« Passe-muraille » 1

Les jeunes, « Passe-muraille » et les autres...

Très régulièrement, la presse se fait l’écho des difficultés rencontrées par les adolescents: suicides, délinquance, explosions de colère dans les banlieues ... C’est toute une génération qui semble marquée par la désillusion et le désespoir. Les institutions classiques ne pouvant plus répondre à cette détresse, des lieux d’écoute et d’accueil se sont créés un peu partout en France. Ils se sont retrouvés les 25, 26 et 27 mars à Vannes pour réfléchir et confronter leurs expériences.

 

L’adolescence: quesaco 

Intervenir auprès des jeunes nécessite au préalable de s’interroger sur la notion d’adolescence. C’est ce que fit le colloque lors de sa première journée.

Pour Patrice Huerre, psychiatre, ce concept symbolise tout à fait notre incapacité à gérer le passage de l’enfance à l’âge adulte. La jeunesse a été historiquement identifiée d’abord à un danger, puis à une maladie, enfin à une forme d’étrangeté. Il ne faut pas chercher à apporter des réponses spécifiques à cette classe d’âge sous peine d’induire chez les jeunes des comportements symptomatiques qu’ils vont d’autant plus être tentés d’adopter que ceux-ci vont venir combler leur mal d’identité.

Bien différente est l’approche du sociologue Michel Fize, qui, malgré l’absence de sa discipline sur le terrain de l’adolescence jusqu’aux années 50, en revendique la place aux côtés de la médecine et de la psychologie afin de contribuer à renouveler les savoirs acquis. Pour lui, l’adolescence constitue bien une société communautaire largement imprégnée d’une culture de petit groupe: langage, goûts, valeurs, pratiques, aspirations  représentant une authentique personnalité culturelle à part.

Enfin, pour l’épidémiologiste Marie Choquet qui a dirigé une étude sur la santé des ados, les garçons donnent plus dans la violence là où les filles vivent plus des troubles liés à leur corps. Le sexe et l’âge sont des facteurs essentiels dans les comportements et conduites des jeunes.

Voilà des approches bien contradictoires: mais, où en est le « peuple » adolescent ? Va-t-il massivement bien ou globalement mal ? Répondre à cette question, c’est aussi prendre en compte nos propres inquiétudes adultes. Finalement, ce qui est en jeu, est-ce tant les transgressions commises ou plutôt notre propre seuil de tolérance à leur égard ? Pas vraiment de solution miracle, chacun pouvant concevoir ses propres réponses ...

A ce stade, il était intéressant de confronter les penseurs de la jeunesse à la population qu’ils étudient.  Pari risqué que de faire intervenir ainsi les sujets d’étude. C’est ainsi qu’une quinzaine d’adolescent(e)s se retrouvèrent sur la scène du Palais des Congrès de Vannes la deuxième journée de ces rencontres, face à d’éminents spécialistes de leur problématique.

 

L’adolescent et le droit

Premier angle d’attaque possible: le rapport à la loi.

Le professeur Jeammet  expliqua tout d’abord comment cet âge se manifeste comme un remaniement relationnel à l’égard des objets d’attachement de l’enfance. Etre soi, c’est alors se nourrir des autres tout en s’en différenciant. Ceux qui ont vécu une relation riche et valorisante avec leurs parents vont pouvoir supporter les frustrations liées aux règles de fonctionnement en société et les vivre comme une condition de leur liberté. Mais, pour celle ou celui qui a subi l’arbitraire de l’adulte et qui est dans le doute permanent et l’insécurité, la loi ne va pas faire sens. Pourtant, cette loi constitue le seul moyen de faire pièce au diktat du plus fort rappellera Catherine Glon, avocate. Il est temps d’en finir avec les pratiques judiciaires qui font de l’enfant le seul sujet à ne pas bénéficier d’un avocat et de tout ce qui s’y attache (confidentialité, indépendance de celui qui vous conseille, etc ...). Comment les ados pourraient-ils respecter les lois si leurs droits ne sont même pas reconnus ? Reynald Brizais, psychosociologue, mit en garde quant à lui, contre une spécificité des droits de l’enfant qui exluerait ces derniers du droit commun: donner la parole aux jeunes, n’est-ce pas une façon de ne pas les écouter ? Chercher à les comprendre, c’est aussi les engluer !... Entre l’autocratie et l’illusoire consensus, garantir le droit des adolescents, c’est bien plus leur apprendre à s’exprimer et à agir sur leur environnement en accédant à une citoyenneté qui ne peut reposer que sur le droit positif.

Sur la question du droit, le groupe d’ados posa des questions des plus percutantes: pourquoi les jeunes devraient respecter une loi quand celle-ci ne les respecte pas (à l’exemple de ces établissements qui ont sanctionné les élèves à cause de leur participation aux mouvements de grèves de décembre) ? La Convention Internationale des Droits de l’Enfant leur est apparue comme compliquée et assez rébarbative et en outre produit de compromis entre Etats. Pourquoi n’a-t-elle pas été écrite par les principaux intéressés ? Pourquoi autorise-t-elle à faire la guerre à partir de 15 ans ? Au-delà des réponses que les « spécialistes » ont pu apporter, d’abord en restant dans leur propre logique, puis en réussissant à mieux comprendre ce qu’on leur demandait, il reste des questionnements non-convenus et iconoclastes qui vont plus loin que les solutions proposées.

 

L’adolescent et les institutions

Le deuxième round vit un changement d’équipe du côté des adultes. Cette fois-ci, il s’agissait d’aborder la question des institutions.

Le sociologue Alain Vulbeau a commencé par un constat. Auparavant, c’était le jeune qui parlait qui posait problème, aujourd’hui, c’est celui qui ne dit rien ! Les adultes sont déstabilisés par le nouveau mode d’éducation qui s’est imposé au cours des années et qui est axé essentiellement sur l’écoute et les échanges. Faut-il revenir à l’autorité et à un cadre structurant ? Alain Vulbeau préconise tout au contraire de valoriser les espaces intermédiaires hors institutions qui peuvent jouer un rôle non négligeable pour permettre aux jeunes de trouver leur place face au monde adulte. Claude Maréchal, proviseur du lycée d’Epernay, s’inscrit quant à lui dans un optimisme militant. Face à la situation parfois compliquée dans laquelle se trouvent nombre de jeunes, il y a des marges de manoeuvre et même un espace de liberté possibles. A condition toutefois, de ne pas demander à l’Ecole de régler tous les problèmes de la société. L’Ecole doit s’engager aux côtés des familles co-éducatrices et des autres institutions dans une logique co-partenariale. Stanislaw Tomkiewicz, dans son style inimitable a rappelé les trois étapes successives que suit chaque institution: l’idéalisme révolutionnaire qui préside à sa naissance, la bureaucratie qui la guette quand elle n’a plus comme objectif que sa propre survie et enfin la décadence qui marque sa fin de parcours. Selon la période de son existence, l’institution est d’autant mieux ou moins bien placée pour réagir face à une jeunesse en pleine effervescence. Elle aura dès lors tendance à renvoyer vers cette dernière ses propres angoisses, alors même que celle-ci garde de tout temps la même turbulence non-conventionnelle (qui constitue d’ailleurs pour la société un signe de bonne santé).

Sollicité à son tour, le groupe d’ados tomba à bras raccourci sur le proviseur: normal, ils ont tant à dire sur l’Ecole qu’ils considèrent comme un lieu pas si épanouissant que cela. Certes, ce proviseur semble un éducateur qui manie avec dextérité la négociation et la démocratie au sein de son établissement. Peu importe ! Du moment qu’on en a un sous la main, il paiera pour les autres ! Cours ennuyeux, internat ressemblant à une prison absence de dialogue, incompréhension à l’égard des jeunes ... l’institution scolaire prit une volée de bois vert.

Pour autant, la mise en scène proposée entre de soi-disant adolescents et de supposés adultes a abouti à la dissolution de la catégorie « adolescence » pour laisser la place aux adolescents concluera le philosophe Saül Karzs. Une adolescente rajoutera: si devenir adulte c’est avoir suffisamment appris, on reste tous des ados puisqu’on n’a jamais fini d’apprendre!

 

Un lieu pour être écouté

Cette mise en perspective de l’adolescence et cette rencontre adultes/ados étaient destinés à préparer la troisième journée consacrée aux échanges entre près d’une quinzaine de lieux différents à travers la France qui se sont consacrés depuis quelques années à l’accueil et à l’écoute de jeunes en difficulté. Qu’il s’agisse de permanences téléphoniques, de lieux de rencontre, de structures d’aide aux adultes-ressources en contact avec les ados, de lieux médicalisés, de bus itinérant ou encore de lieux d’hébergement d’ados en fugue (disposant comme à Lille de 24 H avant d’être obligé de signaler la présence d’un mineur)... la plus grande diversité et le plus grand dynamisme caractérisent ces expériences. Pour illustrer néanmoins ces initiatives, on peut retenir l’exemple de Passe-Muraille, l’organisateur de ces rencontres.

C’est en 1989 que Philippe Bonnet Médecin-chef du service pédiatrie et Jean-Marc Vernis, Directeur du Centre Départemental de l’Enfance, conçoivent la nécessité d’unir leurs efforts dans une logique inter-institutionnelle pour créer un lieu banalisé destiné aux ados. C’est la naissance des « Passe-Muraille » qui ouvrent leur porte en 1991 à Vannes, en 1993 à Lorient et en 1995 à Pontivy. C’est avant tout un lieu d’écoute téléphonique doté d’un numéro vert. La progression des appels est impressionnante puisqu’elle passe à Lorient de 2510 en 1993 à 7500 en 1995. Bien sûr, il y a des appels fantaisistes et provocateurs qui cachent parfois des problèmes qui ne veulent pas se dire. Les pics d’appels culminent au moment des récréations scolaires, entre midi et quatorze heure et le soir. Si le jeune le souhaite, cela peut aboutir à un entretien soit avec un avocat, soit avec un médecin, soit avec des intervenants sociaux. Ce, bien sûr en toute confidentialité et gratuité. Les personnels qui constituent ces équipes sont mis à disposition par les administrations ou les associations qui les emploient.

Créées par des institutions, mais fonctionnant en dehors d’elles, la question qui se pose, c’est bien celle de leur devenir de ces structures. Faut-il unifier leurs pratiques à l’aide de textes législatifs qui apporteraient en plus d’une reconnaissance sociale, un financement moins aléatoire? Mais n’y a-t-il pas alors un risque  de leur voir perdre leur dynamisme et leur créativité ? Il apparaît néanmoins important de mutualiser (sinon fédérer) les techniques d’accueil et d’écoute. Ces premières rencontres auront permis de montrer que la diversité est aussi preuve de richesse. Gageons que de nouveaux rendez-vous permettront d’aller plus loin dans ces élaborations à peine esquissées à Vannes cette année.

 

Jacques Trémintin – Avril 1996

 

 

« T’es triste, t’es mal, tu souffres de violences de toute nature, crise pas agis ! » propose la plaquette d’information des Passe-Muraille. « Parfois, la situation est grave et te semble sans issue possible. Fais le premier pas. Téléphone-nous vite. En parler est déjà une première étape pour résoudre ces problèmes qui t’empêchent de vivre comme les autres. Tu ne connais pas toujours tes droits. Tu es peut-être victime de cette ignorance. Seul, accompagné d’un ami ou d’un membre de ta famille, dans l’anonymat, nous t’écouterons et ensemble nous étudierons les solutions possibles. Tu pourras prendre un premier contact, nous confier ton problème et décider avec notre aide de quelle manière agir. Un assistant compétent (conseiller social, juridique, médecin ...) sera toujours disponible pour te rencontrer et de guider dans les démarches nécessaires. Nous sommes là pour t’aider et te conseiller, mais tu resteras le seul maître de ta décision. »

 

Une virée, comme il y en a tant. Un groupe d’ados pique une voiture. Mais, cela se termine mal: accident, enquête de gendarmerie, puis audience devant le tribunal des enfants... Un enchaînement comment on en connaît trop souvent chez les jeunes les plus en difficulté. Sauf que cette fois-ci, cela se passe sur une scène de théâtre. Cette situation fait partie d’une pièce, montée par 40 adolescent(e)s. C’est Mado-Chatelain-Le Pennec de l’action-théâtre de Rennes qui en est le maître d’oeuvre. Mais ce sont les jeunes qui ont mis en jeu leurs inquiétudes, leurs conflits, leur soif de vivre. Une heure durant, parents « ni oui, ni non », enseignants, surveillants, avocats commis d’office et autres adultes sont ainsi croqués au travers du regard des jeunes. Puis, certaines scènes sont rejouées à nouveau, et les spectateurs invités à venir remplacer quand ils le désirent l’un des acteurs en position difficile. Cette technique du théatre-forum emporte toujours un vrai succès, alliant le ludique aux authentiques messages qu’il cherche à faire passer.

Contacts: Mado Chatelain-Le Pennec: Le passage 56450 St Armel Tél.: 97-43-91-73