Conférence de Jacques Salomé

S’écouter pour mieux s’entendre

A 65 ans passés, Jacques Salomé a décidé de profiter d’une retraite bien méritée. Il a mis fin à ses conférences qui, depuis 30 années, lui ont fait parcourir toute la France. Ce soir-là, il avait fait une exception, à l’invitation de la section de La Baule de l’association « Parrainparmille » du Comité d’honneur duquel il fait partie. Connu pour une approche originale qu’il a développée dans ses 32 livres parus (et deux à venir) dont il dira lui-même qu’il s’agit de 32 (34) chapitres d’un même ouvrage, son charisme lui a valu, parfois, le soupçon d’être un peu gourou. Se situant plus dans la logique comportementaliste que psychanalytique, on peut comprendre que ses démonstrations aient pu paraître, au demeurant, louches chez un public de professionnels largement acquis aux préceptes de Freud. Et, c’est vrai, que l’on retrouve dans sa démarche cette tendance parfois un peu crispante à réduire la complexité de l’être humain à des mises en équation qui pour simplifier l’approche psychologique n’en est pas moins éminemment réductrice. Mais, au-delà de certains de ses propos qui frisent parfois la recette de cuisine, on ne peut nier la pertinence de beaucoup de ses affirmations. Quand il prétend résoudre une problématique par une mise en mots ou une approche unifactorielle, il est difficile de le suivre. Il est plus facile de rallier sa démonstration quand il évoque ce qu’il appelle des règles d’hygiène relationnelle. Si toute une série de réflexes était inversée, la face du monde n’en serait peut-être pas changée, mais la communication entre les êtres humains en serait certainement facilitée et pourrait déboucher sur une meilleure compréhension mutuelle.

D’emblée, l’orateur s’est situé dans une perspective de grande modestie « j’ai été pendant longtemps un infirme de la communication. Je savais beaucoup de choses, mais je sentais peu de choses » affirmera-t-il en préambule. Il s’appuiera d’ailleurs, tout au long de son propos sur de nombreux exemples issus de sa vie personnelle et familiale pour illustrer ses théories, prétendant n’avoir jamais enseigné que ce qu’il avait vécu au préalable. Il commencera par dénoncer ce mode de communication qui semble la base naturelle et spontanée de tout un chacun. Il le résume en évoquant le système SAPPE (pour Sour/Aveugle/ Pernicieux/Pervers/Energétivore). Cela commence par cette habitude des injonctions qui consiste à parler sur l’autre en lieu et place de parler à l’autre : tu dois faire ceci, tu ne dois pas faire cela, tu dois être comme ceci, tu ne dois pas être comme cela. C’est « l’abus de la relation klaxonne (tu, tu, tu ...) » qui se résume à la volonté de vouloir dicter aux autres ce qu’ils doivent ressentir au lieu de chercher à reconnaître et à respecter ce qu’il ressentent (et qui leur appartient). Cela continue par l’attitude de dévalorisation, largement partagée et qui se manifeste par l’habitude de percevoir la bouteille à moitié vide plutôt qu’à moitié pleine. On voit chez l’autre surtout ce qui ne va pas bien, bien trop rarement ce qui va bien : « j’aurais tant aimé que mon instituteur remarque que sur 100 mots de ma dictée, j’en avais orthographiés correctement 95, au lieu de me donner un zéro à cause des fautes sur les 5 mots restants » expliquera Jacques Salomé. Et puis, il y a la culpabilisation, cette manie qui nous pousse à rendre l’autre responsable de ce que l’on vit. Tout au contraire, pour l’orateur,  il convient d’inscrire sur le fronton de notre existence en lettre majuscule : « je suis responsable de mes sentiments et de ce que j’éprouve. » Enfin, dernière dérive qui contribue à pourrir nos relations avec les autres, la volonté de maintenir des rapports de domination, l’un cherchant imposer, l’autre, la plupart du temps, entretenant sa propre soumission. Le résultat de ce système se résume dans le principe d’incommunicabilité. Et de citer comme illustration, cette enquête réalisée aux USA, qui démontre que les couples y consacrent, chaque jour, deux minutes et demie à se parler. En France, ils en passent cinq ! Inverser la tendance n’est pas utopique. Pour y arriver, il faut néanmoins s’imprégner d’autres mécanismes de communication. Jacques Salomé, friand de formules et de jeux de mots, résume sa méthode par le sigle ESPERE ( pour Energie Spécifique Pour une Ecologie Relationnelle Essentielle). Elle consiste à répondre aux cinq besoins relationnels qu’il désigne comme fondamentaux : besoins de se dire, d’être entendu, d’être reconnu tel qu’on est (et non tel qu’on souhaiterait que l’on soit), d’être valorisé, d’évoluer et de rêver. Le point commun de ces besoins, c’est bien la nécessité du respect de l’autre dans ce qu’il ressent. L’important n’est pas tant ce qui se passe que la façon dont cela est perçu. Pour l’orateur, « dans une relation, nous sommes toujours trois ». Il y a soi et il y a l’autre, chacun tenant un bout de cette relation. Mais, pour Jacques Salomé, cette dernière existe bien d’une façon autonome. C’est bien la confusion entre ces trois parties qui explique l’état de guerre qui oppose si souvent les individus entre eux : chacun a le droit de disposer d’une aspiration qui lui est propre mais pas de vouloir régenter celle de l’autre. C’est la différence entre reconnaître le désir de l’autre et imposer ses désirs à l’autre.

Autre postulat, celui qui répartit la communication humaine en quatre fonctions, qui, dans l’idéal devraient s’équilibrer : demander/donner/recevoir/refuser. Chacun doit pouvoir exister dans ces différents domaines, tout déséquilibre étant la marque d’un dysfonctionnement de la relation.

Voilà, cela semble simple en apparence, voire simpliste. Et pourtant, ces principes peuvent apparaître comme fondateurs d’une meilleure compréhension entre les membres d’une même société qui se côtoient au quotidien en ayant tendance le plus souvent à s’opposer et à s’ignorer. Il suffit simplement pour en être convaincus d’essayer !

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°556  ■ 14/12/2000