintes aux services en charge de la prévention de la radicalisation. La personne signalée bénéficiera alors d’une intervention judiciaire et/ou d’un accompagnement socio-éducatif lui permettant d’éviter le basculement. Contrairement à ce que l’on croit, elle peut accueillir avec soulagement l’aide proposée, une autorité suppléant alors son libre arbitre fragilisé par l’emprise fanatique. Mais, cette action peut tout autant s’avérer contre-productive, plaçant le professionnel dans une posture de délation qui le délégitimera auprès de son public. A l’inverse, sa décision de temporiser fondée sur la conviction de pouvoir réussir par ses propres moyens à détourner la personne radicalisée d’un passage à l’acte, peut s’avérer non seulement efficace mais judicieuse, préservant et renforçant une confiance qui aurait sinon été ruinée par un signalement. Mais, cette piste reste valable tant que la personne soupçonnée ne commet pas l’attentat redoutée. La prudence adoptée aurait alors des conséquences dramatiques. Entre la décision de dénoncer et celle d’y surseoir, le choix retenu peut s’avérer risqué dans un sens comme dans l’autre. Evaluer les risques et les avantages de chaque option implique un minimum de réflexion. Mieux vaut éviter une décision prise sur un mode impulsif. Pour autant, si l’Éducation populaire a toujours privilégié l’éducatif, le dialogue et la concertation, elle n’a jamais hésité à faire appel à la puissance publique, en cas de vrai danger.
(1) « La fabrique de la radicalité », Laurent Bonelli et Fabien Carrié, Ed. Seuil, 2018, (309 p. – 20 €)
Faux positif
« En cours de sport, nous étions trois ou quatre filles à refuser de nous mettre en maillot de bain par peur du regard moqueur des garçons (…) On m’envoya dans le bureau d’une assistante sociale qui me demanda si c’était mon père ou mes frères qui m’interdisaient de montrer mon corps. Par crainte que mon père soit convoqué, manque un jour de travail et doive s’en expliquer au patron de l’usine, (bien que fille unique), j’ai accusé mes frères. »
Kaoutar Harchi (Libération du 29/10/20)
Jacques Trémintin – Journal de L’Animation ■ n°223 ■ Novembre 2021
A suivre le 31 août rencontre avec Puaud Davis - La radicalisation