Paroles d’enfant 2006 – Aider et se réparer

Faut-il avoir quelque chose à régler de sa propre histoire pour bien accompagner l’autre ? Ou bien est-ce là un handicap à prendre en compte et un mal dont il faut se méfier ? Autant de questions passionnantes sur lesquelles Parole d’enfants s’est penchée pendant deux jours (1).

Depuis que le soutien et l’accompagnement des personnes et des groupes sont devenus des professions, se pose la question des raisons de l’engagement des intervenants. La source de leur implication est-elle à chercher du côté du dévouement, de l’altruisme et de l’abnégation ? Ou ne serait-ce pas plutôt une forme laïque de sacerdoce, la recherche d’un sentiment de pouvoir sur l’autre ou une assurance tout risque contre l’angoisse de se retrouver seul, abandonné, négligé ?La profession d’aidant attire nécessairement une foule de personnalités qui ont besoin de combler leurs propres manques, explique en ouverture Claude Seron, maître de cérémonie du congrès. « Lorsque je m’intéresse à la misère, à la fragilité de l’autre, dans quelle mesure ne suis-je pas en train de me servir pour moi-même ? » se demandait Vincent de Gaulejac dans « Les sources de la honte ». Nos motivations les moins avouables sont souvent puissantes.  Avouées et acceptées, elles peuvent servir à mobiliser d’autres objectifs. L’important est que les bénéfices personnels que nous recevons dans notre travail d’accompagnement ne deviennent pas l’objectif premier de nos actions. Peut-on être la fois intervenant professionnel et adulte résilient ? Oui, affirme Marc Favez, qui parle en connaissance de cause, lui qui a été victime dans on enfance et qui est devenu adjoint de direction au service de Protection de la jeunesse du canton de Vaud en Suisse : l’un des objectifs de ceux qui travaillent dans la protection de l’enfance se situe bien dans le besoin de réparation personnelle. Cette réalité est pourtant largement occultée par les institutions. Les raisons en sont multiples. On peut évoquer pêle mêle la vertu judéo-chrétienne de la souffrance en silence ou l’enfouissement et l’oubli du traumatisme comme vecteurs de résilience (« de toute façon personne n’est capable de comprendre ce que j’ai vécu »). Mais aussi l’exposition à des attaques réductrices (est-il capable d’intervenir objectivement ?) et de risque de perte de crédibilité (c’est une ex-victime qui n’a pas digéré son traumatisme). Michel Lemay rapportera l’anecdote de cette rencontre internationale avec cinq spécialistes de la carence affective. Au cours des échanges, quatre d’entre eux reconnaîtront avoir vécu eux-mêmes la problématique sur laquelle ils travaillaient depuis des années. La preuve que de telles fragilités ne présentent pas que des risques. Certes, le désir de sauver l’autre peut se transformer en agression de ce dernier si l’on ne procède pas au déliement de ce qu’on a vécu soi-même et de ce que l’autre a vécu. Il y a alors un authentique danger de le kidnapper pour en faire son objet libérateur, une trop grande proximité dans l’expérience partagée et une trop grande identification à l’autre pouvant l’enfermer dans ses propres symptômes. Mais, il n’y a pas de lien automatique entre morbidité perverse et dépassement de soi. Il peut aussi il y avoir nombre d’avantages liés à la partie la plus saine de l’être humain : décupler les capacités empathiques, accroître la sensibilité et aiguiser les compétences intuitives, défier l’impossible, vouloir dépasser l’injustice et décupler l’engagement. Si le passé traumatique intervient donc dans la relation d’aide aux autres, c’est parce que l’élaboration psychique qui favorise la motivation des professionnels intervient très tôt dans la vie. Peter Rober, thérapeute familial, en situe l’origine dans la capacité de tout enfant à prendre en charge les besoins émotionnels de ses parents. Les scénarios qu’il met en ouvre pour les rassurer et les soutenir sont infinis : jouer à l’enfant parfait, faire le clown, devenir le mouton noir, tomber malade… Ce processus est tout à fait normal et sein, permettant au petit d’homme de développer son intérêt pour autrui et son sens des responsabilités. Cela peut aller de l’implication banale (surveiller bébé quand maman prend sa douche) à une parentification (essayer d’empêcher son père de boire, soutenir un parent dépressif) qui peut nuire à l’enfant, dès lors où elle l’installe dans des comportements qui non seulement ne relèvent pas de son âge, mais viennent compromettre son propre développement, ses propres loisirs et ses propres besoins. Des études ont démontré que les enfants parentifiés ont tendance à choisir une profession dans la relation d’aide. Cette configuration donne plutôt de bons thérapeutes, dotés de beaucoup d’humanité et d’empathie, de grandes ressources et de capacités à travailler avec les cas les plus graves. Le besoin d’être admiré et la tendance compulsive à donner seront compensés pour autant que la formation vienne polir et lisser les savoir-faire déjà intégrés. Dans la relation d’aide, nous sommes d’abord des guides et non des prophètes, rappellera Claude Seron. La responsabilité du guide consiste à aider à dégager les différentes alternatives possibles face à un problème tandis que celle du prophète est de trouver la solution qui marchera. L’objectif éthique sera atteint, dès lors que plutôt que de vouloir sauver l’autre patient, nous lui donnons les moyens de se sauver par lui-même.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°824 ■ 18/01/2007

 

(1) « Aider l’autre et se réparer » 23 & 24 novembre 2006, Paris, Palais de l’Unesco

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