Éthique versus loyauté

Vous êtes chauffeur de bus. La police réquisitionne votre moyen de transport pour expulser des migrants du territoire national. Que faites-vous ? Le 4 août, le conducteur de CarPostal Riviéra, compagnie assurant le transport urbain de Menton, a refusé d’obéir (1) : « J’ai réussi à retarder l’échéance, en évoquant des procédures réglementaires jusqu’à ce qu’ils demandent à un autre chauffeur de le faire », explique-t-il. La CNT, son syndicat, le défend : les chauffeurs transportent des personnes se déplaçant vers leur travail (ou leur établissement scolaire), leur domicile ou des lieux touristiques. « Nous ne voulons pas assurer le transport de passagers dont leurs destinations finales restent douteuses : reconduction dans des pays où leurs vies sont en danger, internement dans des camps où l’insalubrité est de mise et la croix rouge impuissante ». Et de rappeler les 12.884 juifs étrangers raflés et transportés au Vel d’Hiv le 16 et 17 juillet 1942 par les bus de la STCRP (futur RATP). La direction de l’entreprise a contesté l’attitude de son chauffeur : « le personnel n'a pas autorité pour remettre en question les décisions du préfet qu'il est tenu de respecter ». Le secteur social et éducatif n’est pas exempt de ce type de situation qui place les professionnels en porte à faux entre leur éthique et le nécessaire respect des consignes de la hiérarchie. Sans la première, on se transforme en simple exécutant d’un ordre, dont on s’interdit de mesurer la légitimité. Sans le second, on se transforme en électron libre tout-puissant, incontrôlable et déloyal envers son employeur. Entre ces deux extrêmes, il reste la recherche de la limite entre compromis et compromission, la mesure du dépassement de la ligne rouge qui nous ferait perdre notre âme, l’alternative entre le respect ou le reniement des valeurs pour lesquelles nous nous sommes engagés. Ce choix n’est pas simple à effectuer et à assumer. Chapeau bas devant ce chauffeur qui l’a fait !
 
(1) L’Obs 6 septembre 2016

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1193 ■ 13/10/2016