Les 7-12 ans: un âge à redécouvrir

La classe d’âge des 7-12 ans semble être la période de l’enfance de l’homme la plus négligée. En effet, si les rayons des bibliothèques ploient sous le nombre de livres consacrés aux petits ou aux adolescents, les « moyens » font l’objet de bien peu d’études. Leur sérénité apparente en a fait le parent pauvre des recherches tant psychologiques que sociologiques. Pourtant, cette étape de la vie constitue un moment essentiel dans l’acquisition des connaissances et des modalités de socialisation, ainsi que dans la formation de la personnalité. C’est là aussi qu’on trouve les gros bataillons des centres de vacances et de loisirs. Mieux appréhender cette époque de l’enfance pour mieux répondre à ses besoins, c’est là le défi que nous proposons de relever au lecteur qui lira ce dossier.

 

Peut-on distinguer dans l’existence humaine plusieurs périodes ?

De nombreux auteurs et de multiples écoles ont tenté de répondre à cette question en décrivant différentes étapes du processus de maturation qui mène l’homme de l’état de nourrisson à celui d’adulte. Ils ont tenté de repérer tel moment fort, telle période en apparence cruciale, telle phase charnière qui marquaient l’apparition et la maîtrise d’un comportement nouveau. Mais, ce découpage de l’être humain en stades est toujours un acte arbitraire. Tout d’abord, parce que les acquisitions ne se font jamais d’une manière complète et définitive. Des régressions sont fréquentes. Ensuite, parce qu’il y a parfois décalage entre les attitudes adoptés et les aptitudes réelles. Encore, parce que chaque individu est unique et se développe le plus souvent à son propre rythme en refusant de se laisser si facilement enfermer dans une modélisation qui se voudrait universelle.

Pour autant, on est sûr d’une chose, c’est que le petit d’homme semble aller de l’avant et partir d’une masse indifférenciée de sensations et d’excitations dans les premières semaines de sa vie pour atteindre à un certain moment la pleine maturité de ses capacités et finir par entrer de nombreuses années plus tard dans une période de décroissance progressive de ses facultés. Et c’est bien cette progression globale dont il s’agit de repérer la dynamique et la mouvance.

Cette longue introduction est utile en ce qu’elle nous permet de relativiser les indications que nous allons développer par la suite et décourager -du moins l’espérons-nous- le lecteur d’une application rigide et instrumentale des modèles proposés. Il est essentiel de se garder d’une normalisation des conduites. Quand nous allons dire ce qui se passe chez les 7-12 ans, nous n’allons pas affirmer ce qui doit se passer pour être normal, au risque de faire passer celle ou celui qui ne correspondrait pas aux critères exposés pour quelqu’un d’inadapté. Non, nous allons décrire ce qui se déroule à partir de l’étude moyenne de cette population menée par des chercheurs et des spécialistes de l’enfance. L’être humain possède bien heureusement, une richesse intérieure, une capacité d’adaptation et des potentialités fantastiques qui lui permettent d’innover et de s’épanouir en se moquant parfois bien des prédictions théoriques et des présentations abstraites.

 

La « période de latence » de Freud

Ces quelques précautions prises, nous allons pouvoir nous appuyer sur les modèles élaborés par un certain nombre de théoriciens. Leurs travaux permettent d’éclairer les comportements et attitudes de l’enfance en donnant du sens à ce qui autrement, pourrait rester bien obscur. En tout bien, tout honneur, nous allons commencer par Sigmund Freud. On lui doit tout particulièrement la conviction que les 7-12 ans vivent une période paisible et sereine. Pour faire simple, on rappellera que le père de la psychanalyse a bâti sa théorie à partir de la manifestation et du mode d’expression du désir et du plaisir sexuels, ce qu’il appelle l’énergie libidinale. Ainsi, les cinq premières années de l’existence de l’être humain suivent, selon lui, trois étapes spécifiques qui commencent par le stade oral (la première année), suivi par le stade anal (2 et début 3ème année) , puis  le stade phallique (3ème et 4ème année). En franchissant ces différentes périodes, l’enfant découvre successivement les zones de plaisir de son corps (les muqueuses de la bouche, puis de l’anus, enfin ses parties sexuelles) et termine la première grande phase de sa vie par une intense attirance amoureuse pour le parent du sexe opposé (le complexe d’Œdipe vers 5  ans). Freud affirme que c’est à partir des modalités d’intégration ou au contraire de dysfonctionnement dans l’assimilation de cette énergie libidinale dans la toute petite enfance que vont surgir les névroses et psychoses qui constituent les difficultés ultérieures de l’âge adulte. Cette phase essentielle s’arrête, pour lui, à 5/6 ans. La période qui suit et qui s’étend entre 7 et 12 ans est au contraire marquée par un endormissement relatif de l’énergie libidinale qui est compensée (sublimée) par des investissements en matière de socialisation, d’apprentissage et de curiosité intellectuelle : l’enfant intègre les interdits et adopte les comportements culturellement demandés. Il consacre l’essentiel de son énergie aux apprentissages scolaires et s’ouvre de plus en plus au monde. Freud nomme cette époque de la vie de l’enfant la « période de latence ». Les pulsions sexuelles sont engourdies, mais restent prêtes à se réveiller. Elles le feront avec  parfois beaucoup de violence à l’adolescence. L’influence majeure exercée par la psychanalyse dans notre pays et sa large médiatisation ont pesé sur la vision que portent sur les « moyens » les professionnels de l’éducation et les soignants, les parents et toutes les personnes en contact avec les enfants. Cela se concrétise pour cette classe d’âge, par la large place qui leur est accordée par le monde des adultes au travers tant des apprentissages que des activités qui favorisent leur socialisation. Et cela fonctionne dans l’ensemble fort bien.

 

Le stade des « opérations concrètes » de Piaget

Cette conviction d’une longue période consacrée à l’acquisition de la pleine capacité intellectuelle a été renforcée par les travaux d’un psychologue suisse qui a travaillé toute sa vie sur la façon dont la connaissance et le sens moral viennent à l’enfant : Jean Piaget. Lui aussi, a découpé l’être humain en plusieurs stades et sous-stades. Pour faire simple, là encore, on retiendra la distinction qu’il fait d’abord de ce qu’il nomme le stade sensori-moteur entre 0 et 2 ans au cours duquel, l’intelligence se développe à partir des activités motrices et sensitives du bébé. Puis vient le stade des opérations concrètes qui privilégie les actions concrètes et matérielles et qui nous intéresse tout particulièrement, puisqu’il s’étend de 2 à 12 ans. Au-delà des 12 ans, s’ouvre le stade hypotético-déductif qui privilégie le maniement des hypothèses et des raisonnements détachés de la réalité concrète et immédiate et l’accès à l’abstraction. Entre l’époque où l’enfant découvre le monde en le touchant, en le portant à sa bouche, en utilisant ses sens et celle où il va pouvoir tenir des raisonnements abstraits, se situe la période que nous allons développer ici et qui amène l’enfant à s’appuyer moins sur  son intuition que sur les déductions liées à la logique et à la rationalité. Ainsi, par exemple, entre sept et douze ans, c’est progressivement que l’enfant acquière les notions de conservation de quantité, de poids et de volume. Vers  sept ou huit ans, il réagit positivement à l’expérience de transvasement d’un liquide. Jusqu’alors, la même quantité d’eau qui était transvasée d’un récipient large (type verre à whisky) dans un récipient étroit (type flûte à champagne) lui donnait l’impression qu’il y en avait plus dans le second. Dorénavant, il comprend que c’est la même quantité. Vers neuf-dix ans, il comprend que le poids d’une même masse de matière ne change pas selon la forme adoptée. La même portion de pâte à modeler, qu’elle soit roulée en boule ou aplatie en galette pèse le même poids, ça y est, il l’a compris. Mais il faut attendre onze ou douze ans pour que l’enfant arrive à dissocier le poids du volume. C’est donc à la fin de cette période de l’enfance, que la fameuse devinette pourra être élucidée : « qu’est-ce qui pèse le plus lourd, un kilo de plumes ou un kilo de plomb ? » Jusque là, la densité supérieure de l’un par rapport à l’autre fera fréquemment se tromper l’enfant. S’il est fréquent de parler de la septième année, comme étant l’âge de raison, l’enfant a néanmoins du temps devant lui avant d’acquérir la pleine capacité d’appréhension de la réalité. C’est là une évolution logique qui ne peut être précipitée.

 

La vision du monde des 7-12 ans

Jusqu’à six sept ans, l’enfant est très marqué par une conception réaliste du monde. Il n’a pas accès à l’abstraction. C’est petit à petit, en grandissant, qu’il va admettre que le monde ne se limite pas à ce qui est perceptible directement par les organes de ses sens. Progressivement, il va aussi renoncer à l’animisme qui jusqu’alors lui faisait attribuer une conscience aux objets : « s’il pleut, c’est que les nuages font pipi » affirmait-il avec grand sérieux. On pouvait encore donner une fessée à la table qui lui avait fait mal quand il s’était cogné à elle. Là, il comprend qu’elle est animée d’aucune volonté malfaisante. Mais cette évolution est graduelle et l’enfant peut continuer à y croire encore quelques temps, mais plus comme un jeu ou un pied de nez à ses convictions antérieures. Il ne va pas se mettre à modifier son rapport au monde brutalement. A l’image de la croyance au père Noël. Fréquemment, lorsqu’il apprend que c’est une fiction, il veut néanmoins continuer à y croire, de peur qu’en reconnaissant ce qu’il vient de découvrir, disparaisse par la même occasion la tradition des cadeaux. C’est là l’un des modes de raisonnement qui va aussi s’estomper. L’enfant a cru jusqu’alors à des liens systématiques entre des événements contigus qui le concernaient de près. Par exemple, il se mettait très en colère peu de temps avant qu’un orage gronde et se pensait responsable du fracas du tonnerre. C’est le mécanisme de la transduction qu’on retrouve à l’œuvre, parce exemple dans les situations de divorce parental, au cours desquelles, l’enfant se croit parfois responsable de la séparation « parce que j’ai été méchant ». Là aussi, cette vision s’estompe et il lui apparaît que le rapprochement de deux phénomènes proches dans le temps ne sont pas forcément reliés ni dans leur cause, ni dans leur nature. Subsiste néanmoins une conception finaliste qui tente de trouver un sens et une raison d’être à toute chose. Tout phénomène doit pour lui trouver une explication, d’où sa grande curiosité à tenter d’en percer le secret.

 

Une socialisation nouvelle

Le petit enfant reste pour l’essentiel centré sur lui-même et sur sa famille. Quand il joue en crèche, ou à la maternelle, il le fait plus à côté des autres qu’avec les autres. Il lui est impossible de respecter des règles ou de vraiment faire de la place à l’autre. A partir de six ou sept ans, il est plus disponible pour investir le monde qui l’entoure et tout particulièrement ses pairs. Il redécouvre l’univers dans lequel il vit et les êtres qui le peuplent. Il est, en outre, du fait du développement de ses nouvelles aptitudes, attiré par des activités qui mettent en œuvre ses capacités physiques ou intellectuelles. Ses choix relationnels ne se font plus en fonction de l’activité du moment, mais fonctionnent sur la base d’une véritable sélectivité. C’est d’abord des congénères du même sexe qui sont privilégiés. Les garçons jouent entre eux, les filles entre elles. Les jeux se sexualisent. Ils forment la base d’une socialisation nouvelle en ce qu’ils s’appuient sur le relation de groupe : rivalité et lutte servent alors de base à la relation à l’autre et à la prise de responsabilité. C’est aussi l’époque où commencent les grandes amitiés de l’enfance que l’on retrouvera sous une autre forme (et une autre fonction) à l’adolescence. On comprend dès lors l’importance que peuvent prendre les activités de centres de vacances ou de loisirs. Tout ce qui s’y déroule va contribuer à développer un type de personnalité. En complémentarité ou en opposition avec les autres lieux de socialisation, l’équipe d’animation va développer chez l’enfant le sens de la solidarité ou du chacun pour soi, le partage ou l’appropriation, la reconnaissance de l’autre ou l’égoïsme, la complicité ou la rivalité, la tolérance ou le rejet de ce qui n’est pas comme soi. Cette longue période qui s’étend entre sept et douze ans est l’occasion pour l’enfant de se forger une relation au monde qui perdurera tout au long de sa vie. La famille, l’école, les clubs sportifs apportent des modèles de développement à partir desquels il se structure. L’animateur, l’animatrice jouent un rôle non négligeable dans ce processus qu’il lui faut assumer en toute connaissance de cause.

           

L’accès au sens moral

La notion du bien et du mal constitue un facteur essentiel dans le maintien d’une relation sociale où chacun trouve sa place. Dès les premières années, l’enfant est invité à respecter un certain nombre de règles de vie en société : ne pas taper, ne pas voler, ne pas dire de gros mots, être poli etc … Un certain nombre d’adultes n’hésitent à faire eux-mêmes ce que, par ailleurs, ils interdisent à leur enfant : papa qui jure quand il conduit, maman qui donne la fessée, l’animateur qui, à bout, insulte son groupe d’enfant… Cela n’est pas très cohérent et donne l’impression à l’enfant que ce qui compte, c’est surtout de devenir grand pour pouvoir réaliser ce qu’il ne peut pas faire étant petit ! 

Jean Piaget a beaucoup travaillé sur cette question de l’acquisition du sens moral. Il a ainsi pu distinguer trois stades d’une progression qui suit le développement cognitif : la morale hétéronome (basée sur la soumission aux règles de l’adulte), la morale de la coopération et de la réciprocité (basée sur la valeur du respect mutuel) et la morale autonome (les valeurs sont intériorisées et modifiables en fonction de circonstances particulières).

Un autre psychologue, Lawrence Kohlberg, a poursuivi les travaux de Piaget, proposant une nouvelle théorie du développement moral. Il distingue trois niveaux de jugement comprenant chacun deux stades

Tout d’abord la moralité pré-conventionnelle (entre 4 et 13 ans). L’enfant se plie alors au contrôle extérieur des conduites. Il va se conformer aux règles et à l’autorité en premier lieu pour éviter la punition (stade 1) puis par intérêt personnel en regard de ce que l’autre va lui procurer en retour (stade 2).

Il distingue ensuite la moralité conventionnelle (de 13 à 20 ans). Progressivement le contrôle des conduites passe de l’extérieur vers l’intérieur. L’individu cherche à plaire aux autres et à recevoir leur approbation (stade 3). Puis il agit par devoir, par respect de l’autorité supérieure et du maintien de l’ordre social (stade 4).

Dernier niveau, celui appelé par Kohlberg, la moralité post-conventionnelle (à partir de 20 ans). Le contrôle des comportements est intérieur et inclut le conflit possible entre deux normes. Ce sont des critères rationnels et démocratiques qui tiennent compte des lois et du bien-être social qui vont régir la décision (stade 5). Mais il peut aussi il y avoir mise en conformité avec des principes éthiques intériorisés (stade 6).

Les recherches ont démontré que la majorité des citoyens adultes se maintient à la moralité conventionnelle (niveau II), 20 à 25% en reste à l’état pré-conventionnel (niveau I) et 20 à 25% atteignent un jugement post-conventionnel (niveau III). L’enfant en est donc encore au niveau de la soumission aux règles et normes qui lui sont imposées par l’adulte.

 

Estime de soi, continuité et discontinuité

Pour se développer d’une façon harmonieuse, l’être humain a besoin de deux ressorts : une estime de soi gratifiante qui lui donne envie d’exister et de rentrer en relation avec l’autre et une individuation lui permettant de se séparer des celles et de ceux qui l’élèvent et ainsi de rentrer en relation avec le reste du monde.

L’estime de soi est directement alimentée par l’amour, l’intérêt, l’attention que portent les adultes signifiants pour l’enfant (parents, instituteurs, éducateurs sportifs, animateurs …). C’est la base de sécurité à partir de laquelle il va se sentir capable d’aller affronter le vaste monde. Il n’est rien de plus déstructurant que de l’inonder de jugements négatifs : « tu es un bon à rien », « tu ne seras jamais capable de rien faire », et autres « tu es nul ». Certains adultes croient qu’ainsi, ils vont stimuler l’enfant. En le noyant dans ces images stigmatisantes, ils prennent, tout au contraire, le risque de le voir se construire autour de ces représentations et de tenter de s’y  conformer : « celui qui m’aime me voit comme un moins que rien, pour ne pas le trahir, je vais me comporter comme il m’imagine » raisonne alors l’enfant. Il est essentiel qu’on lui renvoie une image inconditionnellement positive sur ce qu’il est, ce qui n’empêche pas de lui reprocher telle attitude ou tel propos. Il ne faut jamais identifier l’individu à ses actes. Il peut agir de façon minable et on peut le lui dire, mais cela ne fait pas de lui un minable !

L’autre ressort est bien celui qui va permettre l’individuation. L’être humain a besoin tant de se sentir relié à l’autre par un lien d’amour (ses parents, sa famille, son(sa) meilleur(e) ami(e), son(sa) conjoint(e) …), que de vivre autonome à son égard. Ce double mouvement de rapprochement et d’éloignement est tout particulièrement important entre 7 et 12 ans, à un âge où se joue une socialisation qui va être déterminante pour le reste de l’existence. Il faut que l’adulte soit dans une continuité suffisante de soins et d’affection qui apporte à l’enfant la sécurité et  la constance nécessaires à sa croissance physique et psychique. Il faut aussi que l’enfant bénéficie de la discontinuité suffisante de ce même adulte pour lui permettre d’aller chercher ailleurs ce qui va lui manquer. Parce que l’adulte qui est en relation avec lui à un moment donné n’est pas parfait, le petit d’homme va aller chercher le complément de ce qui lui manque vers quelqu’un d’autre. Si l’adulte ne sait pas garantir suffisamment de discontinuité, on se retrouvera dans une problématique par trop fusionnelle. Si, au contraire il ne peut proposer le minimum de continuité, on est alors dans une dynamique de carence affective. Tous les animateurs-animatrices connaissent bien ces profils d’enfants incapables d’établir une relation sereine avec l’autre, soit parce qu’ils ne peuvent se décoller d’eux (après avoir eu du mal à se séparer du parent qui est venu les accompagner au centre), soit parce qu’il entre dans des stratégies  tant de séduction que de conflits pour essayer d’obtenir un tant soit peu de cette attention et de cette affection qui leur manquent tant par ailleurs.

 

Loin des périodes un tant soit peu plus compliquées de la petite enfance et de l’adolescence, le temps de l’enfance semble constituer un moment particulièrement serein et épanoui. Cette étape de la vie est marquée par des ressorts qui ne se représenteront jamais plus ainsi. La spontanéité et l’innocence le disputent à la fragilité et à la curiosité. La non-responsabilité, le non-choix et la non-maturité l’emportent sur un engagement qui pèsera tout au long de la vie adulte avec son cortège d’exigences et de lourdes conséquences. La non rationalité et l’aptitude au jeu sont une fantastique source de créativité qui sera bien vite épuisée par le triomphe ultérieur de la raison. Il est essentiel de préserver et de protéger cette période de l’existence qui apporte à l’être humain la garantie d’une maturation tranquille et progressive. Il ne faut pas tenter de faire mûrir trop vite l’enfant de cet âge là, au prétexte de le préparer à la vie. Mieux vaut respecter son rythme et son évolution. L’insouciance garde bien des attraits, l’allongement de la vie laissant amplement le temps de profiter de l’âge adulte. Malheureusement, les soucis de la préadolescence semblent poindre de plus en plus tôt. Il ne faudrait pas que le mouvement qui incite à respecter à juste raison les droits des enfants serve de prétexte à remettre en cause le droit à l’enfance, tant ce passage apparaît indispensable à l’équilibre ultérieur de l’adulte.

 


Fiche pratique : comment faire face aux difficultés de séparation ?

La séparation fait partie de la logique de l’enfance : elle constitue un élément fondamentalement organisateur du développement et de l’autonomisation de l’individu. Crèche, école, changement de classe, centre aéré etc … l’enfant connaît au cours de sa vie de nombreux moments de départ et d’arrivée qui lui permettent de rencontrer des figures référentes à chaque fois différentes (copains, adultes, lieux familiers). Ce sont des épreuves qui peuvent être vécues d’une manière à la fois douloureuse, mais aussi de façon maturante. Chaque rencontre est l’occasion pour l’enfant de rejouer la socialisation qui passe par sa reconnaissance par l’autre comme sujet singulier mais aussi par l’acceptation de l’autre.  Cette multiplication de moments de rencontre qui l’amènent à rentrer en relation avec diverses personnes l’habitue à devenir disponible à un nouveau contexte et à travailler à faire sa place. Ce sont toutes les manifestations de cet aller-retour entre soi et l’autre que l’on peut vivre en contact avec les enfants. Il n’est pas anormal que l’enfant ou le parent vivent des difficultés face à cette séparation. Il faut dans un premier temps ni banaliser, ni culpabiliser ces manifestations. Beaucoup de choses s’y jouent. Peur de l’abandon, test de par et d’autre pour vérifier si l’on est aimé, conséquences d’une relation par trop fusionnelle. Il n’est pas rare de constater que l’enfant verse des larmes aussitôt ravalées quand le parent a tourné la porte … forme de loyauté qui lui est adressée mais qui disparaît bien vite, quand il n’est plus là. Il faut savoir reconnaître la difficulté à se séparer. Il faut tenter aussi de la décoder. On pourra ensuite y apporter toute l’attention requise, en travaillant tout particulièrement les modalités d’accueil qui permettront d’accompagner les difficultés à assumer cette situation. Cela peut se concrétiser dans l’aménagement de rites d’accueil, puis de départ du parent. Ce peut être par exemple le faire entrer dans le centre jusqu’à la salle d’activité, le faire participer éventuellement au début des animations. C’est aussi compenser le vide qu’il laisse par une prise en charge plus individualisée de l’enfant durant les premières minutes, vite relayée par l’activité avec les petits copains ou copines. C’est en tout cas là vrai problème, une vraie souffrance qu’il faut prendre en compte dans le projet pédagogique du centre.

 


Fiche pratique : comment faire face aux difficultés de socialisation ?

L’être humain étant avant tout un être social, exister pour lui, c’est se confronter à l’autre. Les conflits et les heurts jouent un rôle majeur dans une socialisation qui prend alors la forme d’une agressivité structurante : c’est contre l’autre que l’enfant se construit. Tout adulte, et tout particulièrement l’animateur qui a à s’occuper en moyenne d’une dizaine d’enfants est perçu comme parent protecteur dont il s’agit d’attirer l’attention, au besoin en rivalité avec ses pairs.

La coopération qui s’établit progressivement au sein du groupe d’enfants, se heurte toutefois à un certain nombre de particularités qui sont inhérentes à cette classe d’âge, et qu’il s’agit de prendre en compte comme des étapes incontournables qu’il faudra aider à dépasser. Et, tout d’abord, cet égocentrisme marqué par la difficulté de se mettre à la place de l’autre. L’enfant agit en fonction de son intérêt, sans réussir à voir en quoi cela peut nuire à l’autre. Cet égoïsme « naturel » doit être progressivement contré. Mille fois, il faut redire les mêmes choses, expliquer la nécessité de tenir compte du petit copain d’à côté. C’est là un travail de longue haleine. Ce n’est pas tant une question de mauvaise volonté de la part de l’enfant. Petit à petit, il va intégrer les nécessités liées à la vie en société. Autre écueil, cette hétéronomie qui lui fait accepter les règles non pas en les comprenant, mais uniquement parce qu’elles viennent de l’adulte qui les lui imposent. Il lui faudra de longues années avant de les assimiler et de ne plus avoir besoin d’être sous tutelle pour les accepter. Enfin, il y a ces pulsions qui le dominent encore et qu’il va devoir apprendre à contrôler. Pour l’heure, ce qui l’emporte c’est encore cette instabilité du caractère : tendance à l’impulsivité et à l’emportement. Ce descriptif que nous venons de faire de l’enfant de 7 à 12 ans n’est bien entendu pas spécifique à lui. Nombre d’adolescents et parfois d’adultes n’ont pas toujours réussi à dépasser ces types de comportement. D’où l’importance d’accueillir ces attitudes avec patience et saisir chaque occasion où elles se manifestent pour aider l’enfant réguler un fonctionnement qui s’il est encore toléré à son âge, lui posera de gros problèmes un peu plus tard.

 


Fiche pratique : les enfants sont-ils trop rêveurs ?

Dans notre monde tourné vers la compétitivité et l’efficacité, il semble ne plus il y avoir de place pour la rêverie, considérée comme contre productive et inutile. C’est, pourtant, là un élément essentiel de la construction de la personnalité de l’enfant. Celui-ci est, en effet,

animé de pulsions et de forces intérieures qu’il va devoir apprendre à contrôler s’il veut non seulement être admis dans la société, mais aussi accéder au monde adulte. Ce dont il s’agit, c’est donc bien d’une maîtrise de soi : dominer ses tendances agressives et égoïstes constitue un long cheminement. L’imaginaire est là pour établir un pont entre les fantasmes par définitions sans frontière et une réalité qui impose des limites. Il permet à l’enfant d’apprendre à reconnaître sa vie interne et à maîtriser le monde externe. C’est par l’imaginaire que le bébé compense l’angoisse qui l’assaille au moment où sa mère disparaît de son champ de vision. C’est par l’imaginaire que l’enfant se représente les situations auxquels il est confronté, avant de l’être effectivement. D’où l’importance de favoriser le récit, et le rêve qui sont des moments finalement de travail intense. Un enfant que l’on surprend dans la rêverie n’est pas un sujet qui perd son temps mais qui se construit. Le jeu intervient tout particulièrement comme support de projection et de socialisation de l’enfant. Il permet de contrôler son agressivité, de se confronter à autrui et constitue un moyen pratique de compromis entre son désir et la réalité.


 

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°13 ■ nov 2000

 

 

Bibliographie

« ABC de la psychologie de l’enfant » Corinne Morel, édition Jacques Grancher, 1999, (269p)

L’ouvrage de Corinne Morel n’est pas consacré exclusivement à la connaissance des « moyens ».  Il couvre l’ensemble de l’enfance et ce, du bébé au grand adolescent. L’ouverture d’esprit dont fait preuve l’auteur (qui propose une large présentation des nombreuses écoles psychologiques qui ont essayé d’éclairer cette période de la vie de l’homme), la simplicité de ses explications et la pertinence de ses propos font de ce livre un document à conseiller en priorité. La partie qui s’intéresse à « l’enfant de six à douze ans » insiste tout particulièrement sur le développement psycho-affectif et intellectuel de cette classe d’âge. En annexe, on  trouvera des réflexions fort intéressantes portant sur des aspects très pratiques : comment apaiser les angoisses, les pleurs, l’agressivité, mais aussi comprendre l’importance du jeu, du dessin ou des contes de fée dans la vie de  l’enfant.

« 5-12 ans : les enfants et leur enfance » Michel Richard, 1998, (104p)

Les éditions Chronique Sociale ont publié quatre petits livrets pratiques et très facilement consultables qui recouvrent toute la période de la petite enfance à l’adolescence. Parmi ceux-là, l’ouvrage de Michel Richard consacré aux 5-12 ans. C’est la crise de l’Œdipe qui caractérise le début de cette période : la répression des pulsions et leur sublimation, le bornage des représentations inacceptables et l’intégration des valeurs morales permettent le passage de l’imaginaire au symbolique, de la dépendance à l’indépendance et de l’immaturité à la maturité. L’accession à un compromis stable et harmonieux débouche sur une longue période dite de latence, marquée par une grande sérénité, une sociabilisation importante, ainsi qu’un grand investissement intellectuel. Du narcissisme autocentré, l’enfant évolue vers la nécessité de partager et d’accepter l’autre. Les modalités d’apprentissage social qui s’amorcent alors compteront pour le reste de la vie. La relation avec le monde extérieur prend le relais de la relation parentale. L’enfant acquière en outre une autonomie spatiale en s’appropriant ses propres lieux.  Evolution qui rendra possible la maturation intervenant avec la période de l’adolescence.