La violence

Il est fréquent que l’animateur ou l’animatrice aie à gérer des situations de violence. C’est souvent celles créées par les enfants entre eux. Mais c’est parfois aussi celles, à l’initiative desquelles, il (elle) lui arrive d’être. Savoir comment réagir dans ces circonstances n’est pas seulement important pour régler le problème du moment. Il en va aussi de la manière dont l’enfant va être encouragé à régler ses différents et ses conflits. Les réponses qui seront alors apportées contribueront à construire le monde de demain.

La violence : quelle violence ?

La violence exerce sur l’être humain une double et curieuse attraction faite, à la fois de répulsion et de fascination. Jamais, sans doute, une société humaine n’aura autant argumentée, que la notre, contre ce type de réaction, considérée comme l’un des pire pulsions de l’être humain. Dans le même temps, ces mêmes attitudes font l’objet d’un véritable culte : rubriques des faits divers, romans,  films, théâtre... mettent ainsi en scène les pires comportements, les situations les plus horribles, les actions les plus innommables, dont se délecte tout un chacun. Un peu comme si, pour mieux s’en dégager, l’individu avait besoin d’être collé aux réalités les plus sordides. Pour comprendre la violence, il  nous faudra, évoquer, en permanence, cette ambivalence.

 

Une notion éminemment subjective

Qu’est-ce que la violence ? Il peut sembler inutile de poser une telle question, tant la réponse apparaît au premier abord comme « évidente » : meurtres, tortures, agressions, guerre, criminalité, terrorisme... en sont les manifestations quotidiennes dont nous abreuvent les média jusqu’à plus soif. Et pourtant, si on prend la peine de réfléchir un peu, on s’aperçoit très vite, que ce qui devrait tomber sous le sens, pose bien plus de problèmes qu’on ne l’imaginait au départ. Définir cette notion passe, en effet, par la prise en compte des normes et des valeurs dans lesquels on se trouve. La culture et l’histoire jouent un rôle essentiel dans la représentation de ce que l’on considère comme violent ou pas. Quelques illustrations suffiront à convaincre le lecteur de la relativité du jugement de l’être humain en la matière. En fait, tout est, pour l’essentiel, fonction des circonstances dans lesquelles, les événements surviennent. Ainsi, la mise à mort que les différentes sociétés se sont arrogées le droit d’appliquer pendant des millénaires, comportaient des modalités qui, aujourd’hui, nous font frémir d’horreur, mais qui paraissaient, à l’époque, tout à fait légitimes : la crucifixion dans l’antiquité, l’empalement ou l’écorchement vif au moyen-âge, l’écartèlement pour les régicides sous l’ancien régime, le supplice de la roue pour les autres (le condamné était fixé à une croix et se voyait briser les articulations des jambes et des coudes puis était placé sur une roue où on le laissait mourir). La guillotine apparue à l’époque de la révolution française, constitua alors, une invention des plus humanistes, car elle provoquait une mort instantanée et sans souffrance. Ce qui n’est pas le cas encore aujourd’hui dans les Etats américains qui pratiquent l’électrocution sur la chaise électrique : les malheureux qui y sont soumis grillent de longues minutes, avant de succomber.

 

Violence d’hier et d’aujourd’hui

Si l’on s’intéresse, à présent, à certaines violences qui  sont réprouvées aujourd’hui, on s’aperçoit qu’elles ont été longtemps banalisées. Commençons par les brutalités domestiques, faites aux femmes par leurs maris. Des campagnes de sensibilisation sont régulièrement faites pour les combattre. Dans un pays comme l’Espagne (pour ne citer qu’une nation voisine), on n’en est encore qu’à une prise de conscience toute récente de l’anormalité de tels comportements, qui de tous temps, furent  considérés comme relevant de la vie privée des familles. Continuons avec les violences sexuelles, à propos desquelles l’évolution est aussi relativement récente. Georges Vigarello décrit, dans son « Histoire du viol »(1), comment cette pratique a été pendant une longue période, bien peu stigmatisée. Pire, la réprobation réunissait alors la victime et le coupable dans une même condamnation d’un péché mortel (atteinte au lignage) dont l’un et l’autre étaient tenus communément responsables. Ce n’est, finalement, que très récemment, avec l’émergence de l’individu et de la libre disposition de soi, que la distinction s’est imposée entre le coupable et la victime. C’est dans le sillage de la montée de la dénonciation des violences faites aux femmes qu’a émergée la lutte contre les maltraitances à l’égard des enfants. La « découverte » de cette réalité ne remonte qu’aux années 1980. Et le nombre impressionnant des procès intentés, depuis une décennie, tant en correctionnelle qu’aux assises, aux adultes abuseurs permet de mesurer sans doute bien plus l’ampleur du déni passé qu’une hypothétique explosion de ce type de comportements. La violence sociale, quant à elle, n’a pas toujours ému grand monde. Celle qui fait qu’un sdf ne dispose pas d’un toit pour se mettre à l’abri, a surtout pris une dimension insupportable, du jour où l’abbé Pierre a exprimé son indignation, au cours de l’hiver particulièrement froid de l’année 1954. Son action n’a cessé, depuis, de tenter de mobiliser les consciences sur cette agression insupportable à la dignité humaine. Reconnaissons, que l’Etat a été bien plus diligent pour combler les milliards de déficit du Crédit Lyonnais, que pour donner un abri à toute personne privée de logement ! Les attentats du World Trade Center ont ému beaucoup de monde. Chacune des tours concernées étaient occupées par 40.000 personnes. 40.000, c’est le nombre d’enfants qui meurent chaque jour dans le monde du fait de la malnutrition ou de maladie qui pourraient être traitées. Voilà deux violences qui n’ont pas le même statut. La première a fait la une des journaux pendant des semaines, la seconde trois lignes en 6ème page.

 

Horreur le lundi, honneur le mardi

Les mêmes faits et évènements peuvent, en outre, faire horreur à un moment donné et être justifiés à un autre. Un même individu n’hésitera pas une seule seconde à foncer la tête la première dans une mêlée de rugby, sur un terrain de sport, mais évitera de le faire au moment de rentrer dans un bus en période d’affluence. Un adolescent saura, la plupart du temps, distinguer les attitudes viriles qu’il peut se permettre d’avoir avec son groupe de pairs et les comportements qui sont admis au sein de sa famille. Un soldat qui recevra la médaille de la bravoure pour avoir réussi à éliminer, à lui tout seul, une dizaine d’ennemis, sera condamné comme « serial killer », s’il essaie de reproduire son exploit dans la vie civile ! On conviendra qu’il est difficile de trouver une approche qui soit universelle en matière de violence. Même la notion de respect de l’intégrité physique ne constitue pas une approche minimale. On trouvera toujours de bonnes raisons ou une cause supérieure, pour défendre le bien fondé des pires meurtrissures. Ainsi, nombre de sociétés africaines continuent à pratiquer des rites qui peuvent nous sembler, à nous européens, d’une violence extrême : l’infibulation (coudre les lèvres du sexe de la femme) et l’excision (ablation du clitoris). Mais au sein de ces communautés, non seulement, ces pratiques millénaires sont justifiées, mais les mères sont les premières à  veiller à ce que soient pratiquées ces mutilations, à la puberté de leurs filles, afin d’être sûr qu’elles pourront trouver un mari !

Il apparaît donc impossible de donner une définition de la violence qui aurait une valeur universelle et atemporelle. Chaque société humaine a pris l’habitude de fixer ses propres règles, en la matière, considérant les pratiques du voisin comme éminemment barbares et les siennes comme tout à fait légitimes.  S’il est si difficile de pouvoir donner ainsi, un contenu objectif à la violence, c’est peut-être parce qu’elle prend racine au plus profond de l’être humain.

 

Nature humaine ou comportement acquis ?

Cette question a fait l’objet, à toutes les époques, de nombreuses réflexions, chez celles et ceux qui se sont plongés dans la quête de l’introuvable nature humaine. Jean-Jacques Rousseau prétendait que l’homme naissait bon et était corrompu par la société. Les psychanalystes pensent le contraire. Christine Arbisio l’affirmait avec force dans un colloque tenu en novembre 1997 (2) : l’enfant qui vient au monde n’a d’autre choix que la violence s’il veut exister en son nom. Il lui est nécessaire de s’extirper de la fusion parfaite et de la complétude absolue qui le relient à sa mère. S’il veut accéder à une vie psychique différenciée, il va devoir opérer le meurtre de cette relation archaïque. Grandir constitue dès lors un acte agressif fait de séparation et d’individuation. « La relation à l’autre est initialement empreinte de jalousie et de rivalité. » explique-t-elle. La maturation sexuelle et psychique de l’adolescence vient réveiller la brutalité de ces pulsions de violence, un moment assagies . Le jeune n’a d’autre choix que d’orienter cette violence soit vers l’extérieur, soit vers l’intérieur.  L’agressivité apparaît donc ici comme une pulsion indispensable en ce qu’elle permet la différenciation et l’affirmation individuelle. Et, c’est finalement, ce que démontrait Emmanuel Kant, en présentant être humain comme doté d’une « insociable sociabilité » (3) L’homme serait animé d’une double et contradictoire tendance à « entrer en société » en même temps que d’ une « répulsion générale à le faire », d’une volonté à la fois à s’associer pour décupler ses potentialités et à la fois d’une forte propension à s'isoler de la société, afin d’orienter le cours des évènements dans le sens de ce qui lui est propre. Confronté à ses semblables pour vivre à leurs côtés, il ne peut donc qu’entrer en conflit avec eux. C’est cette conflictualité qui est à l’origine de sa créativité et de sa capacité d’évolution. Mais, c’est aussi elle qui créée les difficultés de vie en société. Comment sortir de cette ambivalence qui fait de l’homme un être à la fois social et finalement asocial ?

 

Déléguer sa violence

Thomas Hobbes est l’auteur de la fameuse phrase : « l'homme est un loup pour l'homme ». Dans l’état de nature, expliquait-il : « c’est la guerre de tous contre tous ». En conférant à un Souverain le monopole d’une violence auquel chacun accepte de se soumettre, la violence privée se trouve ainsi confisquée par une autorité supérieure. La vie sociale devient possible. En remplaçant le Roi par l’Etat, on trouve là l’illustration de notre mode de fonctionnement actuel. La société, pour éviter que ses membres ne s’entre déchirent et/ou ne s’entretuent, fixe des règles et des limites permettant de déterminer où s’arrête la turbulence admise et où commence l’agression. La démocratie permet de faire évoluer ce cadre soit en le restreignant (ainsi, les chèques sans provision, le vagabondage ou encore l’adultère ne sont plus considérés comme des délits, depuis le nouveau code pénal de 1994), soit en l’agrandissant (fumer dans un lieu d’accueil ouvert au public est devenu, après la loi Evin, une infraction à la loi). Ce sont tous ces codes qui déterminent l’opportunité ou la non opportunité d’un comportement. La violence n’est réprouvée légalement, que dans le cas où elle va à l’encontre de cet ensemble de régulations instituées. Le contrôle des instincts de tout un chacun, qui pourraient, si on les laissait librement s’exprimer, mener à la destruction de la société, passe par deux types de démarches. La première réside dans l’éducation : le petit d’homme apprend, dès son plus jeune âge, le langage de ce qui est admis et de ce qui ne l’est pas, ainsi que la hiérarchie entre les actes commis.  Venir arracher le jouet de l’enfant d’à côté sera moins réprimandé que de lui assener un coup sur la tête. Lui dire un gros mot sera moins repris que de le mordre jusqu’au sang. Cet apprentissage de la socialisation doit lui permettre de canaliser et sublimer ses pulsions. Le second axe est celui la répression sociale qui vise à sanctionner les transgressions, quand la maîtrise n’a pas été suffisante, pour rester dans le cadre défini socialement. Les citoyens ont renoncé à se faire justice eux-mêmes et ont confié à des administrations (police et justice) la tâche de garantir l’ordre et de régler les conflits entre eux. Mais, pour que cela fonctionne, il est nécessaire que ce pouvoir, qui détient le monopole de la seule violence autorisée, soit reconnu comme tel. Et cette légitimité ne peut exister que si chacun se sent garanti et préservé en toute équité par des règles s’appliquant à tous comme à chacun.

 

De la violence codifiée à la violence hors cadre

La violence se réveille, dès lors qu’un sentiment d’injustice émerge. C’est là une question de survie. Quand l’intégrité de l’individu n’est plus préservée, ce qui se met en jeu, c’est un réflexe de protection pouvant déboucher sur des passages à l’acte déstructeurs. Notre société est habituée aux réactions de grande violence de certaines corporations qui se sentent menacées. C’est souvent le cas par exemple pour les organisations syndicales paysannes qui ont élevé au rang de sport national la mise à sac des perceptions ou des sous-préfectures, sans que cela n’émeuve grand monde. D’autres catégories inquiètent bien plus : c’est le cas de la jeunesse. Sa révolte fait peur au point d’en rendre intolérables les manifestations les plus spectaculaires. Les voitures brûlent, les émeutes enflamment parfois les quartiers, la délinquance enfle, provoquant un fort sentiment d’insécurité. Pendant longtemps, les sociétés traditionnelles ont aménagé un cadre où la transgression pouvait s’exercer : fêtes, carnavals, rites initiatiques étaient alors des lieux et des moments servant de soupape de sécurité. La violence pouvait parfois aller jusqu’à la mort de certains participants. Mais, elle était ritualisée et ne remettait pas en cause l’ordre qui reprenait son cours habituel, aussitôt les jours de folie autorisée et identifiée comme telle se terminaient. Les normes pouvaient être remises en cause en cause dans un cadre précis, puis tout revenait comme avant. L’exode rural massif que notre pays a connu à partir de la fin des années 40, a signé l’épuisement des communautés traditionnelles. La société urbaine qui leur a succédé est avant tout marquée par une architecture rendant à la fois visible une jeunesse pléthorique et difficile la surveillance parentale. Les familles ne s’y connaissent plus. Elles n’osent pas intervenir, dès lors que les jeunes ne sont pas leurs propres enfants. L’autorégulation d’autrefois a fait place à un contrôle social d’autant moins adapté que la société civile a perdu son rôle de tiers protecteur. On s’en remet à des professionnels (qu’ils soient enseignants, travailleurs sociaux ou policiers) pour assurer la régulation de comportements qui devrait être pris en charge par l’ensemble de la société. La violence que connaît un certain nombre de quartiers se trouve placée dans une logique de caisse de résonance et d’effet de loupe. Comme cela avait déjà été le cas dans les années 30, quand les journalistes s’horrifiaient à ce point de la dérive de certains jeunes, qu’ils leur avaient donnés le surnom d’ « apaches » (en référence avec la sauvagerie supposée des indiens d’Amérique), et dans les années 60, avec les « blousons noirs ». Aujourd’hui, ce serait les jeunes des banlieues qui viendraient faire trembler les fondations de la société. Comme quoi, les époques changent, les stéréotypes restent.

Ce que nous avons cherché à démontrer tout a long de cet article, c’est que les catégories du bien et du mal ne permettaient pas de régler la question de la violence. S’il est essentiel de se retrouver autour d’un certain nombre de valeurs (tolérance, acceptation de la différence, respect de l’autres, ...), il est tout aussi important que ce référent commun ne soit  pas utilisé en dehors du contexte dans lequel, on souhaite l’appliquer. Aussi, notre conclusion  terminera par où nous avons commencé : en l’occurrence, le titre de ce dossier, la violence, mais quelle violence ?

 

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°28 ■ avril 2002

 

(1) « Histoire du viol » Georges Vigarello, Seuil, 1998, 366 p.
(2) « Violente adolescence, pulsions du corps et contrainte sociale » Colloque du GRAPE tenu en novembre 1997, (actes parus aux éditions érès, en1998).
(3) KANT, (E.), Opuscules sur l'histoire, Paris, GF. Flammarion, 1990. 230 p.

 

Lire interview Maurel Olivier - Violence

 

 

Fiche n°1 : Réagir aux brimades

L’enfant bouc émissaire, celui qui est victime de brimades, d’humiliations, de vexations, au point d’être le souffre douleur de ses pairs, nous l’avons tous croisé. Certains d’entre nous l’ont défendu, beaucoup d’autres sont restés passifs. Il faut d’abord bien distinguer la brimade de la taquinerie. Cette dernière constitue un geste innocent, supportable et de courte durée opposant des partenaires égaux qui, le plus souvent, alternent dans des plaisanteries qu’ils s’adressent mutuellement. Tout autre est cette tracasserie qui consiste, de façon persistante, à faire mal et à tenter de détruire quelqu’un… Coups, mots qui blessent tout autant, vols ou destruction d’affaires personnelles, menaces ou chantage, séquestrations peuvent transformer la vie en un véritable enfer. Toute une série de préjugés doivent être combattus à ce propos. On pense parfois que cela a toujours existé et qu’il est vain de vouloir l’éviter, que cela passe tout seul, surtout si on ne s’en mêle pas, que la victime provoque ce qu’elle subit, que ce sont toujours les mêmes qui endurent ces souffrances (du fait de leur cheveux roux ou de leurs lunettes)… En fait, de nombreuses causes permettent de comprendre le développement de ce type de relation. Du côté des boucs émissaires, on trouve des enfants faibles physiquement et introvertis, peu sûrs d’eux, angoissés face aux autres et bénéficiant d’une faible estime de soi, qui sont rebutés par la violence et déstabilisés par l’agressivité. Les persécuteurs sont, quant à eux, solides physiquement, agressifs et violents, plutôt extravertis et en bute avec les règlements. Ils se font respecter des autres enfants, par la peur qu’ils leurs inspirent. Ils ne supportent ni le stress, ni l’angoisse qu’ils tentent d’évacuer en agressant les autres. Enfin, ils n’arrivent pas à se mettre dans la peau des autres et notamment de ceux qu’ils briment. L’un et l’autre sont, à leur façon, en difficulté et font peser un climat d’insécurité et de tension qui nuisent à la qualité de la vie : l’agresseur adresse un symptôme de sa souffrance qui n’est pas pris en compte, la victime vit dans la peur, la perte de motivation et de confiance en soi. Mais la brimade concerne aussi le groupe qui en est témoin, qui a le pouvoir de l’arrêter s’il se mobilise dans ce sens. Les adultes ont la responsabilité de la prévention de ces relations qui relèvent d’une maltraitance insidieuse et destructrice : établir un dialogue, renoncer aux attitudes elles-même violentes ou agressives, concevoir des règles de vie avec les enfants qui excluent et régulent ces comportements.

A lire : « Comment en finir avec les persécutions à l’école ? L’enfant, ni loup, ni agneau. Conseils aux parents, enseignants, éducateurs » G. Deboutte, Chronique Sociale, 1999, (170 p)

 

 

Fiche  n°2 : La non-violence en action

Notre époque est largement dominée par la discrimination et l’exclusion, la compétition l’emportant bien trop souvent sur les attitudes de solidarité. La réponse citoyenne n’est pas coincée entre le Charybde de la violence et le Scylla du repli sur soi. Une autre voie est possible : celle de l’apprentissage de la maîtrise de cette violence et de l’initiation à une approche constructive du conflit. Pour y arriver, deux notions doivent être précisées.
Contrairement à l’idée reçue qui le charge d’une lourde connotation négative, le conflit est inhérent à la relation humaine. C’est un temps de confrontation incontournable autour des besoins, des valeurs et des intérêts de chacun. Ce qui est en cause c’est plutôt l’alternative qui ne propose d’en sortir que dans la position de gagnant ou de perdant. Seconde confusion, toute aussi fréquente, celle qui identifie agressivité et violence. L’agressivité peut être positive : elle permet à chacun de s’affirmer et de se structurer. Il faut encourager chacun à utiliser ce potentiel à des fins constructives. La violence, elle, intervient comme une forme de dégénérescence de l’agressivité et d’échec de la communication. Elle annule la différence et fait passer l’autre de sujet à l’état d’objet. L’approche non-violente du conflit favorise le recentrage sur l’objet de l’antagonisme (et non plus sur la rivalité de personne qui en découle) et sa médiatisation (en évitant une dualité destructrice). Plusieurs méthodes sont possibles : l’arbitrage (un tiers tranche en désignant qui a raison, qui a tort), la conciliation (recherche d’une solution de compromis), la médiation (renouer les fils de dialogue pour permettre aux interlocuteurs de trouver une solution qui respecte les intérêts de chacun). Dans tous les cas il s’agit de trouver un temps pour parler, d’exprimer clairement l’objet du conflit, de résumer les problèmes en identifiant clairement leurs causes et d’explorer les solutions possibles. Cela passe par la gestion de ses émotions : écouter et maîtriser sa peur, sa colère, son stress. La gestion des conflits demande assurément de l’énergie, du temps et de l’imagination. Elle nécessite, en outre, que chacun exprime son point de vue sans dénier celui des autres et entre dans une écoute active avec la volonté réelle de comprendre. Apprendre à ne pas être centré sur soi et accepter de s’enrichir de l’apport de l’autre ne va pas de soi. Cela nécessite une éducation qui doit être entretenue en permanence. C’est la voie qui permettra non de réduire les conflits, mais d’aider à les résoudre d’une façon positive.

A lire : « Conflit : mettre hors-jeu la violence »  B. Bayada, Guy Boubault, Anne-Catherine Bisot, G. Gagnaire, Chronique Sociale, 2000

 

 

Fiche n°3 : apprendre à gérer sa violence, en acceptant ses émotions

Peur, colère, agressivité sont des expressions tout à fait saines de nos sentiments. L’angoisse, la honte ou la violence constituent des réactions frustrées à ces pulsions qu’on n’a pas voulu reconnaître et accompagner. Accéder à la compréhension des sentiments qui nous animent, c’est apprendre à mieux gérer nos états internes et à faire le tri de nos peurs et de nos rages. L’objectif consiste bien à renforcer notre capacité à vivre ensemble. C’est à une véritable intelligence émotionnelle qu’il faut éduquer les enfants. Nourrir leur quotient intellectuel n’est pas suffisant. Il faut aussi leur apprendre à identifier, nommer, comprendre, exprimer et utiliser positivement leurs émotions, sous peine de les voir en devenir les esclaves. Pour accroître ces compétences, il faut que les adultes écoutent les enfants, leur donnent la permission de libérer leurs tensions et leur offrent  un espace pour décharger leurs ressentis. Quelles sont les questions que nous devons nous poser pour favoriser cet épanouissement ? D’abord, s’interroger sur ce qu’est le vécu de l’enfant : celui-ci est facilement envahi par ses affects, il reste prisonnier de l’immédiateté de ses réponses, sans médiation de la pensée pour relativiser les choses. Il faut donc l’écouter et essayer d’identifier sa vision du monde, pour mieux comprendre ses réactions. Il doit être accompagné en cela par l’adulte qui peut justement lui apprendre à les canaliser et à les conduire vers des modalités socialement acceptables.

C’est progressivement qu’il va acquérir les outils mentaux qui lui sont nécessaires pour apprendre à gérer ses affects.

La deuxième attitude consiste alors à savoir interpréter s’il y a ou non dans son comportement un message à décoder. Ainsi, de ces pleurs qui ne sont pas toujours signes de détresse : les larmes font baisser la tension artérielle, éliminent les toxines, relâchent les tensions musculaires, rétablissent la respiration et produisent un état de détente et de liberté. Du côté des adultes, le comportement est aussi émotion, message, expression de besoins contradictoires. Il est tout aussi important de prendre conscience de ce qui dicte l’attitude afin de ne pas en faire porter la seule responsabilité à l’enfant. Mais attention : l’écoute respectueuse des émotions de l’enfant n’implique pas systématiquement la satisfaction de ses demandes. L’aptitude à gérer la frustration, à différer une satisfaction, à subordonner le présent au futur constitue un élément fondamental de la capacité au bonheur.

A lire : Isabelle Filliozat  « L’intelligence du coeur- Rudiments de grammaire émotionnelle » (1997),  « Au cœur des émotions de l’enfant –Comprendre son langage ses rires et ses pleurs » (1999), « Que se passe-t-il en moi ? Mieux vivre ses émotions au quotidien », (2001) éditions Jean-Claude Lattès.

 

Manifeste contre la violence « éducative ».

La France a signé et ratifié le 7 août 1990 la Convention des droits de l’enfant. L’article 19 de cette Convention stipule que les États signataires « prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales ».

Or, en France, d’après un sondage SOFRES de janvier 1999, 80% des parents donnent à leurs enfants gifles et fessées quand ce ne sont pas des coups de martinet ou de ceinture. Presque tout le monde trouve cela normal, inoffensif et même nécessaire. Et les services sociaux et la Justice n’interviennent que dans les cas extrêmes.

Pourquoi est-il permis de frapper un enfant alors qu’il est interdit de frapper un homme adulte, une femme, une personne âgée et, en prison, le pire des criminels ? Nos lois ne permettraient-elles d’agresser que les plus faibles ?

Les enfants ont le droit d’être élevés sans violence, ce qui ne signifie pas sans fermeté.

De multiples études récentes ont montré que difficultés scolaires, délinquance, violence, dépression, alcoolisme, abus de drogues, maladies diverses et même accidents ont très souvent pour origine des violences, même modérées, subies dans l’enfance. Maintenant que nous le savons, nous n’avons plus l’excuse de l’ignorance qu’avaient nos parents.

Pourquoi s’étonner que certains jeunes recourent à la violence quand le premier exemple de violence leur a en général été donné par leurs propres parents les frappant sur les joues, le crâne, le dos ou les fesses ? L’enfant frappé apprend à frapper les autres. L’enfant respecté apprend à respecter les autres. Le rôle des parents est-il d’enseigner la violence ou le respect ?

Les parents qui frappent leurs enfants pour les éduquer le font parce qu’ils ont été frappés eux-mêmes et ignorent les conséquences de leurs coups. Seule une interdiction sans ambiguïté, comme celle qui, en France, interdit les coups à l’école depuis le XIXe siècle, peut mettre fin à ce cycle. La France, comme déjà onze pays, dont neuf européens, doit voter une loi spécifique interdisant toute violence, y compris fessées, gifles, tapes, etc. Cette loi doit être assortie non pas de sanctions judiciaires mais d’une large information apportée aux parents ainsi qu’aux futurs parents sur les effets des coups et les moyens d’élever les enfants sans violence, exactement comme il est demandé aux automobilistes d’être familiers avec le code de la route.

Les signataires de ce manifeste demandent au gouvernement et à leurs députés de mettre la législation française en harmonie avec la Convention des Droits de l’Enfant, comme le demande le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU, et de voter une loi spécifique qui interdise vraiment toute forme de violence à l’égard des enfants. Le texte de cette loi pourrait être semblable à celui de la loi danoise : « L’enfant a droit au soin et à la sécurité. Il faut agir de manière respectueuse vis-à-vis de l’enfant et ne pas lui infliger de punition corporelle ou autre traitement humiliant. »

Olivier Maurel a diffusé, un manifeste en invitant chacun à s’en faire l’écho, y compris en le faisant signer comme une pétition et en l’envoyant à son député ou au premier ministre.

 

 

 

Bibliographie
« Violences et insécurité – Fantasmes et réalités dans le débat français » Laurent Mucchielli, La Découverte, 2001, (142 p)
Y a-t-il une montée inexorable de la délinquance et de l’insécurité. Ou bien s’agit-il plutôt de la reprise de stéréotypes éculés pour dissimuler notre désarroi face aux comportements d’une jeunesse qu’on n’arrive plus à comprendre ? L’exemple de l’école est représentatif. Les média relatent avec prédilection les agressions dont sont régulièrement victimes les profs. Les chiffres de l’année 1998-1999 laissent apparaître 40 cas. C’est inadmissible, mais rarissime au vu des 5,5  millions d’élèves et des 500.000 fonctionnaires en exercice dans l’Education nationale. Pour autant, il y a de quoi alimenter la presse au moins une fois par semaine.  Autre exemple : si l’on comptabilise les homicides (et tentatives), les coups et blessures ayant entraîné la mort, ainsi que les infanticides, on est passé d’un fait pour 24.701 habitants en 1972 à un fait pour 25.257 habitants en 1998, soit une légère régression. Parallèlement, les coups et blessures ont augmenté, tout comme les dégradations de biens publics et privés ainsi que les vols et les cambriolages. Mais ce qui s’est incomparablement accru, c’est la sensibilité au sentiment d’insécurité. Notre société ne pourra faire l’économie de s’interroger sur ce qui pousse les jeunes à entrer dans la délinquance, et notamment leur condamnation à l’inexistence sociale et à un avenir en forme d’impasse.

« Les adolescents violents – Clinique et prévention » Yves Tyrode, Stéphane Bourcet, Dunod, 2000, (195 p)
Si la violence est nécessaire à l’existence, il est tout aussi nécessaire de la contrôler. Ce contrôle passe par le rituel et l’utilisation de la parole qui peut, en même temps qu’elle la canalise, paradoxalement, peut l’amplifier. Les manifestations violentes débutent surtout quand la communication et le dialogue n’arrivent plus à s’instaurer et que le discours défaillant ne peut plus être ni mentalisé, ni symbolisé. Présente à tous les âges de la vie on la retrouve plus particulièrement chez les jeunes garçons, le sexe masculin et la limite inférieure à 16 ans constituant des facteurs de corrélation très forts. Les sociologues des années 70 évoquaient, pour expliquer ces passages à l’acte, la lutte des classes du prolétariat contre la bourgeoisie. Ceux des années 80 les identifiaient à la violence urbaine. Les années 90 ont souligné la requalification des faits : ce qui compte ce n’est pas tant l’objectivation de cette réalité que l’attitude qui se caractérise par une moindre tolérance, d’où une apparente explosion. Les tentatives pour identifier l’origine de cette violence  chez l’homme ont été aussi fort diverses : après avoir été tenté par la cranioscopie (examen des os du crâne), par la recherche du chromosome du crime  ou d’une anomalie hormonale et/ou neurologique, la plupart des chercheurs en sont arrivés à la conclusion qu’aucun facteur biologique ou génétique n’était vraiment déterminant. La question de la violence est donc à la fois vaste et complexe.

« Les adolescents face à la violence » Sous la direction de Caroline Rey, Syros, 1996 (336 p)
L’adolescent a mauvaise réputation. Il est trop souvent désigné comme responsable d’une violence alors même qu’il est le premier à la subir. On compte chaque année dans le monde 3,5 millions de morts par traumatisme dont 1 million par suicide et homicide. Si dans certains pays, la violence intentionnelle est passée en cinquante ans de 3 ou 4 % à près de 10 %, on peut constater que les enfants et les jeunes sont globalement bien plus victimes qu’acteurs de cette violence. Quand on étudie plus particulièrement les conduites violentes, on s’aperçoit qu’il y a une faible corrélation entre celles-ci et les jeunes satisfaits de leur scolarité et de leur famille mais une forte correspondance avec les jeunes qui rencontrent tout au contraire dans ces mêmes domaines de fortes insatisfactions. A cette analyse, il faut ajouter la démonstration d’une violence définie comme une conduite typiquement masculine liée à toute une éducation dont la virilité est le point d’orgue avec son lot d’agressivité. Le tableau ne serait pas complet si on omettait la violence imposée par l’institution scolaire : conditions d’accueil, pédagogie, les relations sociales et le mode de fonctionnement interne provoquent parfois une maltraitance à laquelle les adolescents ne font que réagir. Et puis, reste la question de la distinction entre le pathologique et le normal. Où s’arrête la violence fondamentale qui s’identifie à l’instinct de survie et où commence l’agressivité et son intentionnalité (vouloir nuire à autrui) ?

« Savoir vivre ensemble : agir autrement contre le racisme et la violence »
Charles Rojzman avec Sophie Pillods, Syros, 1998, (284 p)
Le travail de « thérapie sociale » que propose Charles Rojzman au sein des municipalités ou des organisations confrontées à des situations de crise commencent à être connu. Première démarche, celle qui consiste à repérer les erreurs à ne pas commettre : identifier un bouc émissaire et le traiter par la médecine asymptomatique (où il suffit de changer une pièce) ou au contraire se contenter d’incriminer la globalité du problème. Mais aussi, se limiter à une analyse consciencieuse qui ne débouche sur aucune proposition concrète. C’est justement ce que ne veut pas faire l’auteur. Quand il travaille avec les acteurs de terrain, c’est à une véritable thérapie de groupe à laquelle il a recours. Son objet ? Accepter d’entendre ses propres sentiments de peur et de haine et remonter aux souffrances et aux malaises qui en sont la source, tolérer les limites des autres, accepter de se mettre en cause sans pour autant culpabiliser. L’objectif est bien créer de l’intelligence collective pour aboutir à une coopération qui puisse dépasser la méfiance, le mépris et les préjugés.
Pour Charles Rojzman, il ne s’agit pas d’apparaître comme un maître à penser, mais plus comme un facilitateur. Il choisit comme axe principal, le travail sur l’ambivalence fondamentale de l’être humain : « nous ne sommes pas tous, ni toujours des monstres, mais nous le devenons facilement, dès que la souffrance ou la passion du pouvoir nous aveugle » (p.9)

« Violences scolaires- Les enfants victimes de violence à l’école »
Pascal Vivet et Bernard Defrance, Syros, 2000, (152 p)
Il ne s’agit donc pas ici d’un brûlot anti-enseignants, mais d’une approche des phénomènes de violence à l’école à partir d’un changement de perspective. Car, reconnaissons-le, cette question est toujours traitée de la même façon, que ce soit par les média, l’opinion publique ou les responsables politiques. Un prof qui se fait cracher dessus fait l’objet de bien plus de sollicitude qu’un élève qui se fait humilier, dénigrer ou insulter par son maître. En fait, il ne faut banaliser aucune de ces deux formes de violence qui sont également intolérables et ne pas s’appuyer sur l’une pour dénier ou minimiser l’autre. Pour autant, il n’y a guère de travaux pour mesurer la situation des enfants et adolescents en tant que victimes des adultes : les auteurs font en cela œuvre innovante. Il existe encore de ces institutrices qui terrorisent les enfants au point de transformer la vie à l’école en véritable enfer : enfermement dans un placard quand on n’est pas sage, bouche scotchée plusieurs heures si on est trop bavard, corps attaché sur la chaise avec une corde si on est trop turbulent. Il y a encore de ces chefs d’établissement qui ferment les yeux sur les violences subies par certains bouc-émissaires de la part de leurs camarades de classe ou qui couvrent les harcèlements sexuels d’adultes pervers en prétextant qu’il s’agirait d’agissement accomplis « sans le faire exprès, peut-être pour s’amuser ».