Quand un sénateur réhabilite l’éducation

Le rapport rendu au premier ministre par le sénateur Jean-Pierre Michel sur l’état de la Protection judiciaire de la jeunesse et les préconisations en vue de son redressement apparaît comme une divine surprise. Il rend justice à cette primauté de l’éducation qui n’aurait jamais du disparaître sous les fourches caudines des chantres de la répression. Courageusement, l’élu dresse un tableau sans concession des dérives répressives qui ont dominé la scène politique pendant dix ans. Il décrit la régression vécue par une PJJ plus préoccupée de répondre aux exigences d’économie budgétaire et de rationalisation exigées d’elle que de l’intérêt éducatif des mineurs délinquants. Enfin, il avance des propositions d’une pertinence et d’un réalisme qui méritent d’être salués. Mais rien n’aurait pu se dire, sans les témoignages des professionnels de la justice recueillis pour la rédaction de ce rapport, au premier rang desquels des dizaines de fonctionnaires de la PJJ, qui ont pu enfin exprimer ce que leur obligation de réserve les contraignait jusque là de taire. On ne peut que rendre hommage à ces intervenants qui ont assisté, impuissants, à la déstructuration et au démembrement de leur outil de travail et qui ont pu enfin libérer leur parole.
 

Genèse d’une catastrophe annoncée

La détérioration de la situation de la PJJ est d’abord à relier aux orientations purement comptables du rapport de la Cour des comptes de juillet 2002 dont cette administration s’inspira pour élaborer sa feuille de route. Étonnant paradoxe qui voit confier à une juridiction de contrôle financier le soin de décider d’une politique éducative ! On déplore volontiers le manque de réactivité habituelle face aux avis de cette institution. Là, on peut dire que la direction de la PJJ fit preuve d’un empressement et d’un zèle qu’on ne lui connaissait guère jusqu’alors… Mais on peut aussi rechercher des responsabilités du côté de la RGPP (réforme générale des politiques publiques) appliquée à la PJJ, selon les propres mots de Jean-Pierre Michel avec un « acharnement aveugle ». Mais, le délitement vécu est surtout le produit d’une idéologie visant à aligner progressivement la justice des mineurs sur la justice des adultes. Les coups de boutoir infligés successivement ont suivi les mêmes lignes de faille : considérer que la meilleure manière de lutter contre la délinquance des plus jeunes passerait par des sanctions pénales dissuasives telles les peines planchers ; prétendre combattre leur déresponsabilisation en créant un tribunal pénal pour mineurs ; dénoncer toute prise en compte de la spécificité des passages à l’acte à l’adolescence comme relevant de la culture de l’excuse. Le souci initial de rééquilibrer la répression et la dimension éducative s’est transformé en stigmatisation d’une nouvelle population dangereuse : le jeune délinquant. Ce n’est plus « la France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains » du préambule de l’ordonnance du 2 février 1945, mais c’est la chasse au sauvageon d’un Jean-Pierre Chevènement ou la racaille à nettoyer au Karscher d’un Nicolas Sarkozy. Pour autant, et Jean-Pierre Michel le note avec justesse, tout n’a pas commencé avec l’arrivée aux affaire du ministre de l’intérieur devenu Président. Même si la haine avec laquelle il a tenté de mettre en pièce la justice des mineurs, a marqué la période passée, la dérive sécuritaire avait débuté bien avant.

Une évolution non inéluctable

Quand, en 1984, sous un gouvernement de gauche, le rapport Martaguet demande de rééquilibrer la réaction sociale et la place des victimes avec l’action éducative, lui répond en écho, en 1986, sous un gouvernement de droite, l’audit commandité par le ministre de la justice d’alors Albin Chalandon, qui accuse la justice des mineurs de s’occuper bien plus des enfants en danger que des délinquants. Le pli était pris. La législation ne va plus cesser de s’aggraver. Évolution inéluctable, à en croire une opinion publique droguée à la répression et une classe politique de gauche comme de droite prisonnière par le discours sécuritaire ? Eh bien non : Jean-Pierre Michel énumère les normes juridiques internationales de référence qui se sont accumulées, dans les trente dernières années, en matière de justice des mineurs. Il évoque la référence ultime à l’intérêt supérieur des enfants (CIDE), les règles de séparation de la justice des mineurs de celle des adultes (règles de Beijing de1985) ou encore la nécessité de tenir compte de l’âge, de la minorité et des capacités sur le plan intellectuel et émotionnel (CEDH 2010). Pourtant, ce n’est pas cette voie qui a été suivie. Le délitement organisé de la PJJ a commencé en haut de l’échelle : les Directions régionales sont passées de quinze à neuf et les Directions départementales ont diminué de moitié : de cent à cinquante quatre. Mais, très vite, c’est à la base que l’effet le plus destructeur s’est fait le plus sentir, le nombre de places d’internat s’effondrant : 784 en 2013, contre 3190 en 1977. La prise en charge au civil de l’enfance en danger a été brutalement abandonnée, le recentrage se réalisant sur la seule délinquance. Tous les moyens financiers furent concentrés sur les établissements de contention, voire d’enfermement : 56 Centre éducatifs renforcés (510 € de prix de journée), 45 centres éducatifs fermés (607 €) et 6 établissements pour mineurs (536 €). La protection jeune majeur permettant de poursuivre l’accompagnement au-delà de la majorité fut abandonnée, la PJJ refusant de financer de telles mesures, même si elles étaient décidées par un juge des enfants.

Des propositions lucides et courageuses

Jean-Pierre Michel ne se contente pas d’un état des lieux sans concession. Il formule toute une série de pistes particulièrement fertiles. La première orientation qu’il suggère consiste à réaffirmer la spécificité de la justice des mineurs et à redonner aux juges de enfants un rôle pivot garantissant la continuité et la cohérence de l’action judiciaires envers les mineurs. Cela commence, bien sûr par supprimer les procédures de jugement accélérées ou automatiques (comme les peines planchers) et les tribunaux correctionnels pour mineurs. Mais cela continue par la spécialisation des magistrats au-delà des seuls juges de enfants : seraient concernés le parquet, les chambres d’instruction des Cours d’appel et certains juges d’instruction. Deuxième piste avancée : étendre à nouveau les missions de la PJJ à la protection de l’enfance, en mettant un terme à son orientation exclusivement centrée sur la seule délinquance. Troisième axe : diversifier les pratiques éducatives, en sortant du tout enfermement qui se limite de plus en plus jusqu’à aujourd’hui aux CER, CEF. Sont particulièrement mis en avant l’instauration d’une mesure de milieu ouvert unique et modulable, la création d’une mesure qui soit intensive et renforcée permettant une intervention soutenue en milieu familial, le renforcement du placement familial et des activités de jour, ainsi que l’ouverture, dans chaque région, d’un établissement inter institutionnel justice/santé/aide sociale à l’enfance en capacité d’accueillir des mineurs souffrant de troubles du comportement. Bien d’autres mesures sont suggérées, tant l’évaluation de l’efficacité des établissements pénitentiaires pour mineurs en terme de récidive, que la restructuration des mesures d’investigation en ne les limitant pas au seul domaine pénal, tant le rétablissement la protection judiciaire des jeunes majeurs que l’ouverture de lieux d’accueil spécialisés pour les mineurs isolés étrangers (plutôt que de les éparpiller sur l’ensemble du territoire), tant la déjudiciarisation des faits peu graves, comme les incivilités traitées au titre des informations préoccupantes que l’engagement d’un partenariat équilibré avec le secteur associatif habilité... Que dire de cet inventaire à la Prévert, sinon qu’il met en évidence un virage à 180° en regard de ce qui a été vécu depuis une dizaine d’années. Est-il permis de rêver que ce rapport se concrétise sur le terrain ou se limitera-t-il à un mirage qui s’évaporera très vite ? Seul l’avenir nous le dira. Mais il est légitime de s’interroger sur ce que deviendront des propositions nécessitant des moyens financiers, face à l’annonce présidentielle des cinquante milliards d’économie à trouver. Pour autant, ce texte constituera une balise, un repère et une référence, tant il est vrai qu’il constitue à ce jour l’un des rares documents écrit par un représentant du peuple qui s’oppose ouvertement au délire sécuritaire et revendique la primauté de l’éducatif sur le répressif.

 
Jacques Trémintin - Journal du Droit des Jeunes ■ n°332 ■ février 2014