L’enfant aux comportements difficiles

Comment réagir ?

Il n’est pas d’animateur qui n’ait croisé un jour, l’un de ces gamins terribles qui n’en fait qu’à sa tête, refuse de respecter les consignes et s’oppose systématiquement à l’adulte ? Rien ne semble pouvoir le stabiliser : ni l’écoute attentive, ni les punitions. Il irrite et épuise son entourage, le poussant le plus souvent au rejet, au découragement, voire à la colère et à la violence. Comprendre mode de fonctionnement de ces enfants aux comportements difficiles pour mieux savoir réagir face à leurs comportements : tel le thème du dossier de ce mois-ci.

Il n’est rien de plus déstabilisant pour une animatrice ou un animateur d’avoir à gérer dans un groupe, un ou plusieurs enfants qui semblent ne respecter rien, ni personne. Il faut les reprendre vingt fois, sans que leur attitude ne change, durablement. On a l’impression qu’ils n’écoutent pas, qu’ils refusent de se soumettre à quelque autorité que ce soit et qu’ils sont bien décidés à accomplir envers et contre tout, ce qu’ils ont décidé de faire. L’attitude qui semble la plus adéquate à adopter ne relève ni d’un livre de recettes, ni d’une recherche de solutions miracles, mais d’une compréhension fine des ressorts qui sont à la base des comportements de l’enfant. C’est en décodant le pourquoi de ces réactions qu’on peut le mieux y répondre.

Benoît, du haut des ses sept ans, apparaît bien calme et bien fragile. Pourtant, ce matin-là, sa mère téléphone à l’Institut de rééducation où il est scolarisé, pour expliquer que son fils vient de refuser de prendre le transport scolaire. C’est le Directeur en personne qui se déplace alors pour venir le chercher. Arrivé au bas de l’immeuble, il n’eut pas besoin de regarder sur les boites aux lettres l’étage où habitait la famille : on entendait l’enfant rugir du rez-de-chaussée ! Quand on lui ouvrit la porte, on aurait pu imaginer qu’un ouragan avait dévasté l’appartement. C’est sous un lit qu’il alla récupérer un gamin hurlant et se débattant avec une force incroyable. Il réussit néanmoins à le descendre jusqu’à son véhicule. Une crampe lui faisant faiblir un instant sa contenance, l’enfant s’échappa de ses bras, et s’emparant d’une pierre, fit voler en éclat la vitre du hayon arrière. La fermeté et la résolution de l’adulte finirent par calmer l’enfant. Il put enfin être conduit à son école. De telles explosions sont monnaie courante dans les Instituts de rééducation, institutions spécialisées dans l’accueil de ce public difficile. Elles sont imprévisibles et peuvent se déclencher à tout moment, sans qu’on puisse ni les prévoir, ni mesurer, a priori, l’ampleur qu’elles vont prendre. Les enfants qui en sont les acteurs sont d’intelligence tout à fait normale. Simplement, ils souffrent de ce qu’il est convenu d’appeler les troubles du caractère et du comportement. Cet exemple peut apparaître spectaculaire et exceptionnel au regard de l’immense majorité des publics fréquentant les centres de vacances et de loisirs. Il correspond bien plus au quotidien d’un établissement prenant en charge de façon spécifique des enfants en grande difficulté comportementale qu’à celui des animateurs.

 

De l’exception aux situations plus courantes

Quoique ... il peut aussi constituer la forme particulièrement élaborée d’attitudes partielles qui se manifestent à plus ou moins grande échelle chez certains enfants, voire même être l’illustration de ce qui peut aussi survenir ponctuellement. Absence de savoir-vivre, grossièreté, désobéissance répétée, non respect des règles, agitation et provocation, crises de colère, coups, bagarres, agressions etc... sont le lot de quelques uns des gamins que tout animateur a rencontré, et ce dès le plus jeune âge. Insulter l’animatrice ou la frapper dès l’âge de 5 ans ne relève pas du domaine de l’invraisemblable. La prévalence des troubles de la conduite s’élève dans l’enfance à une proportion de 2 à 8 % chez les garçons et de 0 à 2 % chez les filles et à l’adolescence de 3 à10 % chez les garçons et de 1 à 7 % chez lez filles. Somme toute, la proportion des enfants concernés est donc assez faible. Mais la nature de leurs manifestations, très spectaculaire et très visible donne le sentiment d’une plus grande importance. Un proverbe africain affirme qu’un arbre qui tombe fait bien plus de bruit qu’une forêt qui pousse. Un enfant opposant et défiant l’adulte peut perturber notablement un groupe et mettre en échec une activité. En multipliant les incidents, il concentre l’attention sur lui et persuade, le plus souvent à tort, de l’importance relative de sa place. Reste que, quelle que soit la réalité disproportionnée de sa représentation, son impact peut être considérable.

 

Ce qui se vit chez l’enfant ...

L’un des objectifs que cherche à atteindre l’éducation, c’est bien d’amener tout enfant à être capable de déchiffrer et d’interpréter tant son propre comportement, que celui d’autrui, afin de pouvoir faire des choix pertinents dans ses relations sociales. Cette interaction permanente entre le sujet et son environnement est au cœur de sa propre survie (il lui faut agir pour exister face aux autres et préserver ses propres intérêts) que de sa socialisation (il doit tenir compte de leur place et la respecter). Ce positionnement ne peut s’effectuer qu’en mettant en œuvre plusieurs compétences. Une compétence cognitive tournée vers l’extérieur, tout d’abord, qui permet d’évaluer, de découvrir, de jauger et d’inventorier la réalité externe. Une compétence cognitive tournée vers l’intérieur ensuite : apprécier ce qui se passe en soi au regard des pulsions, des désirs et des craintes qui motivent son comportement et la manière dont ils interagissent avec les valeurs éducatives qui ont été inculquées. Compétence de synthèse encore qui réside dans l’aptitude à établir l’équilibre entre ce qui nous pousse à agir et les contraintes externes qui nous rappellent à la réalité et à ses limites. Ces compétences n’adviennent pas du jour au lendemain. Il faut un long cheminement pour que le petit d’homme les assimilent et soit capable de les mettre en œuvre d’une manière autonome, sans avoir besoin pour cela d’un contrôle extérieur.

 

... et chez l’enfant aux comportements difficiles

Or, ce sont justement ces aptitudes qui, toutes ou partie, font défaut aux enfants aux comportements difficiles. S’ils se placent dans une position de toute puissance et s’ils ne tolèrent pas qu’on puisse décider pour eux, ce n’est pas parce qu’ils veulent nuire à autrui. Bien sûr, on pourra toujours trouver certains d’entre eux nourrissant un sentiment pervers, agissant sciemment pour faire souffrir et tirant une jouissance à la douleur des autres. Mais ce n’est pas la majorité des cas. Pour la plupart, les comportements adoptés sont directement liés au sentiment qu’ils ont d’être en danger. S’ils sont en bute aux autres, c’est parce qu’ils les vivent comme menaçants. Leurs passages à l’acte doivent, dès lors, être interprétés comme autant de réactions de défense et de protection, de manifestations de leur instinct de survie et de protection. Le tableau que nous allons dresser dans les lignes qui suivent, ne correspond en aucun cas à une “ figure type ” ou à profil complet. Chaque enfant peut développer plus particulièrement ou au contraire ignorer telle ou telle dimension que nous allons présenter. Notre ambition est simplement de proposer un certain nombre de traits de caractère que l’on peut retrouver plus ou moins développés chez ces enfants, d’en expliquer les raisons et de permettre ainsi plus facilement de décoder leurs comportements.

 

Refus de la frustration

Le premier élément de compréhension abordé sera le seuil de frustration extrêmement bas que l’on retrouve fréquemment chez ces enfants. Tout un chacun vit avec une certaine irritation la non satisfaction de ses désirs. Il n’est jamais agréable d’être confronté à la déception, à la désillusion ou à la contrariété de ne pas voir aboutir ce à quoi on aspirait. Mais ce qui aboutira pour la plupart d’entre nous à de l’amertume, à une tristesse ou à une mauvaise humeur passagères, submerge l’enfant présentant des comportements difficiles. Il est littéralement envahi d’un sentiment incommensurable d’insécurité et d’anxiété. Chez lui, toute pulsion se doit d’être satisfaite : les bornes qui l’en empêchent, quelles que soient la sagesse ou la pertinence qui ont présidé à leur choix, provoquent une explosion dont l’ampleur résulterait chez tout autre enfant, du résultat d’une terreur extrême ou d’une grave maltraitance. Cette disproportion tient pour beaucoup à l’absence de toute sublimation, mécanisme qui permet généralement d’évacuer une souffrance en investissant l’imaginaire, la créativité ou tout autre centre d’intérêt dérivé. Ici, l’enfant ne possède comme seul moyen d’expression et de réaction que l’agressivité. Il ne peut se libérer des violents sentiments qui l’assaillent que par la fuite, l’attaque féroce ou la destruction.

 

Non intégration de l’expérience

Autre trait distinctif, la faible résistance à la tentation. Son expérience propre ainsi que l’action éducative de l’adulte permettent à l’enfant de s’équiper de signaux d’alerte face aux situations qui pourraient conduire à un danger ou à une forte culpabilité. L’enfant qui se brûle une fois à la flamme d’une bougie n’y remet en général pas son doigt. Le mécontentement ou la colère d’un adulte, face à l’un des ses passages à l’acte agissent au bout d’un moment comme un marqueur qui va le préparer à se méfier et à s’abstenir la prochaine fois que se présentera une situation analogue. Bien sûr, cela ne s’effectue pas instantanément. Mais, à force d’y revenir, cela finit par rentrer. Tout  se passe comme si chez l’enfant en difficulté, il y avait incapacité de mémoriser un vécu douloureux antérieur et ainsi de contrôler ses réactions face à des faits proches de ses expériences passées. Il se laisse guider par l’attrait du moment, vivant dans l’instantanéité, ne mesurant ni les conséquences, ni les risques encourus, alors même qu’il a déjà vécu des circonstances proches. La problématique de la projection dans le temps et de la capacité à différer la satisfaction d’un besoin, y renonçant pour l’instant dans la perspective de mieux y répondre par la suite est une constante chez l’enfant, l’adolescent et parfois même chez certains adultes. Notre société de consommation a élevé au rang de principe de vie, la pulsion du “ tout, tout de suite ”, la commodité de l’achat par crédit la favorisant amplement. La fragilité des enfants en difficulté face à la tentation serait donc l’illustration poussée à l’extrême d’une société qui favorise amplement la satisfaction immédiate des désirs.

 

Contagion face à au groupe

S’il y a bien une habitude que les enfants pratiquent avec une facilité déconcertante, c’est cette aptitude à se reconnaître entre eux. Laissez une centaine de gamins qui ne se connaissaient préalablement pas, au sortir du car qui les a amenés sur un centre de vacances, se répartir librement dans les chambres, vous constaterez très vite qu’ils se seront associés par type de caractère. On trouvera bien un calme fourvoyé chez les actifs (et inversement un chahuteur perdu au milieu de “ premiers de la classe ”). L’un et l’autre demanderont très vite à permuter. Mais dans l’ensemble, il y aura une grande cohésion de styles comportementaux. Par quel mystère se reconnaissent-ils entre eux ? Curieuse alchimie faite d’allures extérieures, de façon de marcher ou de parler, sans compter ces ressentis inconscients à la base des reconnaissances réciproques. Il n’en va pas différemment des enfants en difficulté qui poussent à l’extrême cette identification et la double d’une forte tendance à l’imitation. Le groupe constituant sans doute un lieu protecteur et rassurant (leur comportement individuel étant confirmé par celui des autres), il est aussi un facteur fusionnel, la liberté de choix s’annihilant pour beaucoup alors au contact de ses pairs. Plus que tout autre, l’enfant en difficulté est sensible au chahut, à la transgression, au conflit et à l’affrontement à l’adulte. Q’un seul commence et ceux qui connaissent les mêmes difficultés que lui seront prompts à le suivre...  L’attraction du groupe a aussi pour fonction de neutraliser toute culpabilité. Car quand tout le monde est responsable, personne ne l’est vraiment.

 

Désorganisation face à la culpabilité

Toute société fixe à ses membres des règles de vie en commun que l’éducation tend à inculquer à chacun de ses membres. Le règlement adopté en centre de vacance et de loisirs répond à la même démarche : ne pas voler, ne pas frapper, ne pas casser, ne pas consommer d’alcool ou des drogues pour les plus grands etc... La régulation des comportements au regard de ces principes s’appuie sur deux dimensions. L’exercice d’un contrôle extérieur : c’est le rôle des adultes garants du respect de la règle. L’exercice d’un contrôle intérieur : c’est le sentiment de culpabilité qui s’active dès lors que la conscience perçoit une transgression des valeurs morales intégrées. Le cheminement de l’enfant vers l’adulte est marqué par le remplacement progressif du contrôle externe par le contrôle interne (même si cette substitution n’est pas totale puisqu’il est nécessaire encore que des forces répressives -police et justice- viennent à tout âge exercer une pression et une menace). L’enfant en difficulté semble être resté bloqué dans cette progression. Il apparaît, dans bien des cas comme inaccessible au sentiment normal et sain de culpabilité, réagissant avec une agressivité infinie et une haine boudeuse face à ceux qui veulent le provoquer chez eux. Tout au contraire, cherchent-ils à évacuer les maillons de contribution personnelle à la chaîne causale. Ils oublient leur participation à l’évènement, zappent leur responsabilité ou minimisent leur rôle, nient leurs intentions initiales, comme une ultime protection contre une démarche qui pourrait développer en eux une culpabilité qu’ils vivent comme insupportable, car persécutrice.

 

L’attitude adulte adéquate

Il est temps à présent d’interrompe notre description de l’enfant en difficulté qui est très loin d’avoir fait le tour de la question, pour nous intéresser à l’attitude que l’adulte se doit d’adopter. Il est important de commencer par dire que l’animateur n’est pas un psychologue ou un éducateur spécialisé. Il ne lui appartient pas de prendre la place d’un professionnel de la thérapie ou de la rééducation. Il n’a pour cela ni la formation adéquate, ni l’expérience nécessaire.  Ce dont nous allons parler relèverait plutôt du socle minimal permettant de contenir la difficulté de l’enfant et d’essayer d’éviter qu’elle ne dégénère. Première évidence : les comportements utilisés traditionnellement ne suffisent pas. Nous voulons parler des réactions qui conviennent parfaitement face à un enfant tolérant à la frustration, capable de sublimer ses insatisfactions, apte à sacrifier ses impulsions immédiates contre la promesse de satisfactions futures, acceptant de reconnaître sa culpabilité sans exploser de colère, identifiant la continuité de l’intérêt que lui porte l’adulte, même quand celui-ci le sanctionne ou lui dit non, suffisamment compétent pour transposer ses expériences lorsque vient le moment de combattre une tentation... toutes choses que n’arrive justement pas à réaliser l’enfant en difficulté. Nous proposons de résumer les comportements requis en trois grands principes que nous allons à présent décliner.

 

Une vision inconditionnellement positive

L’enfant en difficulté a le don de monter l’adulte contre lui. Il est vrai que ses comportements peuvent provoquer beaucoup d’agressivité. Si l’on renvoie à l’enfant un regard négatif, on l’enferme dans le rôle qu’il a adopté et on l’encourage à persévérer dans cette dimension. Il est essentiel de bien distinguer entre la nature de l’enfant et les actes qu’il pose. Ce n’est jamais le sujet qui doit être visé mais bien les transgressions qu’il commet. Un enfant peut faire autant de bêtises qu’il veut, il ne doit jamais être stigmatisé comme un “ idiot ”. Il peut se comporter de manière inacceptable, il ne doit jamais être rejeté en tant qu’individu. Cela ne signifie nullement qu’il ne faut pas le sanctionner, bien au contraire. Tout acte qu’il commet et qui ne respecte pas les règles justifie qu’on le reprenne, mais c’est bien l’acte qui est fustigé, non sa personne intime. Mieux vaut écarter le chantage des punitions et des récompenses. Satisfactions et gratifications ne doivent pas être liées au bon ou au mauvais comportement. Le risque est important sinon de supprimer toute relation positive : l’enfant ne se sent ni accepté, ni aimé. Intériorisant alors ce rejet, il peut être tenté de n’exister qu’au travers de l’exclusion que lui renvoie l’adulte. Toute autre est l’attitude qui garantit l’affection et les manifestations gratifiantes. L’adulte doit être dispensateur inconditionnel d’une vision positive : “ ce que tu as fait là est inacceptable et pour cela je vais te sanctionner, mais je sais que tu es capable de faire des bonnes choses, je te fais confiance et je crois que tu arriveras à évoluer et montrer ton côté positif ” Tel doit être en quelque sorte le message transmis.

 

Respecter la différence intergénérationnelle

Les relations entre l’enfant et l’adulte ne sont pas, par définition, égales. Le premier est en position d’apprentissage et de construction sa personnalité, le second est dans un rôle protecteur, de guide et d’accompagnateur. Cette dissymétrie n’implique pas forcément des rapports de domination d’un côté et de soumission de l’autre. On peut parfaitement reconnaître la validité des droits de l’enfant tout en refusant d’établir la parité dans les pouvoirs et les responsabilités. Ce que cherche l’enfant présentant des difficultés comportementales, c’est bien d’abolir cette différence intergénérationnelle et même l’inverser. Il tente de prendre le pouvoir dans la relation et d’adopter une position hégémonique face à l’adulte. On peut opter pour toute une série de comportements en éducation qui vont de la position autoritaire (quand, par exemple, la sécurité de l’enfant est en jeu) au laisser faire (quand le groupe d’enfants a montré sa capacité de se prendre en charge et agit en pleine autonomie, lors d’un mini camping hors présence de tout animateur). Négociations, écoute, compromis sont non seulement possibles mais souhaitables. Pour autant qu’en dernière instance, ce soit toujours l’adulte qui décide quelle sera sa place. Face à un enfant aux comportements difficiles, rien n’est plus déstructurant que de le laisser mener la barque et se noyer dans sa toute-puissance. Quelles que soient les réactions qu’il va déclencher, l’adulte doit toujours garder les commandes de l’interaction.

 

Préserver sa cohérence

Tout enfant est tenté de tester l’adulte qui se présente devant lui. Il veut vérifier les limites de ses marges de manœuvre. Il en va de même pour l’enfant souffrant de comportements difficiles qui est, en général, expert pour s’engouffrer dans les failles qu’il perçoit chez l’adulte. Il ne lui fait aucun cadeau et n’hésite pas une seule seconde à le mettre en difficulté. Un adulte peu fiable qui ne sait pas opposer une résistance suffisant à ses coups de boutoir de l’enfant lui paraît alors éminemment insécurisant et déstabilisant. Il n’est pas toujours facile de rester imperturbable face à de tels assauts. On peut néanmoins retenir un certain nombre de comportements. Un premier principe apparaît essentiel : “ dire ce qu’on va faire et faire ce qu’on a dit ” : éviter à tout prix de prendre des engagements qu’on n’est pas sûr de tenir. Cela concerne notamment les menaces proférées sous le coup de la colère et qu’on estime une fois le calme revenu, disproportionnées et inapplicables. Mais c’est aussi le cas des promesses imprudentes et inconsidérées. La cohérence consiste aussi à accepter de s’affronter en évitant une fuite qui risque d’amener des provocations encore plus importantes. Enfin, la constance et la continuité sont des qualités qui peuvent permettre de tisser un lien de confiance, démontrant à l’enfant qu’il peut compter sur un adulte et s’appuyer sur la fidélité de son engagement à ses côtés.

Au terme de notre voyage au pays des troubles de la conduite et du comportement, il apparaît que la seule réponse possible se situe bien dans le savoir être. Décoder l’attitude de l’enfant en sachant l’interpréter comme une manifestation qui, la plupart du temps, n’est pas dirigée contre soi, mais signe une extrême souffrance, implique de chercher une solution qui n’est jamais définie à l’avance, mais qui est à chaque fois unique et liée au contexte et à ce qu’on croit avoir compris de la problématique de l’enfant. Cela n’est guère facile et est fréquemment couronné par un échec ponctuel. Mais, au regard des potentialités de changement et d’évolution du petit être qu’on a en face de soi, seuls le courage, la patience et l’opiniâtreté sont à même de faire évoluer la situation.

 

Lire interview Lambert Jacques - Enfant difficile

 

Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°50 ■ juin 2004

 

 

Fiche n°1 : Punition ou sanction ?

La punition est traditionnellement reliée à quelque chose d’éminemment désagréable là où la notion de sanction correspond tout autant au démérite qu’au mérite. La punition doit faire mal alors que la sanction d’un examen par exemple peut fort bien être la remise d’un diplôme. Pendant des milliers d’années, on a pensé que l’enfant naissait mauvais et que toute l’action de l’éducation consistait à le remettre sur le droit chemin. Un père qui ne battait pas son fils était considéré comme indigne de sa fonction : “ qui aime bien, châtie bien ” affirme encore le proverbe. Ce n’est, finalement, que très récemment qu’on a commencé à penser que la réplique aux transgressions des enfants pouvait passer par autre chose que l’humiliation, les châtiments corporels ou l’abaissement. Et si au lieu de mesures plus ou moins vexatoires, on optait pour des actes de réparation ? L’idée a fait son chemin et commence à trouver des illustrations dans les centres de vacances et de loisirs. Un groupe de trois adolescents fait “ le mur ” pour aller voir les filles ? On peut choisir de les priver le lendemain soir de leur veillée et les obliger à se coucher tôt. On peut aussi leur proposer de donner un coup de main à la dame de service pour balayer et serpiller. Si un adulte se joint à eux et les félicite de  la qualité de leur travail, une fois celui-ci accompli, on est passé de la corvée à une participation positive à l’entretien du réfectoire. Un groupe de jeunes fait péter des pétards en pleine nuit et réveillent ainsi  les petits ? On peut les priver de sortie au village (où ils ont acheté l’après-midi même l’objet de leur forfait). On peut aussi décider que pour rattraper leur acte, qu’ils aideront les animateurs pour la douche et le rangement des chambres des petits, pendant trois jours. Un enfant s’attaque à un autre qui sert de bouc émissaire au groupe ? On peut le priver de l’activité qui lui fait tant envie. On peut aussi le charger de la protection de la victime contre toute nouvelle agression. Il apparaîtra à certain que de telles mesures ne sont pas assez contraignantes et dissuasives. Depuis des millénaires que la répression est employée comme seul mode de régulation des bêtises des enfants, si cette option était pleinement efficace, ça se saurait. Sans toutefois l’exclure, il convient de donner la possibilité d’avoir recours à d’autres moyens d’action : celui qui permet à l’enfant de ressentir la sanction non comme uniquement la vengeance de l’adulte qui justifie alors une nouvelle bêtise, dans une vendetta sans fin, mais de se racheter à ses yeux et aux yeux des adultes. Cette réflexion est particulièrement vraie pour les enfants adoptant des comportements difficiles qui, multipliant les transgressions, accumulent des punitions qui semblent n’avoir aucun effet sur eux. Si on ne réfléchit à leur égard qu’en terme de répression, le cercle vicieux corrections de l’adulte/représailles de l’enfant pour se venger risque d’être sans fin.

 

Fiche n°2 : “ Les choristes ” film de Christophe Barratier

Le film se situe en 1948 dans un internat de rééducation pour mineurs. Clément Mathieu, professeur de musique  sans emploi y a accepté un poste de surveillant. Le nouveau venu se heurte à un système répressif implacable. Il applique ses propres convictions : en lieu et place du cachot, de la violence et des corvées humiliantes, il sanctionne en confiant des responsabilités et utilise le dialogue comme moyen de communication. Considérant ce public d’enfants en difficulté comme riche de potentialités, il créera une chorale qui transformera les habitudes et les attitudes de chacun. Hymne au rôle rédempteur de la musique pour  certains, on y verra en ce qui nous concerne la démonstration du rôle que peut jouer un adulte quand il devient tuteur de résilience et redonne espoir et dignité à des enfants considérés comme perdus. Témoignage fort en émotions et en espérance.

 

Fiche n°3 : Pourquoi les enfants connaissent-ils de telles difficultés ?

L’origine de ces comportements réside moins dans une cause première que dans un cumul de circonstances négatives qui persistent et s’enchaînent dans le temps. Mieux vaut avoir recours à une recherche multifactorielle et éviter les explications simples et apparemment évidentes. Ainsi en va-t-il de l’idée selon laquelle les troubles du comportement seraient liés au style éducatif laxiste des parents. Des recherches ont démontré, au contraire, que si la pratique régulière d’une communication régulière et affectueuse dès le plus jeune âge contribuait au développement des compétences affectives interpersonnelles et instrumentales de l’enfant, les pratiques négatives et coercitives encourageaient l’apparition de modes de relations basés sur l’opposition, l’agressivité et la violence. Ce dont il faut se méfier avant tout, c’est l’identification de facteurs types qui, à eux seuls, permettraient d’expliquer les difficultés, tant il est vrai que leur présence peut dans certains cas favoriser une évolution négative et dans d’autres cas, au contraire, consolider positivement la personnalité. Les troubles du comportement semblent donc se développer à la conjonction de deux circonstances (même si parfois une seule est présente) : un contexte familial et environnemental défavorable (qui se prête aisément à une hiérarchie inversée plaçant l’enfant en position  de commander les adultes) et un tempérament de l’enfant anxieux et agressif non contrôlé. Il faut néanmoins rajouter à ce tableau, des comportements tyranniques liés à certaines problématiques tels l’anorexie, les obsessions, l’hyperactivité. On ne peut systématiser des causes, étroitement liées au contexte de chaque enfant.

 

Fiche n°4 : L’enfant d’aujourd’hui et celui de demain

A la mi-janvier 2003, se tenait à Toulouse, un colloque organisé par le GRAPE au titre évocateur “ Mais où est donc passé l’enfant ?” Plusieurs intervenants sont venus interroger sa place dans notre société. L’enfant est-il vraiment un sujet ou est-il en réalité soumis aux desseins de ses parents, s’est ainsi interrogé Laurence Gavarini, sociologue ? Il n’est ni plus, ni moins aimé qu’auparavant. Mais plus qu’avant, il a pour mission de venir flatter le narcissisme des adultes. Le culte de l’individualisme et de la compétition ne lui donne comme seule alternative que d’être compétent ou défaillant. La précocité des apprentissages constitue une cible idéale à une injonction à “ être soi ”, l’individu devenant alors responsable de ses non-performances. Les méthodes éducatives traditionnelles basées sur l’obéissance et la soumission ont été remplacées par la logique contractuelle et libérale qui valorise la négociation, le dialogue, la recherche d’adhésion, la non imposition. La démocratie familiale a remplacé l’autoritarisme paternel. Or, s’il est un principe parmi les plus structurants, pour l’individu, c’est bien la castration, rappelle  Henri De Caevel, Président du Grape. Accepter qu’on n’aura jamais tout est essentiel pour l’éducation de l’enfant. Lui  permettre d’expérimenter le manque, le vide et la frustration, c’est les préparer à affronter ces dures réalités, sans s’effondrer. A force de ne plus vouloir le contrarier, on risque de le condamner à ne plus pouvoir trouver les ressources nécessaires en lui, pour y faire face, complètera Denise Bass, Directrice du Grape. Les mutations inédites du lien social auxquelles on assiste peuvent laisser penser que cette logique en œuvre viendrait invalider les différences entre générations, conclura le psychanalyste belge Jean-Pierre Lebrun. Il y aurait un brouillage des pistes quant aux modalités à appliquer pour faire grandir l’enfant. Or, rappellera-t-il, en écho avec ce qui avait été dit précédemment, toute société est basée sur le “ moins de jouir ”, sur le manque et l’exigence d’une perte. La confrontation à l’altérité -productrice de trous dans la satisfaction- est à l’origine tant de la vie collective que de la subjectivité individuelle. Elle est en outre au fondement de l’éducation. L’avènement de la science, de la démocratie et du libéralisme a provoqué une mutation du régime symbolique. Tout ce qui caractérisait l’intervention tierce (la religion, le chef, le père, la hiérarchie …) a perdu sa légitimité. Sans rupture apparente, notre société est en train de se construire non plus sur un modèle vertical (qui imposait des normes hétérogènes imposées de l’extérieur), mais sur un modèle horizontal (les règles étant  fixées et acceptées par les individus). Ce changement qui correspond à un abandon de la toute puissance autoritaire au profit de la démocratie, nous l’avons toutes et tous voulu et nous en profitons pleinement. Ce dont il s’agit, ce n’est donc pas de regretter (ou tenter de rétablir) la transcendance absolue en train de disparaître, mais d’élaborer une transcendance qui puisse se concilier avec les avis multiples et diversifiés qui s’affirment. Comment faire pour marcher ensemble tout en respectant les particularismes : tel est l’enjeu de ce siècle. Il n’y a donc pas incompatibilité absolue entre cette modernité qui s’affirme et le principe qui veut qu’on ne puisse considérer sur un pied d’égalité un sujet psychiquement construit (l’adulte) et un autre sujet qui ne l’est pas (l’enfant). Il ne suffit donc pas d’opposer stérilement un passé structurant à un présent anomique, mais d’imaginer une possible synthèse entre les bénéfices que l’on peut trouver à l’émergence de l’individu et la préservation des différences générationnelles.

Les actes du colloque sont publiés chez érès

 

 

Bibliographie

►  “ Ces enfants qui nous provoquent ” Nicole Fabre, Fleurus, 1997

Témoignages et extraits littéraires sont largement utilisés par l’auteur pour nous confronter à ces enfants qui ont le don de nous monter contre eux.  Pédro, Gaëlle, Romain sont violents, destructeurs ou au contraire repliés sur eux. Le propre de ces révoltés et de ces agressifs est bien, malgré tous nos efforts de ne pas se couler dans le moule que nous leur avons préparé. “ Quand la mentalisation fait défaut, l’expression pulsionnelle est directe, immédiate et sans préalable. L’agir semble constituer alors une forme de remémoration du chaos interne de la confusion, là où l’angoisse est intense ” explique Colette Fiatte (p.103). C’est vrai qu’ils nous énervent et qu’ils nous font sortir de nos gonds ces enfants qui nous provoquent et semblent jouir de leur pouvoir quand ils constatent notre déstabilisation. Quelle attitude, l’adulte peut-il adopter ? L’auteur conseille plutôt de trouver le juste équilibre en utilisant à la fois la force (qu’il ne faut pas confondre avec la rigidité) et la souplesse (qui n’est pas la faiblesse). Il s’agit alors de rentrer en communication avec l’enfant et de tenter de dépasser l’apparence de ses passages à l’acte pour comprendre ce qu’il recherche ou ce qu’il cache. Il est essentiel de lui montrer qu’on l’aime malgré ses incartades, de lui imposer la discipline qu’il refuse tout en l’amenant à l’accepter ultérieurement.

► “ L’enfant violent, le connaître, l’aider, l’aimer ” Jean Dumas, Bayard, 2000

Qu’est-ce qui fait qu’un enfant est violent et destructeur ? Certains rencontrent des difficultés sans présenter d’éléments qui y prédisposaient et d’autres n’en ont pas malgré la présence de facteurs de risque. Leurs troubles tiennent, pour une part, aux déficits et désordres individuels et pour une autre, à une adaptation optimale à des conditions personnelles et environnementales qui ne le sont pas. “ L’origine de l’agressivité et de la violence réside moins dans une ou deux ‘’causes premières’’ que dans un cumul de circonstances négatives qui persistent et s’enchaînent dans le temps ” (p.90) Comment peut-on alors réagir ? En agissant par la prévention et l’aide apportée aux parents dans la période où leurs enfants sont confrontés à un nombre croissant de défis : apprendre à déchiffrer et à interpréter  son propre comportement et celui d’autrui et à y répondre par d’autres modes que celui de l’agressivité et de la violence. L’axe principal est bien celui d’une pratique régulière de la communication régulière et affectueuse favorisant le développement des compétences instrumentales et interpersonnelles de l’enfant. Mais, cela ne peut se concrétiser qu’en rendant son environnement quotidien prévisible et clair,  qu’en faisant de l’autorité parentale un repère structurant et cohérent. L’objectif consiste à réduire autant que possible un style de vie stressant et chaotique qui a pour effets d’accroître les émotions négatives, de restreindre le champ cognitif permettant d’interpréter les modes relationnels et de développer la détérioration du comportement social.

► “ La destructivité chez l’enfant et l’adolescent. Clinique et accompagnement ” Jean-Yves Hayez, Dunod, 2001

L’enfant est un être que la maturation progressive confronte au débat intérieur entre le bien et le mal, l’égocentrisme et la sociabilité, le respect des règles et des lois et la transgression. Jean-Yves Hayez a écrit ici un véritable manuel de l’enfant destructeur et violent qui ravira le lecteur autant qu’il l’emplira d’effroi. D’une façon méthodique, il décrit le mode de fonctionnement du petit d’homme et les mécanismes psychiques qui le poussent aux actes de destruction. Bien sûr, il récuse les notions d’organisation ou de structure qui induisent l’idée d’un achèvement total. Car, l’état du moment est toujours susceptible de se modifier, sans compter qu’un jeune réputé fonctionner normalement est fort capable, lui aussi, de traverser de mauvaises passes. L’auteur dresse néanmoins un tableau clinique qui tente de regrouper un certain nombre de catégories : immaturité, psychopathie, vécu d’exclusion, délinquance, perversion, psychoses sont autant d’orientations qui font l’objet d’approfondissements méticuleux et passionnants, sans pour autant se départir un véritable hymne humaniste et généreux à l’action de l’adulte. “ Un jeune avec qui l’on noue des relations fortes et positives et à l’éducation quotidienne duquel on se consacre avec enthousiasme et intensité, peut se sentir ‘porté et retenu’ par des liens humains auxquels il attache de l’importance, avoir envie d’y donner le meilleur de lui-même, et cesser d’être un destructeur ” (p.61).