Portrait de Dominique Berge

L’art de changer, sans changer, Dominique Berge, chargée de mission à la FEHAP

Quand on progresse dans la hiérarchie professionnelle, il est tentant de renoncer à ce que l’on a soutenu, au début de sa carrière. Ce n’est pas là le choix de Dominique Berge qui montre que l’on peut aussi rester fidèle à ses valeurs et les défendre.

Le monde du social en général, et celui de l’animation en particulier, ont cessé depuis quelques années déjà d’être peuplés par les seuls militants de l’éducation populaire. Même si l’esprit d’engagement des pionniers est loin d’avoir disparu, les techniciens, gestionnaires et administratifs sont venus apporter leurs connaissances et leur savoir faire. La structuration du secteur s’est progressivement calquée sur le reste du monde du travail. Reste à savoir si les valeurs qu’il se targue de promouvoir peuvent contrecarrer la banalisation d’un fonctionnement qui menace de ressembler à ce qui se passe dans l’administration, le commerce et l’industrie. Un bon indicateur de cette évolution peut être cherchée dans le parcours des cadres hiérarchiques. On constate parfois des itinéraires professionnels qui sont fulgurants. Quelques années suffisent alors, pour atteindre les postes les plus élevés. D’autres, préparés par des formations supérieures, commencent tout de suite par des fonctions de dirigeants. Les promotions d’écoles de cadres ou d’universités livrent, chaque année, sur le marché du travail, leur lot de diplômés. On peut, avec un Bac + 4 ou 5, accéder à de hautes responsabilités, sans n’avoir jamais vraiment exercé au quotidien auprès des usagers. Mais, il y a aussi celles et ceux qui ont commencé par être professionnels de terrain, avant d’acquérir progressivement des postes de plus en plus importantes. C’est l’expérience qu’a vécue Dominique Berge.

Tout commence par un Bafa

Comme beaucoup dans l’animation, c’est à 17 ans qu’elle passe son Bafa. S’ensuivent des séjours en centres de vacances et de loisirs. Rien ne lui fait penser alors, à la carrière qu’elle va connaître. Les choses se précisent quand, à l’issue de son stage d’approfondissement, elle est cooptée comme formatrice bénévole au sein des CEMEA de Loraine. Une fois son Bac en poche, Dominique Berge s’est inscrite en fac de psychologie. Mais elle interrompra ses études universitaires, avant la fin de sa licence. Une proposition pour devenir animatrice de centre de classe de découverte, pour la Ligue de l’enseignement, et voilà sa vie qui bascule : elle le sait maintenant, c’est dans le domaine de l’animation qu’elle veut exercer son métier. Elle suit une formation complémentaire d’économat en 1983 et la voilà gestionnaire, durant sept ans. Puis, une opportunité se présente : les CEMEA recherchent une formatrice BEATEP sur un nouveau créneau promis à beaucoup d’avenir mais où tout reste à défricher : celui de la gérontologie. Cela tombe bien, elle a toujours été intéressée par la conception de pratiques d’activité, de supports d’expression, d’outils de médiation avec les usagers. Là, on lui demande de construire des contenus à l’intention de ce public nouveau. Elle postule et la voilà recrutée. Elle conçoit et prépare les modalités de cette formation innovante qui ouvre sa première session, en décembre 1989. Quatre années de suite, elle va mener ce stage qualifiant, qui forme des animateurs à intervenir auprès des personnes âgées. C’est à ce titre, qu’elle apportera son témoignage dans le dossier consacré aux personnes âgées dans le numéro 48 du Journal de l’Animation, en avril 2004.

Une progression lente mais résolue

En 1993, changement de poste, Dominique Berge devient responsable de la formation continue, toujours au sein des CEMEA. Elle élabore des programmes courts à l’intention des professionnels du secteur médico-social et de la santé : aides soignants, infirmières, animateurs déjà en poste se retrouvent ainsi, quelle que soit leur formation initiale, autour de thèmes centrés sur le relationnel : aide à la personne, écoute etc … En 1998, elle obtient le poste de responsable du département de formation professionnelle continue, tous secteurs confondus (santé mentale, éducation spécialisée…). Jusqu’à cette année 2006, où elle devient Directrice générale de l’association territoriale de Loraine des CEMEA. Et puis, en décembre 2008, Dominique Berge décide de se remettre en cause. Depuis 1983, elle n’a cessé de travailler, n’ayant pas suivi de formation vraiment qualifiante. C’est le moment ou jamais, pense-t-elle, de reprendre des études. Elle bénéficie d’un bilan de compétence. Et la voilà, à 47 ans, qui s’engage en septembre 2009 dans un Master 2 « management des organisations sanitaires et médico-sociale ». Bien lui en a pris. Elle sort major de promotion. Fidèle à ses engagements passés, elle a fait le choix d’effectuer son stage pratique dans une maison de retraite. Son objectif est alors, de devenir Directrice d’un tel établissement. Après avoir formé, pendant des années, des animateurs à l’intervention auprès des personnes âgées, elle a envie de se frotter à la gestion humaine d’une équipe accompagnant au quotidien cette population.

Rebondir

Mais, son parcours va encore connaître un virage. Sortie diplômée en juin 2010, Dominique Berge consulte les petites annonces de l’APEC, le portail des offres d’emploi pour les cadres. Elle prend connaissance d’une proposition concernant un poste de chargé de mission, dont le profil précise : « animation du réseau des adhérents, pilotage de groupes de travail, mutualisation des expériences des équipes ». Elle connaît l’employeur, la FEHAP (la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne), pour avoir rédigé un dossier d’actualité, dans le cadre de ses études supérieures, sur l’impact qu’allait avoir sur les managers, les principales dispositifs de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » venant réformer profondément l’organisation de la santé, dans notre pays. A cette occasion, elle a rencontré celui à qui elle va finalement succéder. Car, après avoir postulé, Dominique est, là encore, recrutée. Et la voilà à sillonner, depuis septembre 2010, la région Loraine et celle de Champagne Ardennes, à la rencontre des membres de ce puissant syndicat d’employeurs, initiateur et signataire la convention collective 1951 qui structure les relations salariales dans le secteur. Car, si sa mission comporte bien une part d’assistance technique auprès du Délégué régional, par ailleurs Directeur d’une clinique, son activité est tout autant consacrée au soutien et à l’aide apportée aux adhérents. Cela va de l’application de la convention collective, au conseil en matière de ressources humaines, en passant par le recueil des demandes de formation, de groupes de travail et leur mise en oeuvre.

Que reste-t-il ?

Ce n’est pas un hasard si Dominique Berge a choisi de travailler pour la FEHAP : « je me retrouve complètement dans les valeurs humanistes défendues par cette fédération : la place première donnée à la personne, le travail d’équipe, le partage d’expérience. C’est tout cela que j’ai pratiqué, tout au long de ma carrière » explique-t-elle. Ne s’imaginant pas travailler pour un établissement coté en bourse, elle proclame son attachement à l’accomplissement de missions de service public, dans le cadre d’une gestion désintéressée. Le secteur privé non lucratif n’est pas là pour faire des bénéfices. Et si l’exercice dégage des excédents, ceux-ci ne sont pas là pour enrichir des actionnaires, mais sont réinvestis dans des projets au service des usagers. Face au rouleau compresseur gestionnaire qui incite à rechercher avant tout la rentabilité, l’efficience et la rationalisation, elle revendique avant toute autre chose, la prise en considération d’un individu qui, même diminué, doit pouvoir bénéficier d’une offre de soin ou d’accompagnement adaptée. Bien sûr, qu’elle en est témoin de ces réflexes de survie privilégiant des solutions égoïstes basées sur la compétition entre les différents établissements. Elle leur oppose volontiers la coopération, l’entraide, ainsi que la mutualisation des savoir-faire et des expériences. Mais, ses premiers mois dans son nouveau poste l’ont rassurée. Elle en rencontre régulièrement, de ces Directeurs de maison de retraite, de clinique, d’établissements pour handicapés, de maison d’accueil spécialisée qui affichent un véritable esprit d’ouverture et l’envie d’expérimenter des actions innovantes. « Face à un avenir menaçant nos valeurs, je suis optimiste. Les choses peuvent aller dans le bon sens, si on reste conscient des enjeux et que l’on continue à travailler à la convergence de point de vue et d’action » conclue-t-elle, démontrant toute l’importance de l’existence dans la hiérarchie de nos institutions, de cadres prêts à défendre les valeurs qu’ils ont pratiquées tout au long de leur carrière.


Le Privé non Lucratif
Les établissements intervenant dans le sanitaire, le social et le médico-social sont gérés par le secteur Public (19.000), le Privé Non Lucratif (33.000) et enfin le Privé commercial (4.000) Le secteur Privé non lucratif articule une mission d’intérêt général (garantie de l’accès aux soins pour tous, permanence et continuité tout au long de la vie de toutes les pathologies et handicaps), à un mode de gestion privé plus souple et plus équilibré que celui des structures publiques.


La Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne
La FEHAP, créée en 1936, regroupe 3.200 établissements attachés à la tradition humaniste et solidaire d’aide aux plus démunis. Elle fédère des associations, des congrégations, des organismes mutualistes et des fondations gérant des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux non lucratifs. Elle se revendique comme alternative au « tout-marché », jugé comme inégalitaire et au « tout-Etat », perçu comme peu efficient.


Jacques Trémintin - Journal De l’Animation ■ n°119 ■ mai 2011