Assises de la protection de l’enfance - 2010

S’adapter pour mieux résister

Réunissant les professionnels de toute la France, les Assises de la protection de l’enfance continuent, année après année, à labourer les problématiques du secteur.

Les 28 et 29 juin 2010, se tenaient à Marseille les 4ème Assises de la Protection de l’enfance. Riches et denses, ces rencontres ont regroupé 1.400 congressistes, une salle annexe ayant du être installée qui ne permit toutefois pas d’absorber les 300 demandes en liste d’attente. Comment expliquer ce succès ? Les journées étaient certes soutenues par près de 25 associations et institutions regroupées autour du Journal de l’Action Sociale. Mais, la période de profondes mutations dans laquelle nous nous trouvons y est sans doute aussi pour beaucoup. Jean-Louis Sanchez évoqua d’ailleurs d’emblée la période de grande fragilité que connaît notre société, tant au niveau identitaire que du lien social. Le directeur éditorial du JAS n’hésita pas à pointer l’effet de cette crise sur les professionnels, crise qui pourrait s’avérer destructrice, mais aussi stimulante, pour autant qu’elle soit l’occasion de revisiter nos postures et nos certitudes.
État des lieux pessimiste
La première dimension de cette vulnérabilité, on la trouve dans la remise en cause de l’État providence qui déstabilise, année après année, un secteur s’adressant à plus de 300.000 enfants, mobilise un budget de six milliards d’Euros. Didier Lesueur, directeur général de l’ODAS dressa un tableau peu encourageant, évoquant le différentiel entre la progression respective des charges nettes des départements en matière sociale (+ 6,8 % en 2008) et de leurs recettes réelles (+ 1,6 %). On est bien là dans une logique de ciseaux dont les lames s’écartent inexorablement, toujours un peu plus, chaque jour. La croissance des postes budgétaires consacrés non seulement au RSA, mais aussi au handicap ou aux personnes âgées se rajoutant aux dépenses de protection de l’enfance, est proportionnelle à la réduction des ressources liée à la suppression de la taxe professionnelle et aux réformes des collectivités locales. Et d’en appeler, face à ces contrainte budgétaires, à un mouvement d’adaptation vital. Les mécanismes financiers à l’oeuvre depuis vingt ans privilégiant l’enrichissement personnel sur la redistribution sociale, sont en cohérence avec cette société décrite par Alain Grevot, Directeur de service à l’association JCLT. Nous nous individualisons de plus en plus et devenons de plus en plus rétifs à tout contrôle, explique-t-il, tout en étant de moins en moins tolérant au moindre dysfonctionnement. On exige des intervenants qu’ils réussissent à penser l’impensable et ce, sans jamais faillir. Et, l’on n’hésite plus à remettre en cause leur expertise.
 

La souffrance des intervenants

Maryvonne Caillaux est venue confirmer cette situation : si les intervenants se donnent pour objectif d’aider les familles, deux facteurs vont à l’encontre de cette ambition. Le rejet des familles, tout d’abord, qui les perçoivent avec défiance. Leur propre difficulté, ensuite, à faire face aux injonctions paradoxales qu’ils reçoivent de la part d’une société les confrontant à des postures à la fois de bienveillance et de contrôle. Sans compter leur impuissance à remédier à certaines situations. Pour être efficace dans la relation d’aide, il faut croire dans les personnes que l’on soutient. Mais pour y parvenir, encore faut-il aller soi-même suffisamment bien… Au moment où une certaine morosité et une forme de désenchantement émergent chez les professionnels, la déléguée d’ATD Quart monde rappellera que si le désarroi subi peut détruire, il peut tout autant devenir un atout, dès lors qu’on le travaille. Cette tendance au découragement sera confirmée par Martine Lamour. Pour cette psychiatre, ce qui épuise les professionnels, c’est la confrontation empathique avec la souffrance tant des parents que des enfants, tout autant qu’avec un monde aux repères en pleine mutation. Le fonctionnement en miroir avec les usagers menace en permanence l’intervenant, avec ce que cela implique en terme de violence des éprouvés. Mais, exprimer sa souffrance, c’est se heurter au dogme du maintien de la bonne distance et de la nécessité de contrôler ses émotions.

Changer de braquet

Le modèle de l’État providence est-il donc indépassable ou peut-on penser autrement le travail social ? A cette question, Chantal Cronier répond par une proposition de changement de direction. Le modèle traditionnel favorise la dimension individuelle et réparatrice, affirme la Directrice de l’IFTS d’Echirolles. La voie de l’action collective, si peu empruntée encore aujourd’hui, présente l’avantage de s’appuyer sur les compétences des usagers. Et de se référer au principe d’Ashoka : « nous avons moins besoin d'une baleine - l'État que de bancs de poissons agiles et créatifs ». Monique Sassier, médiatrice de l’Éducation nationale, chargée d’une synthèse des ateliers, dressera différentes pistes destinées à nouer un nouveau pacte de confiance entre les institutions, parmi lesquelles la création de différents lieux à vocations multiples et complexes. Ainsi, de structures de confrontation opérationnelle ou d’espaces éthiques, abordant les risques qui permettaient de dépasser les frontières séparant trop souvent encore les différents acteurs. Le travail social, qui s’est si souvent montré par le passé créatif et innovant, doit pouvoir réagir au défi de l’adaptation que lui lance la société. S’il est bien un chantier qui s’ouvre à lui, c’est celui de l’intelligence collective à mettre en oeuvre.

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°991 ■ 28/10/2010