Le sens de l'innovation comme une seconde nature

L'outil internet est sous employé dans le secteur social. Site innovant proposé par un acteur de la protection de l'enfance à la retraite, Landalink n'est que l'une de ses nombreuses initiatives. Itinéraire d'un créatif.
 
Même si, aujourd’hui, ils sortent le plus souvent directement de formation supérieure, les cadres du secteur de l’action sociale et éducative ont longtemps commencé par être travailleur social de base, en contact direct avec les personnes accompagnées, avant de monter dans la hiérarchie. C’est le cheminement suivi par Lionel Brunet qui commença sa carrière, en 1972, comme éducateur en neuropsychiatrie infantile. Il la poursuivit six années plus tard, en intégrant jusqu’à sa retraite la protection de l’enfance, au sein du Conseil général de l’Essonne. Il y prendra rapidement la fonction de chef de service dans un foyer départemental de l’enfance, avant de se former auprès de l’Ecole nationale de la santé publique et d’y être nommé directeur adjoint. Il aurait pu couler des jours heureux, marqués par une certaine routine. La vie en a décidé autrement. En 2000, l’assemblée départementale change de majorité. Il devient « chargé de mission auprès des lieux de vie ». Lionel Brunet va faire de ce qu’il vit alors comme une mise à l’écart, une formidable opportunité. D’autant que rattaché directement à la Direction de la protection de l’enfance, sans aucune place dans l’organigramme, il dispose d’une très grande marge de manœuvre qu’il mettra  à profit pour se montrer particulièrement créatif. Il s’empare de la mission un peu évanescente qui lui a été confiée et s’attèle à un véritable travail de fourmi : répertorier toutes ces « structures d’accueil non traditionnelles » -telles qu’elles sont désignées alors- disséminées sur le territoire national. Il commence par adresser une lettre circulaire à tous les départements, pour établir un état des lieux. A son grand étonnement, il reçoit 100 % de réponse.

 

De l’annuaire au GILVA

Fort de ce premier listing, il contacte un par un, chacun de ces lieux, pour recueillir les détails de leur activité (nombre de places, problématique prise en charge, tranche d’âge acceptée etc...). Il utilise cette riche matière première, pour constituer un annuaire et obtient de son administration qu'elle imprime le document final et accepte de le diffuser gratuitement. La première édition paraît à la fin de l’année 2000. Elle comprend 314 structures. La septième, publiée en 2013, en comptera 465. A chaque réédition, ce sera la même procédure : un courrier à tous les services départementaux, pour obtenir les coordonnées des lieux de vie autorisés et en activité, puis une communication avec chacune des structures d’accueil. Ce travail de titan ne pouvait qu’être  apprécié et reconnu par son administration qui lui fournit le téléphone et la voiture de service qu’elle lui avait jusque là refusés. Des contacts, Lionel Brunet en établit sur tout le territoire, tissant un réseau avec les cadres des services d'aide sociale à l'enfance des autres Conseils généraux. C'est avec plusieurs d'entre eux qu'il fonde le Groupement Interdépartemental des Lieux de Vie et d’Accueil (GILVA). Ce collectif, associant à la réflexion jusqu’à soixante départements, jouera un rôle majeur dans la préparation des différents décrets venant réguler le fonctionnement de ces structures. Celui du 23 décembre 2004, d'abord, qui officialise enfin leur place et leur rôle, mais aussi celui du 7 avril 2006 qui détermine, au niveau national, leurs modalités de tarification. Si les lieux de vie ont longtemps constitué des espaces éducatifs atypiques, il en est qui le sont encore plus : ce sont les séjours de rupture.

Des séjours de rupture à UGO

Ils furent, dans un premier temps, utilisés par des services de protection de l'enfance (ASE et PJJ) débordés par leur "incasables", sans toujours grande précaution, ni vérification de l'autorisation d'exercer des associations organisatrices. Plusieurs scandales éclatèrent, comme cette mort tragique d'un adolescent en Zambie ou des détournements de fonds. La nécessité d'une régulation s'imposa, pour circonscrire les quelques dérives qui éclaboussaient ces dispositifs originaux, qui voient des professionnels prendre en charge des adolescents dans la permanence et la continuité. C'est la réaffirmation du principe du "vivre avec", replacé au cœur de la relation éducative, qui fait leur attrait et leur succès. Mais, c'est aussi là, leur fragilité juridique. La possibilité offerte par la nouvelle réglementation en vigueur depuis 2004, permettant notamment d'annualiser le temps de travail, apportait des bases légales à un dispositif pertinent d'un point de vue éducatif, mais jusque là en porte à faux avec la législation du travail. La légalisation du mode de fonctionnement de ces séjours de rupture permettra au département de l'Essonne d'en agréer cinq, à lui tout seul ! La bienveillance de Lionel Brunet et le capital confiance qu'il avait accumulé, tout au long des années, auprès d'une administration acceptant de le suivre, seront des facteurs décisifs. En 2007, le Conseil général de l'Essonne le sollicite, à nouveau, mais cette fois-ci, pour créer une cellule d'accueil d'urgence. Il se montre très sceptique face à une organisation qu'il considère comme peu efficiente. Il élabore alors un outil informatique permettant de connaître, en temps réel, les disponibilités de places, dans les différents lieux d'accueil : Urgence Guide Orientation (UGO). Lionel Brunet obtiendra de l'assemblée départementale de l'Essonne le vote d'une décision à laquelle il tenait particulièrement : la déclaration d'UGO comme logiciel libre, rendant ainsi possible son adoption par d'autres collectivités. Sillonnant, à nouveau, l'hexagone pour des démonstrations, il convaincra une dizaine d'entre elles, de l'adopter, une quarantaine d'autres affichant leur intérêt. Le 31 décembre 2013, sonne l'heure de la retraite pour un chargé de mission qui pourrait enfin aspirer à souffler un peu.

LandALink

Mais, imaginer Lionel Brunet se ranger de la vie active serait mal le connaître. Pourquoi faire demi tour au milieu du gué, alors qu'il y a tant d'initiatives à prendre encore ? Le principe des logiciels libres, veut que chacun contribue à leur amélioration. La tentative de créer une communauté d'utilisateurs d'UGO n'avait pas rencontré le succès escompté. Ce n'était guère surprenant. Les contacts établis avec les nombreux services départementaux rencontrés, au cours de ses années d'activité, lui avaient permis de faire toujours le même constat : si les professionnels apprécient les outils mis à leur disposition, les services informatiques internes des Conseil généraux affirment toujours ne pas avoir les moyens, ni le temps d'assurer les suivis, la maintenance et l'adaptation des logiciels. S'il y a toujours des améliorations à apporter et des idées à développer, il n'y avait donc personne pour prendre la relève. Qu'à cela ne tienne. Lionel Brunet franchit le pas et se décide alors à créer sa propre société de conseil qu'il dénomme "landA Link". Son premier objectif est de proposer, clé en main, la fourniture du logiciel UGO adapté aux besoins de toute collectivité demandeuse, le format initial initialement calibré au secteur de la protection de l'enfance pouvant tout à fait se décliner pour celui des personnes âgées ou du handicap. Les modifications adoptées pour chacun se trouvant ainsi centralisées, elles pourraient alors être mutualisées pour tous. Mais, LandA Link propose aussi un autre service particulièrement utile aux professionnels: deux annuaires en ligne. Le premier présente les différents séjours de rupture existant et leur places disponibles, en temps réel (SER : Séjour Educatifs de Rupture). Le second fait de même pour les Lieux De Vie et d'Accueil destinés tant aux mineurs qu'aux majeurs (LDVA). Si une contribution modique est demandée aux structures souhaitant bénéficier de cette présentation de leur activité, la consultation des professionnels, en recherche de places, est totalement gratuite.

 

Un rêve

Mais, l'ambition de Lionel Brunet va bien au-delà de la fourniture de services que bien des éditeurs de logiciels sociaux rêveraient de vendre à des prix beaucoup plus prohibitifs. Il l'a constaté, à chaque réédition de l'annuaire du Conseil général de l'Essonne : lors des contacts avec les lieux de vie, les mêmes questions revenaient systématiquement, portant sur l'administratif, sur le pédagogique, sur la législation. Ce dont il rêve, c'est que l'outil créé par ses soins devienne une grande marmite brassant les idées, les contributions et les conseils, les points de vue, les analyses et les suggestions... C'est pourquoi, il a doté son site de rubriques intitulées "actualité",  "foire aux questions", "aide à la création", "forum". Ce dont il est porteur, c'est la volonté d'impulser toutes les innovations possibles qui puisse représenter un plus pour les professionnels. A l'image de cette nouvelle fonctionnalité qui devrait très vite voir le jour sur Landalink, préparée avec un cabinet d'avocats spécialisés dans la protection de l'enfance : une consultation juridique en ligne. Ce dont il a envie, c'est que cet espace internet, conçu par lui, soit investi par celles et ceux qui, possédant les compétences nécessaires, pourraient apporter leurs contributions et pourquoi pas relayer les demandes d'aide ou de contact aux quatre coins du pays. Lionel Brunet n'envisage pas vraiment de faire fortune avec sa société. Il ne se pose pas plus en concurrence avec les fédérations ou collectifs déjà existant. Il propose simplement un portail qu'il veut rendre vivant et réactif. Ce jeune retraité est plein d'énergie et de dynamisme. Il revient à la communauté du travail social de décider du sort de son initiative.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1167 ■ 09/07/2015