L’interculturalité: une voie pour l’intégration

Le débat est farouche pour savoir comment articuler les différentes communautés présentes dans l’hexagone. Lien Social propose trois approches au banc d’essai.
La République française ne reconnaît que des citoyens égaux en droits et en obligations renvoyant les spécificités coutumières, religieuses, linguistiques ... à la vie privée. Le monde anglo-saxon, quant à lui, fonctionne sur le principe du multiculturalisme. Ces deux modèles relèvent de conceptions opposées : respectivement l’universalisme et le communautarisme qui semblent irréconciliables. L’occasion, peut-être de se tourner vers un autre paradigme reprenant les avantages des uns et des autres, tout en évitant leurs effets pervers : l’inter culturalisme.
 

De l’assimilation ...

Le concept d’« assimilation » s’inspire des convictions universalistes des philosophes des Lumières et de la Révolution française de 1789 qui se proposaient de transcender tous les particularismes et de s’adresser de façon égale à chaque citoyen. La perversion de cet idéal, que constitua l’épisode colonial imposant par la conquête et l’oppression l’identité française à des peuples ne demandant qu’à vivre leur propre existence sans se faire envahir, n’y a rien changé. Pas plus, d’ailleurs que la montée des revendications régionalistes et le panachage d’une population française brassée par l’immigration. La République ne reconnaît que les individus, comme le stipule sa constitution affirmant dès son article 1 : « La France est une République indivisible » qui « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Avant de pouvoir prétendre acquérir la nationalité française par naturalisation, tout étranger doit démontrer son adhésion au patrimoine commun, aux valeurs de la République et à la culture nationale, quand il ne doit pas démontrer qu’il connaît les paroles de la Marseillaise, par coeur! Il s'agit bien de renoncer aux normes culturelles d’origine et à l’identité communautaire de chacun pour ne faire apparaître qu’une seule personnalité partagée par toutes et tous : la citoyenneté.
 

… au multiculturalisme

Pour le multiculturalisme, chaque citoyen se définit à travers ses racines et ses références culturelles. Il n’y a pas d’identité unique mais une adition d’appartenances multiples : on est de telle religion et on l’affiche, de telle communauté et on se regroupe dans des quartiers où l’on retrouve entre pairs. Mais, on revendique tout autant l’appartenance à une même nation qui réunit ses différentes composantes et l’on soutient avec autant de passion qu’ailleurs ses sportifs aux jeux olympiques. On est là dans une logique politique fédéraliste qui laisse à chaque entité géographique ou ethnique une grande autonomie pour décider des lois, des modalités du vivre ensemble, des politiques culturelles les concernant. Les unes et les autres s’articulent sans qu’il soit forcément nécessaire de les hiérarchiser, puisqu’elles cohabitent sans se faire concurrence. Notre République une et indivisible fait plutôt figure d’exception face à une logique fédérale largement dominante. Le multiculturalisme est dénoncé dans l’hexagone parce qu’on l’accuse de subordonner les citoyens aux normes propres à leur communauté au lieu de les réunir autour de règles de vie communes à tous les membres de la collectivité nationale. Mais, là où il s’applique, il fonctionne sans dommage particulier.
 

L’alternative : l’intégration interculturelle

Si l’assimilation prône l’abandon de l’héritage d’origine et l’identification à la culture d’accueil, le multiculturalisme, quant à lui, revendique la mitoyenneté de communautés jalouses de leur spécificité. Réduire l’autre à soi en niant sa spécificité, au nom d’une universalité homogénéisante, est-il plus pertinent que de l’enfermer dans une distinction irrévocable fondée sur des identités inconciliables ? Il existe une troisième voie médiane : l’intégration interculturelle. Elle revendique l’articulation entre l’adhésion du nouvel arrivant aux valeurs de la société d’accueil et les efforts de celle-ci pour tenir compte tant de ses attaches antérieures que de ses particularités. C’est ce que précise Le Haut comité à l’intégration, dans son rapport de 1993 « L'intégration à la française » : «  L'intégration consiste à susciter la participation active à la société tout entière de l'ensemble des femmes et des hommes appelés à vivre durablement sur notre sol, en acceptant sans arrière pensée que subsistent des spécificités notamment culturelles, mais en mettant l'accent sur les ressemblances et les convergences dans l'égalité des droits et des devoirs, afin d'assurer la cohésion de notre tissu social. » Aucun usage culturel ne vient alors primer sur les autres : ni l’antériorité (coutumes en vigueur depuis bien plus longtemps), ni la priorité (tradition majoritaire).
 

Partir de soi …

Il est donc possible de trouver un point d’équilibre entre le relativisme culturel et le communautarisme, entre la similitude et la différence et entre l’égalité et la diversité. C’est ce que propose la méthode élaborée par Margalit Cohen Emérique (1). Que nous dit-elle ? D’abord, que la rencontre entre des personnes d’enracinement culturel différent peut potentiellement être l’objet de tensions et de conflits, car chacun évalue l’autre en privilégiant son propre système de valeurs. Les préjugés, les stéréotypes et les amalgames que tous les peuples développent à l’égard des ethnies voisines, sont le résultat de cette tendance spontanée à limiter l’altérité à une représentation simplificatrice, réductrice et figée. Ensuite, pour que l’ouverture à autrui puisse se déployer, trois préalables apparaissent nécessaires : considérer l’autre comme un partenaire et non comme un irréductible barbare ; analyser les divergences avec lui comme autant de conflits de valeurs et non comme des conduites asociales ; être convaincu de la possibilité d’un rapprochement et non d’un choc de civilisations. Enfin, que pour aller vers l’autre, il faut privilégier certaines postures. Commencer par se décentrer : toutes nos conceptions sur la place du corps, la répartition des rôles sexués, les structures et implications familiales, les modalités d’éducation des enfants etc… ne sont ni naturelles, ni universelles. Elles sont le produit d’une époque, d’une éducation reçue, d’une appartenance culturelle, d’une formation suivie, d’une morale inculquée, d’une éthique acquise. S’il n’est pas question de les renier, il est essentiel de les identifier et de les repérer comme un ensemble de déterminants qui relèvent, avant tout, d’une construction personnelle et sociale élaborée dans un contexte historique, politique et économique donné.
 

… pour aller vers l’autre

Continuer en reconnaissant les références d’autrui. Pour autant, entrer dans le mode de fonctionnement de celui qui a des origines culturelles différentes, ce n’est ni l’enfermer dans ce qu’on croit être ses références, ni faire abstraction de ses repères culturels, ni ignorer ses efforts d’ajustement. Car, son appartenance à une culture donnée ne l’empêche nullement d’adapter les normes qui en sont issues. S’il faut toujours tenir compte la culture d’origine de chacun, il faut aussi être attentif à la manière dont il accommode les règles prescrites, dans le contact avec une autre société. Enfin, finaliser par la médiation culturelle qui consiste à créer des lieux de rencontre, de dialogue et de négociation entre des cultures différentes. En reconnaissant que l’on a à faire à des conflits de valeurs et non à des positionnements aberrants de la part d’une personne à qui l’on doit reconnaître les mêmes capacités de raisonnement rationnel que soi. En se plaçant dans une démarche d’échange permanent et d’écoute sans jugement pour essayer de comprendre l’autre, en le considérant comme un partenaire sans lequel aucun accord ne pourra survenir. En percevant les oppositions inévitables, non comme des antagonismes, mais comme des manières de choisir des priorités différentes à partir de valeurs partagées universellement. Articuler les différences au lieu de les gommer ou de les superposer : telle est la voie proposée par l’inter culturalité alternative fertile tant à la volonté d’assimilation qu’au choix du multiculturalisme.


(1) «Pour une approche interculturelle en travail social. Théories et pratiques » Margalit Cohen-Emerique éd. Presses de l’Ehesp, 2011 475 p.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1218 ■ 30/11/2017