CREAI - Face aux incasables

Chaque typologie de handicap ou d’inadaptation comporte son lot d’inquiétude et d’angoisse pour les personnes qui y sont confrontés (les usagers en premier, mais aussi leur famille sans oublier les enseignants, éducateurs et médecins qui les prennent en charge).

Mais s’il est bien un secteur qui place les intervenants et l’entourage au bord d’un abîme d’amertume, d’épuisement, voire d’impuissance et de dépression plus que tout autre, c’est bien ce trouble du comportement, du caractère et des conduites (T.C.C.) qui les confronte en permanence à la violence, à l’agressivité et aux passages à l’acte des enfants et des adolescents qui en sont atteints.

 

Un tableau bien sombre

C’est que ces jeunes victimes de T.C.C. font parfois dans le spectaculaire au point d’accumuler rejet et échecs successifs: agression physique, utilisation de couteaux ou de cutters, vols, tentatives d’incendie, détérioration de locaux, désordres graves au sein des classes et des ateliers, refus d’obéissance et opposition active aux adultes. A la base de ces manifestations, on trouve toute une série de dysfonctionnements de la personnalité : image de soi troublée ou négative, carence affective, instabilité, impulsivité, passage d’un attachement envahissant à un rejet excessif, processus de pensée discordant, impossibilité de se concentrer, difficultés à intégrer les règles et les lois, tendance à la transgression...

La problématique en cause -les difficultés d’adaptation sociale et scolaire- se situe bien à l’intersection du médical (il y a souffrance et donc nécessité de soins) de l’enseignement spécialisé (du fait même des troubles cognitifs), et de la prise-en-charge éducative (avec la plupart du temps l’évaluation d’une distanciation d’avec le milieu familial qui débouche sur une admission en Institut de Rééducation).

La trajectoire suivie par chaque jeune peut être fort diversifiée au point de le confronter à une multitude d’institutions différentes qui vont de l’Ecole au Tribunal des Enfants en passant par l’Intersecteur de Pédopsychiatrie, les services du Conseil Général ou le CCAS. Dès lors, une question cruciale se pose: celle de la collaboration pluridisciplinaire au sein d’un véritable travail de réseau, seul moyen d’éviter les cloisonnements, juxtapositions et confusions dont la première victime ne peut être que l’enfant, ballotté d’une structure à l’autre.

Cette question était justement au centre de la journée organisée le 21 mars par le CREAI d’Ile de France et qui pour la première fois a regroupé tous les partenaires intervenant autour du T.C.C.

 

De la prise de conscience institutionnelle ...

L’un des déclencheurs de la prise-de-conscience a résidé dans le nombre grandissant d’enfants restant sur le carreau dans les CDES de la région parisienne. Ainsi, fin octobre 1996, on comptait 832 dossiers en souffrance dont la moitié correspondait à des enfants attendant au domicile de leurs parents, sans aucune scolarité, une place en établissement. 284 de ces demandes non-satisfaites concernent les enfants souffrant de T.C.C.. 70% d’entre eux ont entre 10 et 15 ans soit l’âge de l’adolescence où les difficultés s’accroissent.

Devant ce constat, les institutions se sont inquiétées. Face à l’absence de perspective quant au dégagement de moyens financiers supplémentaires, il ne restait plus qu’à mutualiser les moyens déjà existants pour répondre au plus près des besoins.

Un comité de pilotage regroupant les DDASS, la CPAM, l’Education Nationale, l’URIOPSS, et l’Observatoire Régional de la Santé, a donc été mis sur pied dans le but de concevoir un schéma régional conçu à partir des schémas départementaux déjà constitués ou en cours d’élaboration. L’objectif est bien de construire un référentiel susceptible d’organiser et de proposer une palette de services et d’équipements qui ne se contente pas de répondre à l’état actuel des demandes mais qui prévoit aussi les évolutions ultérieures.

 

... à celle du terrain

A cette mobilisation par le haut a répondu une sensibilisation des acteurs du terrain.

Madame Palanqui, conseillère technique au ministère de l’Education Nationale a rappelé comment la volonté de l’Ecole de vouloir accueillir tous les enfants -réaffirmée par la loi-cadre de 1989- s’est heurtée à l’évolution sociologique des 30 dernières années. Jusqu’en 1960, ¼ des élèves seulement atteignait le secondaire. L’échec scolaire était inexistant puisque la majorité des élèves entrait dans la vie active dès l’âge de 14 ans, le marché du travail les absorbant alors quelque soit leur niveau d’instruction. A partir de 1967, sont créés dans les collèges les Section d’Enseignement Spécialisé (qui ont été relayés récemment par les SEGPA: Section d’Enseignement Général Professionnel et Adapté). Mais, ces dispositifs n’ont pas résolu les difficultés qui se rencontrent dès la maternelle, puis en primaire par des instituteurs qui s’épuisent face à des enfants rencontrant de gros problèmes tant d’apprentissage que de comportements, et qui se sentent livrés à eux-mêmes. Le travail de partenariat apparaît dès lors comme une nécessité.

Bernard Durand, pédopsychiatre, rapportera l’itinéraire de cet adolescent reçu dans son cabinet, puis faisant l’objet d’un signalement au juge des enfants qui le renvoie vers une mesure administrative  (Aide Sociale à l’Enfance) avant qu’il ne soit incarcéré pour un acte de délinquance et que l’éducateur-justice ne reprenne contact avec le thérapeute. Chaque champ d’intervention est trop imprégné par la logique de sa clientèle. L’enfant a besoin des différents niveaux d’intervention. Il faut dès lors dépasser la raison de chaque institution et s’engager dans une authentique synergie.

 

Pour une culture du partenariat

Le soin sans prise en charge éducative court à l’échec et réciproquement. Pour autant, le partenariat ne se décrète pas. Il a déjà été inscrit dans la loi de 1975 et est fortement réaffirmé dans le projet d’actualisation de cette loi qui est en cours aujourd’hui. En fait, il faut que cette collaboration interprofessionnelle ne dépende ni de personnalités données (elle ne survivrait alors peut-être pas à leur départ) ni à une seule exigence institutionnelle (qui pourrait alors rester un voeu pieux). C’est toute une culture du partenariat qui reste à créer qui puisse impliquer tous et chacun avec la conviction que la continuité entre les équipes et entre l’avant et l’après constitue l’un des ressorts thérapeutiques les plus importants.

Les intervenants à la journée du CREAI, qu’ils soient membres des CDES, de l’ASE, de le pédopsychiatrie, des établissements spécialisés, du corps médical, de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, du secteur habilité justice, de l’Education Nationale... ont convenu de se retrouver régulièrement pour continuer les échanges et d’organiser début 1998 3 journées d’étude pour faire le point sur l’avancée du partenariat.

 

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°393  ■ 10/04/1997

 

 

Les conditions du partenariat
Une étude effectuée au sein de l’Education Nationale a tenté de mesurer les résistances et obstacles au travail de collaboration avec d’autres partenaires. Parmi les facteurs identifiés, on peut noter particulièrement :
▪       les clivages et incertitudes institutionnelles: multiplicité des logiques, des décideurs et des financiers,
▪       implication de personnels différents tant au niveau de leur culture professionnelle, que de leur statut ou de leur salaire,
▪       discontinuité et incohérence entre les responsables du fait-même du nombre d’acteurs,
▪       manque de moyens supplémentaires tant au niveau financier que matériel et humain,
▪       communication difficile ou rare,
▪       peu d’information sur la réussite des projets partenariaux déjà engagés montrant que c’est techniquement possible, humainement positif et que les dysfonctionnements ne sont pas automatiques.
▪       résistance quant aux représentations: crainte de voir augmenter les contraintes horaires, de voir limiter sa liberté.
                       
Trois conditions sont nécessaires pour que les enseignants acceptent le partenariat :
▪       le coût : combien d’efforts vont être nécessaires, que va-t-il falloir abandonner pour quel gain ?
▪       l’instrumentalité : en quoi cela va-t-il aider le travail du professionnel ?
▪       la congruence : que va me renvoyer cette collaboration sur mon rôle, mon travail ?

Ce diagnostic appliqué à l’Education Nationale est-il si spécifique à cette institution ? Ou les autres institutions ne peuvent-elle pas se regarder dans ce descriptif comme on se regarde partiellement ou totalement comme dans un miroir ?

 

Les Instituts de Rééducation
Les Instituts de Rééducation ont été créés par la circulaire du 31 octobre 1989.
Ils se distinguent des Instituts Médico-Educatifs en ce qu’ils ne prennent pas en charge des enfants atteints de déficience mentale. Pour autant, comme les IME, l’admission en leur sein dépend de la C.D.E.S..
Ils ne se destinent pas non plus à recevoir des enfants en difficulté sociale comme le font les structures relevant de l’Aide Sociale à l’Enfance. Pour autant, comme dans ces derniers, il est fréquent que les enfants accueillis aient une histoire familiale chaotique.
Le public concerné se rattache à la problématique des troubles de la conduite et du comportement. Les difficultés d’apprentissage justifient une scolarité adaptée et la souffrance manifestée une prise-en-charge spécifiquement thérapeutique.
Leurs objectifs visent à l’autonomisation de l’individu et son intégration comme membre de la société. Cela signifie favoriser son épanouissement affectif, corporel, intellectuel, professionnel et donc familial et social. Leur  mission est donc globale et globalisante, abordant à la fois une dimension pédagogique, d’éducation spécialisée, de rééducation et de psychothérapie.
Pour autant, les critères d’admission constituent un fourre-tout où se retrouvent pêle-mêle attitudes et conduites anti-sociales, désordres psychiques de la personnalité et du caractère sans oublier la psychopathie, les états limites et les dysfonctionnements familiaux.
Un certain nombre d’Instituts de Rééducation ont souhaité se fédérer pour s’interroger sur leurs pratiques et élaborer des outils conceptuels en adéquation avec leurs missions et les publics accueillis (notamment en ce qui concerne les indications et contre-indications quant aux prise-en-charge). Créée en 1995, l’Association des Instituts de Rééducation continue ses travaux et appellent les établissements à la rejoindre afin d’élargir et d’enrichir ses réflexions.

Association des Instituts de Rééducation: 6 rue de Douarnenez 29200 BREST