CLICOSS 2008 - Se taire et parler

Entre le devoir de se taire et la nécessité de parler

Le secret professionnel est un thème récurrent chez les travailleurs sociaux. Le débat qui tente de le circonscrire peut être éclairé par bien des lanternes. C’est l’éthique et le droit qui apportèrent cette fois-ci leur éclairage dans l’une des journées de réflexion proposée annuellement par le Clicoss 93.
 
Le secret professionnel est mis à mal depuis quelques années, au nom même des principes qui l’avaient justifié, explique d’emblée Bénédicte Madelin, Directrice de « Profession Banlieue », co-organisatrice de la journée. Il est vrai que c’est le même intérêt de l’usager qui pousse à taire ce que l’on sait sur lui et qui amène des professionnels à communiquer entre eux à son sujet. Comment, en effet, présenter une demande d’aide financière, poser une candidature pour l’entrée dans un établissement, voire déposer un dossier de logement, en se contentant d’informations purement administratives ? Quel travailleur social n’a pas, un jour, repoussé les limites de la discrétion qui lui sont imposées par la loi pour être plus sûr de voir satisfaite la demande de l’usager ?

La plupart des personnes en difficulté sont prêtes à livrer leur intimité pour obtenir les aides souhaitées ou se faire reconnaître. Sommes-nous prêts à faire de même ? D’où l’intérêt de poser et reposer toujours la même question de l’étendue et des limites de ce secret professionnel. Non pour trouver une réponse définitive, mais pour que le partage de l’information ne se fasse pas dans la confusion, mais au bénéfice des situations de plus en plus complexes. Pour éclairer le débat, il peut être utile de poser les fondements du problème. C’est ce qu’a commencé à faire d’un point de vue éthique Jean Maisondieu, psychiatre connu pour ne pas donner dans la langue de bois, en élevant la question du secret professionnel au rang de première dimension citoyenne. Ainsi, a-t-il rappelé, l’instrument qui dit le mieux la démocratie, c’est l’isoloir. C’est à ce prix que le vote exprimé garde toute sa valeur. La prétention à la transparence dénote une tentative de toute puissance sur l’autre transformé en objet et non plus en maître de son destin. Je suis le seul à pouvoir dire « je » et personne n’a le droit de parler en mon nom propre, a-t-il continué. Et de rappeler le vieil adage de médecine du Docteur Louis Portes que le travail social pourrait faire sien : « il n’y a pas de médecine sans confiance, pas de confiance sans confidence, pas de confidence sans secret ».
 
 

Ce que dit le droit

Mais le secret professionnel a aussi une dimension juridique. La législation en la matière, explique Christophe, juriste et formateur en travail social, a commencé par le limiter à ce qui était explicitement confié. Il s’est ensuite étendu à tous les faits, informations ou documents dont le professionnel a eu connaissance dans l’exercice de sa fonction. Alors que le législateur avait jusqu’alors renoncé à évoquer la notion de secret partagé, trois lois récentes l’ont abordé d’une manière parfois confuse, sinon contradictoire. C’est d’abord la loi hospitalière du 4 mars 2002 qui précise que plusieurs personnes peuvent être amenées à échanger des informations relatives à un patient, quand il y va de sa prise en charge médicale et de la continuité des soins. La seconde loi est celle dite de prévention de la délinquance qui autorise dans son article 8, la levée du secret et la transmission d’informations à un coordinateur nommé par le Maire. Enfin, la loi portant réforme de la protection de l’enfance permet explicitement, elle aussi, ce partage. Ces trois lois posent chacune des conditions ou circonstances spécifiques à l’exercice du partage : pas d’accord préalable dans la loi hospitalière, mais la nécessité de vérifier qu’il n’y a pas d’opposition du côté du malade ; aggravation notoire de la situation, comme condition, dans la loi sur la délinquance ; obligation d’informer au préalable la famille et partage exclusivement entre personnes elles-mêmes tenues au secret professionnel dans la loi de protection de l’enfance.
 
 

Donner du sens

Pour Christophe Daadouch, ce grand flou quant à ces règles doit inciter à une plus grande prudence. Du côté des avantages d’un tel partage, il y a la possibilité de travailler sur la globalité de l’usager, d’articuler l’expertise des partenaires ou encore de mieux arriver à sortir de l’arbitraire, en confrontant les points de vue. Du côté des effets pervers, il y a le risque d’atteinte à la vie privée. Il y a aussi le mythe totalitaire prétendant vouloir tout savoir qui s’attaque au droit à l’oubli et à l’opacité. Il y a, tout autant, une forme de trahison quand la mutualisation des informations prive la personne de la liberté d’établir une relation de confiance bilatérale avec telle institution plutôt que telle autre, telle profession plutôt que telle autre, voire telle personne plutôt que telle autre. Et de proposer une ligne de conduite qui serait guidée par l’expérience d’un usager restant l’acteur et non l’objet de ce partage. Pour cela quatre questions doivent être posées en préalable à toute transmission d’information : pourquoi partage-t-on ? Avec qui ? Comment ? Quelle place donne-t-on à l’usager (autorisation, information préalable ou postérieure, présence physique) ? S’il est bien une idée force qui doit s’imposer en permanence, c’est bien que le travailleur social n’est que le dépositaire de l’information, l’usager en restant le seul et unique propriétaire.
 
Actes de la journée téléchargeables à compter de juin sur le site www.seine-saint-denis.fr (rubrique professionnels/clicoss)

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°955 ■ 07/01/2010