Assises du non-droit 2

Déshérence et accès au droit

Les Services du Droit des Jeunes ont pris naissance en 1978 en Belgique.
La revue que le lecteur tient entre ses mains est directement issue de cette mouvance.
La France a suivi le mouvement d’une façon plus hésitante. Dès 1983, l’ADSEA du Nord, qui avait choisi depuis quelques années déjà d’investir dans des expériences innovantes, lance le « Point-Jeunes », lieu d’information et de consultation pour les ados et les jeunes adultes. Cette initiative se transforme en 1990 en Service du Droit des Jeunes. Co-financé par la Ville,  l’Etat (par l’intermédiaire de la Protection judiciaire de la Jeunesse) et le Conseil Général celui-ci propose des permanences et organise des actions collectives d’information et de sensibilisation autour du droit.
A la même période, se crée à Strasbourg « Thémis » (étendu à Mulhouse depuis 1994) qui selon le même principe propose écoute, aide et conseil aux enfants, aux jeunes et à leurs familles. En 1996, plus de 1000 usagers ont ainsi été accompagnés.
Ces deux services ont suivi la même démarche: répondre au paradoxe qui veut que les droits des jeunes soit aujourd’hui très développés, mais tout autant que les difficultés que ces derniers rencontrent pour les exercer. L’objectif, c’est bien de leur faire connaître leurs droits afin qu’ils s’en emparent et deviennent ainsi acteur et sujet de leur vie.
Le SDJ de Lille et Thémis ont été à l’origine des premières Assises du Non- Droit tenues en 1994 à Strasbourg.
Les 23, 24 et 25 Janvier 1997, ils ont proposé la deuxième édition de ces rencontres cette fois-ci à Lille.
Ces journées ont été l’occasion de forts intéressants développements sur  la jeunesse en déshérence, mais aussi de riches échanges entre promoteurs de l’accès au droit ainsi que l’esquisse du réseau des relais socio-juridiques qui se construit lentement au travers du pays comme une longue chaîne de solidarité.

 

Une jeunesse en déshérence

Qui dit déshérence, dit absence d’héritiers. La crise que connaît notre société est avant tout liée à cette absence apparente de transmission qui semble frapper les jeunes générations comme si elles ne pouvaient bénéficier de l’apport des valeurs invalidées et désavouées de leurs prédécesseurs. De nombreux intervenants sont venus ausculter cette situation complexe et inquiétante.

Ainsi Denis Salas, magistrat de son état, a rappelé les travaux d’Ahna Arendt concluant à la solitude, à l’isolement et à la désolation d’êtres humains privés de racines comme constitutifs du totalitarisme. Cette masse de citoyens sans identité peut alors tout à fait être récupérée tant par le crime organisé que par un régime autoritaire. Une telle dérive a pour origine le vide. C’est ce même vide qui provoque aujourd’hui un certain nombre de tentations de la justice.

En tout premier lieu, cette construction mythologique d’un adolescent invulnérable dont la violence ne serait plus une manifestation initiatique d’entrée dans le monde des adultes mais la préfiguration d’une carrière délinquante ... et qui aboutit à une pénalisation sécuritaire. Le deuxième danger qui pèse d’un poids de plus en plus important, c’est bien la victimisation: la justice est de plus en plus préoccupée par les réponses apportées aux victimes qui réclament réparation. Condamnations et indemnisations semblent alors s’inscrire dans une surenchère que rien ne pourra combler tant la quête apparaît inconsolable. Il en ressort une perte de sens quant à l’acte éducatif initié par l’ordonnance de 1945 qui s’intéressait à la personnalité du délinquant qui vient à disparaître de plus en plus derrière son acte.

Au coeur à la fois de la déshérence et du combat pour la réappropriation par les jeunes de leurs droits, la notion-même de citoyenneté a permis à Michel Miaille de repréciser les tenants et aboutissants de ce concept. On parle aujourd’hui de la citoyenneté comme abstraite et peu signifiante, écartelée qu’elle serait entre l’échelle locale et européenne. Elle serait, en outre, directement minée par le corporatisme et autres ethnicismes qui constituent un repli rassurant sur l’existant comme couverture face à l’effondrement de la solidarité. Mais être citoyen, expliquera l’universitaire de Montpellier, c’est justement accéder à un ailleurs, en nous tirant de notre rattachement personnel. Car, il s’agit bien là de nous permettre d’émerger de notre communauté d’origine. On peut donc affirmer que la citoyenneté commence là où s’arrête l’appartenance sociologique et géographique. Elle a pour base la décommunautarisation.

Ce qui ne signifie nullement que l’une soit exclusive de l’autre. L’être social a besoin pour s’affirmer comme sujet de son devenir, à la fois de préserver ses racines et de rompre avec ses origines. L’avenir ne se situe donc ni dans le strict respect de la tradition ni dans son reniement absolu mais bien dans la recherche de modèles nouveaux conclura le sociologue Saïd Bouhamama.

 

Échanges et débats

Les 2ème Assises du non Droit ont aussi été l’occasion d’échanges entre acteurs du droit qui étaient nombreux à le fréquenter.

De multiples thèmes ont été abordés.

Ainsi en a-t-il été de la médiation-réparation. Cette pratique permet en amont de toute procédure judiciaire de régler à l’amiable un conflit entre le responsable d’un acte préjudiciable et sa victime. Si le souci de rapidité et d’efficacité se trouve ici comblé, expliquera un avocat, il n’en va pas de même du respect du contradictoire ni du principe selon lequel tout justiciable a droit à un conseil  qui sont l’un et l’autre inexistants...

Sujet de prédilection s’il en est chez les défenseurs des droits de l’enfant: la question de la parole de ce dernier en justice. En apparence, rien ne semble plus légitime que de permettre au mineur de donner son avis sur les questions qui le concernent. Et, il ne s’agit nullement de revenir sur ce principe mais plutôt de le comprendre ses implications dans toute leur complexité. Ainsi, cette parole doit-elle être exprimée directement ou par l’intermédiaire d’un porte-parole ? Dans ce second cas, les propos tenus doivent-ils être laissés en l’état ou l’avocat doit-il essayer de les moduler pour les faire correspondre à ce qui semble relever de l’intérêt du mineur ? Et comment déterminer réellement cet intérêt par rapport au sentiment que l’adulte en a ? Autant de questions pertinentes quand on sait comment la parole de l’enfant peut évoluer dans le temps en fonction des interlocuteurs. Et puis, corollaire incontournable du droit à la parole: le droit de ne rien dire et de ne pas prendre position. Car la parole qui est alors donnée peut constituer un cadeau empoisonné. Cela peut être notamment le cas dans une situation de divorce quand le jeune est sollicité pour dire du mal de l’un ou l’autre de ses parents. Si, l’enfant doit être considéré comme sujet de droit, il ne doit pas pour autant être à l’origine de la procédure. Mais, entre le refus de consulter en aucune circonstance l’enfant et la situation à l’américaine où ce dernier peut divorcer de ses parents, il subsiste une large marge de manoeuvre, rappellera un avocat, permettant de nombreuses expérimentations.

La représentation des intérêts de l’enfant, c’est aussi la question de l’administrateur ad hoc. Rappelons qu’il s’agit d’une mesure prise par le Juge des Tutelles qui désigne une tierce personne extérieure à l’autorité parentale quand les intérêts des titulaires de cette dernière s’opposent manifestement à ceux du mineur. C’est le cas par exemple de l’abus sexuel intra-familial, mais aussi lorsqu’il s’agit de distinguer l’intérêt de l’enfant de ses parents qui divorcent. L’administrateur a dès lors pour fonction d’agir comme porte-parole de l’enfant et peut alors lui désigner un avocat. La pratique montre que les magistrats agissent d’une manière empirique, en fait très différente selon les régions. Ici, ils nomment facilement cet administrateur. Là, ils le font avec bien plus de réticences. Ailleurs encore, cela se fait à la veille du procès, voire le lendemain (!). Il arrive parfois que ce soit le bâtonnier des avocats qui soit nommé administrateur ad hoc sans que celui-ci ne rencontre jamais l’enfant. A Lille, c’est le Service du droit des Jeunes qui est désigné pour cette mission. Confier cette tâche à des professionnels formés et expérimentés constitue une garantie de qualité et d’efficacité qui devrait être généralisée.

Autant de questions qui montrent que l’accès au droit des enfants n’en est encore qu’à ses débuts et que bien des problèmes restent à être résolus.

 

Un réseau à bâtir

Mais ces deuxième Assises du Non-Droit ont aussi permis aux promoteurs des expériences qui se sont développées aux quatre coins du pays de se rencontrer et de tisser des liens.

Le SDJ de Lille et Thémis de Strasbourg-Mulhouse ne sont pas les seules actions existantes, même si elles apparaissent les plus structurées.

A la suite de la signature de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, de nombreux barreaux ont proposé des permanences gratuites ouvertes aux mineurs. A l’image des « avocats du mercredi » association lilloise proposant un numéro de téléphone vert, et à l’initiative de laquelle a été montée avec des collégiens une reconstitution d’une audience du tribunal des enfants au sein même du palais de justice. Bien d’autres villes ont prévu ces mêmes permanences mais se sont heurtées à une absence de diffusion de l’information et à une faible fréquentation. Cela a été le cas un peu partout et notamment à « l’endroit » à Grenoble ou « la maison des droits de l’enfant » à Toulouse. Originalité supplémentaire pour cette dernière, l’organisation d’un colloque annuel. Ainsi, après le sujet de la fugue et de la pré-majorité, c’est l’anniversaire de la Convention qui a attiré plus de 2500 jeunes en 2 jours. Mais l’action ne se limite pas aux seuls accueils dans les bureaux des avocats. Nombre d’associations proposent aussi une intervention au sein des établissements scolaires: l’Accès aux Droits des Enfants et des Jeunes  (ADEJ) à Marseille a même réalisé des cassettes vidéo sur le droit de la nationalité et sur les violences au quotidien comme support de son intervention. A Montpellier, c’est un bus itinérant qui sillonne les quartiers et les plages en été. La plupart assurent la formation des avocats ou des adultes-ressources (professeurs ou travailleurs sociaux) sur le droit de l’enfant. D’autres ont opté pour un Point-Jeune comme « Ressources-Enfance » dans le Var. Sans oublier « Passeport d’Attache » à Paris qui a fait l’objet d’une présentation dans le Journal du Droit des Jeunes de décembre 1996 (n°160 p.6-7).

 

Périclitation ou pérennisation ?

Ce qui caractérise toutes ces associations, c’est la recherche de financements pour survivre. Le soutien du Ministère de la Justice s’est étiolé à partir de 1992. Le projet de Loi sur la cohésion sociale ne fait référence en ce qui concerne l’accès au droit qu’à l’inscription des SDF sur les listes électorales et à différentes formes de médiations. Quant à la circulaire du 14 juin 1996 concernant les points d’accueil pour les 10-25 ans, elle concerne plus largement les missions d’accueil, d’écoute du jeune et de médiation avec sa famille et non l’accès au droit en particulier.

Les initiatives actuelles ne tiennent que grâce aux subventions accordées par le FAS, la PJJ, la délégation des droits des femmes, certaines municipalités et Conseils Généraux et les Contrats-Ville. Et encore, certaines d’entre elles sont accordées les premières années, à charge pour l’association de trouver très vite d’autres financements. On aura garde de ne pas oublier l’action militante et bénévole qui s’épuise et ne peut répondre à toutes les sollicitations.

Les lieux d’accueil parents/enfants pour l’exercice du droit de visite ont réussi à se fédérer et à se faire reconnaître par l’autorité publique.

Les 140 lieux d’écoute pour adolescents qui ont fleuri sur tout le territoire ces dernières années ont dès à présent rendez-vous le 28 avril au ministère des Affaires Sociales pour une rencontre visant à mutualiser leur savoir-faire.

Il reste aux promoteurs de l’accès au droit à démontrer l’utilité de leur action et le profond rôle socialisateur de leur travail afin d’obtenir la sécurité et la sérénité financière sans laquelle leur pérennité ne saurait s’affirmer.

C’était l’un des objectifs de ces deuxièmes Assises: les échanges ont permis de montrer qu’un vrai besoin émergeait auquel pouvaient répondre les actions entreprises. Souhaitons que les Institutions en aient été convaincues. Dans une période où la jeunesse a de bonnes raisons de ne pas croire à l’avenir qu’on lui prépare, notre société n’a plus beaucoup de marge de manoeuvre entre l’anomie et la fracture sociale.

 

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°388 ■ 06/03/1997

 

 
Coordonnées des associations représentées aux 2ème assises du non-droit et participant a l’accès aux droits des jeunes
Service Droit des Jeunes: 1 rue Saint Génois 59000 LILLE Tel.: 03-20-51-38-11
Avocats du Mercredi / Maison de l’avocat: 8, rue d’Angleterre 59800 Lille Tel.: 0800-00-73-45
Dispositif Régional information Jeunes Etrangers : 1 rue Saint Génois 59800 Lille Tel.: 03-20-55-94-51
Avocats de l’Enfant /Palais de Justice: Place Monthyon 13001 Marseille Tel.: 04-91-33-87-02
Accès au Droits des Enfants et des Jeunes: 8 rue de Villeneuve 13001 Marseille Tel.: 04-91-55-40-83
Maison des Droits de l’Enfant: 7 rue des Arts 31000 Toulouse Tel.: 05-61-53-22-63
Ressources Enfance:315 chemin Julien Lotissement Bel Horizon 83140 SIX FOUR Tel.: 04-94-34-44-63
Centre du droit des jeunes (CIDFF): 2 avenue Colonel Teyssier 81000 Albi Tel.: 05-63-47-01-34
Association Intercommunale d’Aide aux Victimes d’Infractions: 1 rue des Febures 25203 Montbéliard Tel.: 03-81-91-70-07
Passeport d’attache : Point d’Accueil Jeunes: 6 rue Salomon de Caus 75003 Paris Tel.: 01-42-74-47-16