Le Mensonge

Est-il vrai qu’il n’est pas beau de mentir ?

Quoi de plus immoral que de mentir ? Quoi de plus insupportable de voir la vérité travestie ? Quoi de plus inacceptable qu’un enfant pris « la main dans le sac » qui continue à nier, en jurant qu’il n’a rien fait ? Pourtant, l’humanité a toujours menti et continuera éternellement à le faire. Est-ce une raison pour l’accepter ? Mais comment faire pour que la sincérité prenne le dessus sur le mensonge ? Autant de questions que nous allons essayer de traiter dans le dossier de ce mois-ci, en essayant de ne pas trop raconter de bobards au lecteur.
 
Il n’existe pas de religion, de philosophie, ni de morale qui accepte le mensonge. Dans toutes les civilisations connues, l’acte consistant à mentir est condamné, vilipendé, voué aux gémonies. Pourtant, l’être humain ne semble pas pouvoir se départir de cette vilaine manie. Selon Claudine Biland (1), nous nous y adonnons toutes et tous, tout le temps, au rythme moyen de deux fois et demi par jour. Dans notre vie privée, comme dans notre vie publique, dans notre famille, comme dans notre travail. Comment expliquer ce paradoxe ? Le mensonge est à la fois inhérent à toute vie en société en même temps qu’il mine potentiellement cette même cohabitation. Se trouver face à un autre implique de ne pas toujours livrer le fond de sa pensée, de ne pas forcément révéler tous ses actes, de ne pas être entièrement transparent. Chacun a droit à son jardin secret, à son intimité et au mystère de son intériorité. Et le mensonge est l’un des moyens de les protéger. Mais, ne pas faire preuve ainsi de toute la franchise et de la loyauté que l’on peut attendre de nous, c’est aussi prendre le risque de perturber gravement les relations sociales, en remplaçant le lien de réciprocité et de confiance, par la suspicion et la méfiance mutuelles. Nous voilà donc plongés dans un dilemme que nous allons essayer de démêler. Nous pourrons ensuite nous pencher plus sereinement sur le mensonge de l’enfant. Notre propos, on l’aura compris, ne se veut pas moralisateur ou stigmatisant, mais plutôt ouvert sur la complexité d’une réalité humaine qui n’a jamais pu être circonscrit malgré toutes les maximes sentencieuses employées depuis des millénaires. 
 
Qu’est-ce que le mensonge ?
Michel Fize définit le mensonge comme le fait « de produire un faux discours, en sachant qu’il n’est pas vrai (…) c’est tromper intentionnellement et en parfaite conscience quelqu’un en sachant ce que l’on cache sciemment » (2) Les choses sont donc claires : le menteur sait qu’il ment. Nul n’est menteur « à l’insu de son plein gré » comme l’affirma, avec beaucoup d’humour involontaire, Richard Virenque, après avoir été convaincu de dopage. Celui qui dit quelque chose, en le croyant sincèrement, ne ment pas. L’avis du philosophe Emmanuel Kant est des plus sévère pour celui qui adopte une attitude contraire : « l'homme qui ne croit pas ce qu'il dit est moins qu'une chose » (3). Il convient toutefois de distinguer dans le mensonge divers degrés d’intensité et de gravité. Ainsi, affirmer ne rien savoir, alors même que l’on peut innocenter quelqu’un accusé à tort, n’a pas les mêmes conséquences que mentir pour faire une farce. La tradition rapporte la plaisanterie faite par deux novices à Thomas d’Aquin « Regardez, frère Thomas, il y a là un bœuf qui vole ! » lui dirent-ils, ravis de le voir se déplacer à la fenêtre pour observer un fait aussi inhabituel. La victime se contenta de leur faire observer qu'il eût été « moins surpris de voir un bœuf voler qu'un religieux mentir ». On peut tout autant faire une différence entre le mensonge délibéré (affirmer le contraire de ce que l’on sait être vrai) et celui commis par omission (choisir de ne pas aborder une question). « Il est impossible de dire toujours la vérité, lorsque l’on vit en société, mais il s’agit alors d’un mensonge convivial. Ces assertions contraires à la vérité n’ont pas pour but d’abuser l’autre mais de rendre possible la cohabitation entre des êtres différents », explique le psychiatre J.-D. Nasio (4).
 

Qui ment ?

« Le mensonge est essentiel à l’humanité », écrivait Proust (5). Pourtant, l’espèce humaine est bien loin d’avoir inventé le mensonge. La nature a conçu des leurres qui permettent de systématiser une tromperie vitale, tant pour se défendre, que pour se reproduire ou survivre: « sons, parades, couleurs, substances chimiques volatiles permettent, aux une et aux autres, de travestir la réalité. En permanence, de nombreuses espèces transmettent des messages erronés (à leurs partenaires ou à leurs adversaires » (6)  Ce sont les orchidées dont les pétales imitent la forme des guêpes femelles, attirant ainsi les mâles, qui en se posant, s’imprègnent de pollen qu’ils iront déposer sur une autre fleur. Mais, ce sont tout autant ces singes femelles qui se mettent à courir en poussant des grands cris dans la direction inverse des régimes de bananes qu’elles viennent de découvrir. Pendant que les mâles se précipitent dans la mauvaise direction, elles dégustent tranquillement leurs fruits préférés. Et chez l’être humain ? « La plupart d’entre nous mentent plus qu’ils ne le pensent » affirme ainsi Paul Ekman (7). La tentation du mensonge se présente à nous, à tout instant : face à notre conjoint, nos parents, nos enfants, nos collègues de travail, nos amis. Certaines professions peuvent tout particulièrement se prêter à ce comportement : le médecin face à son malade, le politicien face à son électeur … le journaliste face à son lecteur. Idem pour certaines postures : l’automobiliste face au policier qui l’arrête, l’inculpé face à son juge, le candidat face au recruteur.
 

Pourquoi ment-on ?

Toutes ces circonstances posent à chacun l’alternative de la franchise ou de la dissimulation. Faut-il reconnaître un acte, un fait, une opinion ou les masquer ? Qu’est-ce qui peut nous pousser à trancher dans le sens de la fabulation ? La première raison est aussi la moins fréquente : c’est le souci altruiste. Ne pas vexer l’autre, ne pas l’humilier, ne pas l’offenser. Faut-il dire à sa vieille tante malade à qui l’on rend visible à l’hôpital qu’on la trouve très mal en point ? Faut-il toujours dire à son hôte que son repas n’est pas à notre goût ? Faut-il montrer sa déception du cadeau que l’on nous offre ? Jouer l’hypocrite n’est pas forcément une bonne solution. Mais l’apprentissage des conventions sociales nous a formatés à utiliser dans ce type de situation, ce qu’on appelle pudiquement des « pieux mensonges ». Il arrive parfois, que l’autre ne soit pas dupe. Mais comme il a appris, lui aussi, à ne pas rompre les règles de bienséance, les apparences sont sauves. Plus dramatiquement, les résistants devaient-ils « dire la vérité » à leurs tortionnaires nazis ? Ce sont leurs mensonges qui permirent alors de sauver leurs réseaux, au prix de leur vie. Le lecteur ne doit pas lire dans l’argumentaire qui vient d’être exposé ni une naturalisation du mensonge qui le transformerait en une sorte de comportement recommandable, ni un éloge cynique qui en ferait une éminente vertu humaine. Il s’agit bien plus d’inviter à entrer dans la complexité d’une caractéristique que la morale a trop souvent réduite à la honte ou à l’opprobre. 
 

Un acte égocentré

Les exemples qui viennent d’être présentés ne sauraient laisser croire que l’on ment essentiellement pour ne pas faire de peine aux autres. L’immense majorité de nos mensonges sont surtout et avant tout égoïstes. Si nous les proférons, c’est pour nous protéger, pour préserver notre image et nos intérêts. La liste de ces motivations égocentrées est longue et non exhaustive. La première raison qui vient à l’esprit, c’est pour éviter une sanction (« je vous assure, Monsieur l’agent, je suis passé au feu vert »). Mais, il en est bien d’autres qui nous sont toutes et tous familiers : se valoriser et donner une image positive de soi (« je connais des gens influents »), éviter un contact jugé inopportun (« je ne peux accepter votre invitation, j’ai déjà un engagement ce jour-là » ), fuir un conflit ou une confrontation désagréable (« non, je n’ai pas commis ce que vous me reprochez »), obtenir un avantage (« c’est grâce à moi que ce résultat a été obtenu »), pour dominer (« faites-moi confiance, j’agis dans votre intérêt »), pour se dérober à une hiérarchie (« bien entendu, que je vais respecter vos consignes »), ne pas montrer son incompréhension (« mais si, j’ai parfaitement compris votre démonstration »), protéger sa vie privée (« mais non, ta mère et moi nous ne sommes pas fâchés »), exprimer sa haine ou sa volonté de vengeance (« c’est bien lui qui a commis ce délit ») etc … Le tableau pourrait s’enrichir de bien d’autres figures qu’il reviendra au lecteur de compléter, au gré de son expérience personnelle, subie … ou agie.
 

Le mensonge de l’enfant

Si nous avons pris le temps de nous pencher sur le mensonge, en général et celui de l’adulte en particulier, c’est pour mieux traiter celui de l’enfant, en le replaçant à sa juste valeur. Le petit d’homme ne fait pas exception au fonctionnement de l’espèce humaine, et si c’était le cas, il serait très vite perverti ! Il est convenu de fixer à l’âge dit de raison, le moment où l’enfant va réussir à séparer complètement le subjectif de l'objectif, à distinguer le vrai du faux, à discriminer la réalité de la fable, à bien différencier le monde réel du monde imaginaire. Jusque là, il vivait dans un univers magique où affirmer une chose, c’était la rendre vraie, et au contraire, la nier permettait de la faire disparaître. « L’enfant en fonction de son égocentrisme inconscient est spontanément porté à transformer la réalité en fonction de ses désirs » affirmait Piaget. L’intention de tromper n’apparaît que vers 5-6 ans. L’enfant commence alors à élaborer des histoires pour ne pas être puni. Mais il confond encore l’erreur et le mensonge. Il ne les distingue totalement que vers 7 ans, période où s’éveille sa conscience du bien et du mal. Au hit-parade des raisons qui le poussent à tordre la vérité, on trouve la peur d’être puni, le plaisir d’imaginer en jouant avec les mots et le désir d’être important aux yeux des autres arrivent en tête. Mais, progressivement vont se glisser les motivations qui sont aussi celles des adultes : l’intérêt, la cupidité, la haine, la vengeance, la passion, la défense, le sacrifice, le besoin de se valoriser…
 

Combattre le mensonge ou s’y résigner ?

Un monde sans mensonge est aussi utopique qu’un monde sans conflit. Ce sont là les produits de notre nature humaine. Ce n’est bien entendu pas une raison pour valider, justifier ou promouvoir le mensonge. Il est essentiel de tenter de comprendre le sens et les raisons qui nous font le pratiquer. Un enfant équilibré, aimé, heureux, vivant dans un milieu harmonieux, compréhensif, peut être amené à mentir pour se préserver d’un désagrément. A l’inverse, dès lors qu’il a vécu des situations de stress, de souffrance, de trahison, le mensonge peut devenir un mécanisme de défense, identifiable par lui à un réflexe de survie. Dans un cas comme dans l’autre, la démarche éducative doit à la fois reconnaître l’universalité du mensonge et la nécessité de le combattre. On peut illustrer ce paradoxe en évoquant les façons dont est satisfait cet imaginaire qui constitue l’un des besoins essentiels de l’enfant. C’est pour y répondre que les adultes lui racontent de belles histoires. C’est là un domaine de fiction bien identifié. En va-t-il de même quand on lui fait croire au père noël ou à la petite souris ? Ne peut-on y voir une initiation bien perverse à la pratique d’un mensonge qu’on va tenter de combattre ensuite chez lui ? On pense fréquemment que cela ne peut lui faire de mal. Fort bien. Mais, selon quel principe moral, le boniment de l’adulte serait-il plus acceptable que celui de l’enfant ? Après avoir bien embrouillé le lecteur avec nos contradictions collectives, il est temps d’essayer d’en sortir. Retenons quatre postulats qui pourraient servir d’épine dorsale à une réponse éducative face au mensonge.

Comment accompagner le mensonge ?

Première proposition, celle que l’on peut résumer en parlant de réciprocité. Commençons par balayer devant notre porte, avant de mettre trop facilement l’autre en accusation, l’enfant ne faisant pas, à cet effet, exception. Car il ne peut que s’apercevoir de notre utilisation régulière de contrevérités. « On n'enseigne pas ce que l'on sait ou ce que l'on croit savoir: on n'enseigne et on ne peut enseigner que ce que l'on est » affirmait Jean Jaurès (9). Il s’agit donc bien de donner l’exemple et de ne pas exiger de l’enfant ce dont nous ne sommes pas, nous-même, en capacité de tenir et de montrer. Il n’y a rien de plus décrédibilisant et hypocrite que de brandir des valeurs qui nous font apparaître comme des parangons de vertu, quand nos actes quotidiens nous mettent en porte à faux avec ce modèle. D’où la seconde proposition : l’apprentissage du « bien » mentir. Nous avons vu qu’il y a des fabulations qui s’imposent par politesse, bienséance ou diplomatie et qui sont nécessaires au vivre ensemble. Plutôt que d’adopter l’attitude moralement requise d’une prohibition de tout mensonge, sous toutes ses formes, attitude que nous sommes nous-mêmes bien incapables de tenir, mieux vaut apprendre à l’enfant à distinguer les différentes façons de dissimuler la vérité, en identifiant plus particulièrement celles qui, à nos yeux, sont tolérables et celles qui ne le sont pas. Affirmer qu’on a oublié de faire son travail scolaire (alors qu’en fait on n’a pas voulu le faire) n’a pas la même conséquence que d’affirmer que l’on n’a pu le réaliser parce qu’un de ses parents est tombé gravement malade ou est mort.
 

Apprendre à assumer

Pour autant, faut-il valider l’attitude qui consiste à mentir plutôt que de reconnaître ses torts ? 
On aborde là le troisième principe proposé, en cette fin de dossier : apprendre à assumer ses actes. Si l’une des motivations essentielles du mensonge chez l’enfant est la dissimulation de sa responsabilité, il apparaît essentiel de pouvoir lui faire reconnaître son implication, sans qu’il considère qu’un tel acte lui ferait automatiquement perdre la face. Cela s’apprend et s’expérimente, avec pour corollaire la nécessité non de supprimer, mais de calibrer les sanctions qui lui seront potentiellement appliquées, en excluant toute humiliation ou rabaissement et en privilégiant une juste compensation du préjudice. Dernière piste : apprendre à dire non. On n’ose pas toujours s’opposer à ce que l’on nous dit ou nous propose. Cela provient de notre enfance, cette époque où nous avons appris à être docile, par peur de perdre l’amour de nos parents (10). La crainte d’être blessant, de casser les relations, d’être jugé comme excessivement méchant ou égoïste nous incite à accepter ce qu’on aurait envie de refuser. On préfère alors mentir que de dire une vérité que l’on craint d’être blessante. Certes, l’enfant trouve bien vite la voie de l’autonomie et de l’individualité, en objectant à ce qu’on lui demande. C’est tout particulièrement vrai à la période des premiers « non » (vers 3 ans) et à l’adolescence. Très souvent pourtant, la soumission apparente, séductrice et manipulatrice, vient remplacer la résistance systématique. La réaction de l’adulte ne doit pas être d’encourager l’enfant à s’opposer par principe, mais à identifier ses envies et ses désirs et à ne pas acquiescer uniquement pour faire plaisir à l’autre. S’il peut et doit se soumettre aux exigences des adultes, il peut tout autant exprimer qu’il le fait sous la contrainte. Lui reconnaître le droit de dire son désaccord ne signifie pas qu’il puisse se dérober aux obligations qui lui sont faites. Mieux vaut accepter qu’il manifeste son opposition, plutôt que d’encourager chez lui l’émergence de stratégies de mensonge permettant, après avoir réduit la vigilance de l’adulte, de n’en faire qu’à sa tête.
Les pistes esquissées ici ne sauraient avoir la moindre valeur universelle, ni garantir en elles-mêmes une destinée exempte de ces mensonges que nous exécrons. Car, aucune mesure éducative ne saurait répondre à coup sûr, avec efficacité et pertinence à une problématique qui se trouve au cœur de l’ambivalence humaine. Comme pour tant d’autres dimensions, il ne faut pas la réduire, ni tenter de la simplifier, mais entrer au contraire dans sa complexité, pour mieux y faire face. Et puis, il revient à chacun de tenter de trouver la formule qui pourra au mieux satisfaire notre légitime quête d’authenticité et de sincérité. 
 
Lire Interview : Biland Claudine - Communication non-violente  
(1)  Claudine Biland « Psychologie du menteur », Odile Jacob, 2004
(2)  Michel Fize « Les menteurs. Pourquoi ont-ils peur de la vérité ? », éditions de l’homme, 2007, p.24
(3)  Emmanuel Kant  « D’un prétendu droit de mentir par humanité » (1797)
(4)  Juan David Nasio « Un psy sur le divan »,Payot, 2002
(5)  Marcel Proust « A la recherche du temps perdu », Gallimard, 1992
(6)  Paul Ekman « Les mensonges des enfants », Petite Bibliothèque Payot, 2007, p.24
(7)  Michel Fize, idem p.84
(8)  Claudine Biland, idem
(9)  « L’esprit du socialisme » Gonthier, 1964
(10) « Savoir dire non, en famille, au travail, aux amis, en amour, au quotidien » Marie Haddou, Flammarion, 1997
 
 
« Eloge du mensonge »
« Un mensonge souvent n’est qu’une vérité qui se trompe de date. Et cela peut se dire aussi bien de la science que de l’amour. (…) La vérité n’a de prix que dans la bouche des menteurs. Pour les autres où est le mérite ? (…) Ce qui est déshonorant, ce n’est pas de mentir, c’est de se faire prendre en flagrant délit de mensonge. Il y a des maladroits du mensonge : ceux-là, on devrait les reléguer dans la vérité et leur interdire d’en sortir » Etienne Rey, (1925)
 

Le détecteur de mensonges

En usage dans certains Etats des Etats-Unis ou au Canada et dans une moindre mesure en Belgique et en Allemagne, le détecteur de mensonge, ou polygraphe, se base sur la biologie humaine. Le fait de mentir entraîne une réaction émotive agissant sous la forme d’une modification du stress et de l’anxiété. Cela a pour effet une sécrétion d’adrénaline. Cette hormone provoque différents effets physiques : accélération du rythme cardiaque, modification de la respiration, stimulation des glandes sudorales (qui produisent de la transpiration et modifient la conductivité électrique de la peau), augmentation de la pression artérielle… Ce sont ces paramètres que le polygraphe est censé détecter et mesurer. Le taux de réussite ne serait toutefois que de 60% : des personnes très impressionnables peuvent faire réagir l’appareil, là où des menteurs entraînés réussissent à contrôler leurs manifestations physiques. 
 

Pas tous égaux devant le mensonge ?

Une étude réalisée par l’équipe des professeurs Yaling Yang et Adrian Raine de Los Angeles, tendrait à prouver que la structure de la matière cérébrale serait différente selon qu’on est menteur et manipulateur pathologique ou sujet plutôt « normal ». Une population de108 volontaires a accepté de se soumettre à des examens de leur cerveau, à l'aide des techniques d'imagerie par résonance magnétique. Les chercheurs ont constaté des variations de la répartition de substance blanche : 22% de plus pour les menteurs que pour les sujets normaux. Cette surreprésentation présenterait un avantage dans l’art de la tromperie.  D’après le British Journal of Psychiatry, Octobre 2006
 

Menteurs et mythomanes

Il faut distinguer le mensonge courant proféré potentiellement par chacun d’entre nous et celui commis par un mythomane. Dans le premier cas il s’agit d’un acte banal qui permet de camoufler toute ou partie de la vérité. Dans le second cas, il s’agit d’une détresse psychologique qui pousse à exister au travers d’un récit complètement inventé auquel son auteur adhère de manière plus ou moins volontaire et consciente. Il s’opère chez lui alors une fuite en avant face à une réalité qui fait souffrir, vers un monde imaginaire susceptible d’offrir de garantir sinon un plaisir d’exister, du moins une moins grande souffrance.  
 
L’objection d’Emmanuel Kant« Fidèle à sa définition du devoir moral comme impératif catégorique, commandement absolu et inconditionné, Kant refuse tout droit de mentir et assigne à l’homme pour premier devoir envers lui-même et envers autrui le devoir, non de vérité objective (car nul n’est sûr de connaître le vrai), mais de véracité subjective, c’est-à-dire l’obligation de toujours dire ce que l’on pense sincèrement être vrai. On n’est pas toujours contraint de se déclarer ; on peut aussi ne rien dire. Mais, dès que l’on s’exprime, la déclaration que l’on fait doit être (en vertu d’un devoir universel, nécessaire et inconditionné) subjectivement véridique, à défaut d’être objectivement vraie. Le premier devoir de l’homme est donc la véracité ou véridicité, la sincérité. Indiquant une adéquation entre ce qui est dit et ce qui est pensé, la véracité met entre parenthèses le rapport de ce qui est pensé à ce qui est. Etre véridique, c’est dire ce que l’on croit, ce qui n’exclut pas de dire involontairement le faux. Il y a donc un devoir absolu de véracité, mais nul droit de mentir, fût-il exceptionnel. » Mai Lequan
Maître de Conférences en philosophie, Université Lyon 3-Jean-Moulin. 
 
 
L’art de bien mentir 
Le mensonge est un art bien difficile à manipuler. Les hommes ne sont pas égaux devant ce comportement. Certains y excellent, quand d’autres s’avèrent de piètres amateurs. Sans doute, ceux qui pratiquent de façon occasionnelle, ont moins d’entraînement et de savoir-faire acquis que ceux qui s’y adonnent par habitude. Les menteurs professionnels ne laissent rien au hasard, imaginant à l’avance les réponses qu’ils pourraient avoir à donner. Il y a, en outre, beaucoup de manières de mentir, comme il y a de multiples façons de dire la vérité. Pour être crédible, le menteur se doit d’être plausible et cohérent. Il est plus aisé de mentir à propos de faits, de projets, d’actions ou d’idées, qu’à propos de ses émotions. Seules les bons acteurs peuvent mimer la colère ou la sérénité, l’angoisse ou la tristesse. Et un bon menteur sait très bien jouer la comédie et ne rien faire transparaître de ses ressentis profonds. Par contre, celui qui est très émotif et possède une haute conscience morale s’avèrera un mauvais praticien. Il est difficile de débusquer le mensonge. Les différences comportementales entre celui qui ment et celui qui est de bonne foi sont si peu nombreuses, discrètes et furtives qu’il est complexe de les distinguer : détourner le regard, bégayer et buter sur les mots ne sont pas des indices significatifs, se retrouvant autant chez l’un que chez l’autre. La suspicion crée un état de stress et de nervosité chez celui qui doute. Chacun a tendance, par intersynchronie, à imiter son vis à vis. L’interlocuteur va donc adopter, en miroir, le même comportement que celui qui l’interroge et donner lui l’impression de connaître un trouble particulier. Ce qui sera alors interprété, à tort, comme la preuve de son mensonge...
 

Six conseils pour faire face au mensonge chez l’enfant
1-    Il est essentiel, tout d’abord, de favoriser chez l’enfant l’apprentissage de la vérité et de l’imaginaire, de l’aider à distinguer ce qui relève de la fiction et du réel. Mieux il sortira de cette confusion, plus facilement il identifiera la fabulation et ne la confondra pas avec le récit fidèle.
2-    Il est tout autant nécessaire de lui faire mesurer les conséquences du mensonge sur sa crédibilité, sur la confiance qu’on va pouvoir lui faire et sur la dégradation des relations avec son entourage qui vont s’ensuivre.
3-    Aider l’enfant à distinguer les mensonges tolérables et ceux qui ne le sont pas. Lui apprendre à faire une différence entre ceux qui sont purement égoïstes et ceux qui sont altruistes.
4-    Valoriser les occasions où l’enfant dit la vérité. Ne pas les considérer comme un dû, mais en parler comme le produit d’un effort. Surtout quand cela peut le confronter à une remontrance ou à une sanction.
5-    Accompagner l’enfant dans l’identification de ses qualités et de ses défauts. Le reconnaître comme un être aimable quel que soient ses caractéristiques morales ou physiques. Une bonne estime de soi peut aider à accepter ce qu’on est et ne pas favoriser les mensonges de protection.
6-    Tenter dans la mesure du possible de mettre en accord son discours et ses actes, en évitant de cultiver soi-même le mensonge comme un art de vivre. L’enfant est sensible autant sinon plus à ce que l’on fait plus qu’à ce que l’on dit.
 
 
Quand l’enfant accuse l’adulte
Le 28 août 2008, un enfant, âgé de cinq ans, va frapper à la porte de ses voisins, accusant son père de l’avoir laissé seul. Version contestée par ce père poursuivi six mois plus tard, devant le tribunal correctionnel, pour délaissement d’enfant. Finalement, le juge décidera de le relaxer, en expliquant : « on ne peut  s’appuyer sur les paroles d’un enfant de cinq ans ». Le témoignage d’un mineur est-il fiable au point d’entraîner la condamnation d’un adulte ? Pendant longtemps, on ne lui accorda aucune crédibilité, sa parole étant frappée de suspicion systématique. La prise de conscience des situations de maltraitance en général et d’agression sexuelle en particulier fit basculer l’opinion qui se rallia à l’idée qu’en cas d’abus, « un enfant ne peut pas mentir ». Puis, selon un mouvement de balancier récurrent, le scandale du procès Outreau a réveillé le doute. « Nous disposons d’une méthodologie fiable pour déterminer si un enfant dit la vérité », affirmait l’une des expertes psychologues trois ans avant d’être amenée à l’appliquer sur 17 accusés … dont 15 s’avéreront innocents. Il faut cesser de passer d’un extrême à l’autre. Aucune déclaration d’enfant portant sur des actes de mauvais traitement dont il aurait été victime ne doit être banalisée. Nous sommes tous tenus à une obligation de protection à l’égard des membres les plus jeunes de notre communauté, ce qui implique vigilance et attention sur ce et ceux qui peuvent les menacer. Mais toute accusation ne doit pas non plus être validée, comme évidente et vraie par principe. Le mensonge a de nombreuses raisons d’être. Celui que profère l’enfant sur ce qu’il aurait subi, tout autant. Il peut servir à protéger le véritable coupable, à se venger d’un adulte haï, à se faire remarquer. Il peut aussi être le produit de questions inductrices. Confronté à une révélation, un animateur ne doit d’emblée ni l’assimiler à un mensonge, ni la prendre comme argent comptant, que celle-ci mette en cause la famille ou un professionnel. Mais, ni l’un, ni l’autre ne peuvent non plus être exclus. Le risque est à chaque fois d’adopter la mauvaise attitude, en prenant la vérité pour un mensonge ou le contraire. Il convient alors de ne pas rester seul et d’agir avec prudence certes, mais en faisant le nécessaire pour protéger l’enfant. Quadrature du cercle qui pose, à chaque fois, un cas de conscience et nécessite de tout faire pour ne pas se tromper.
 
 
Bibliographie
« Psychologie du menteur » Claudine BILAND, Odile Jacob, 2004
Il n’est pas de civilisation qui ne stigmatise le menteur qui se joue de la confiance et de la naïveté de son interlocuteur. Et pourtant, nous mentons tous, tout le temps. Si cette pratique universelle est à ce point banalisée, c’est sans doute que la plupart des gens préfèrent ne pas savoir. C’est même là un devoir pour ne pas blesser autrui, choisir de dire la vérité pouvant avoir des conséquences encore plus redoutables. Imaginer un monde sans mensonges est bien plus terrifiant que le contraire : les gens qui disent tout ce qu’ils pensent sont bien peu fréquentables… Dès ses trois ans, l’être humain acquière une capacité indéniable à fabriquer un vrai mensonge, pour duper les personnes et ne pas avouer ses forfaits. Plus il grandit, plus il est capable de cacher son état réel et de fabriquer un état fictif. « Nous sommes tous des acteurs engagés en permanence dans notre mise en scène de la vie quotidienne. » (p.24) Il est très difficile d’arriver à identifier avec certitude le mensonge. Pour confondre un menteur, mieux vaut cultiver la suspicion, taire ce que l’on sait et multiplier les questions, faire répéter les propos de celui qu’on suspecte et comparer son attitude présente à celle qu’il adopte habituellement. Sans garantie pour autant, de réussir à distinguer à coup sûr, le vrai du faux.
 
« Les menteurs. Pourquoi ont-ils peur de la vérité ? » Michel Fize, édition de l’Homme, 2007
Le monde ment. Il ment même énormément. Il suffit d’avoir la faculté de penser pour le faire. Certains le font pas habitude, d’autres d’une manière plus occasionnelle. Mais, on préfère euphémiser cette pratique. On parle bien plus facilement de dissimulation, de tromperie, de ruse, de fraude ou encore de manipulation. Reste que le mensonge est l’un des réflexes les plus humains qui soit. En amont, il y a une intention et en aval une conséquence. C’est l’une et l’autre qu’explore l’auteur, en illustrant ses déclinaisons institutionnalisés que sont la propagande en politique, la publicité dans le commerce et les préjugés chez chacun. La force du menteur, c’est de raconter une histoire crédible : plus il est convainquant, plus il réussit à se convaincre lui-même et donner de la vraisemblance à sa fabulation. L’enfant ne fait, en la matière qu’imiter le monde adulte, se montrant autant capable de mentir que de ne pas le faire. Soucieux de les confronter à une éducation qui les éloigne du mensonge Michel Fize prend soin de lui opposer non pas tant la vérité que la sincérité et la franchise. Et les valeurs qui peuvent favoriser cette loyauté, ce sont celles qui invitent à faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait, à tenir ses engagements, à respecter la parole donnée, à mettre en cohérence ses actes et sa parole. Mais, après tout, la sincérité, n’est-ce pas ce qui reste, après avoir enlevé tous les mensonges ?
 
« Les mensonges des enfants » Paul Ekman, Payot, 2007
Avec beaucoup d’humilité et de sincérité, l’auteur commence par expliquer comment lui, le spécialiste qui étudie le mensonge depuis 40 ans, s’est fait rouler … par son propre fils. Face à une telle situation, nous nous situons tous entre la colère et la culpabilité, la dénégation et la responsabilité, l’envie de punir et celle d’ignorer le mensonge, explique-t-il. C’est qu’il y a de multiples façons de mentir, les unes étant plus graves que d’autres. Ce n’est pas toujours mal de le faire, surtout quand on le fait par politesse ou tact. Mais il y a autant de manières de dire la vérité ! L’art du mensonge ne présente pas que des inconvénients. Pour bien affabuler, il faut réussir à envisager le point de vue de celui à qui on s’adresse, se mettre à sa place et prendre en considération ce qui lui semble crédible ou au contraire suspect. Cette perception lui permet de régler et d’ajuster son mensonge. Sans compter le développement de facultés d’expression et la modification de ses façons de parler et de se comporter. C’est pourquoi les enfants les plus intelligents ne mentent pas moins. Ils le font simplement avec plus d’habileté. Le mensonge peut aussi être perçu comme le droit de l’enfant à ne pas tout dire de sa vie intime ou privée et de décider ce qui doit être révélé ou non, comme une forme d’autonomisation à l’égard de figures parentales parfois par trop intrusives.
 
« Savoir dire non, en famille, au travail, aux amis, en amour, au quotidien » Marie HADDOU, Flammarion, 1997
Opposer un non à une demande qui vous est adressée n’est pas chose facile. On préfère dès lors accepter ce qu’on avait envie de refuser. Ou avoir recours à de bien mauvaises solutions: la fuite, l’évitement, le mensonge, etc ... Modifier son caractère en la matière nécessite en tout premier lieu de reconnaître ses difficultés. Cela n’est pas facile: la pression est forte qui identifie le comportement idéal à la docilité et au dévouement. Il faut, pour changer, opérer dans un premier temps un travail d’auto-évaluation et repérer les mécanismes qui viennent déformer l’information disponible : telles ces pensées automatiques qui surgissent et auxquelles il convient d’opposer des pensées alternatives. Ainsi,  à « je vais avoir l’air ridicule », préférer « j’ai le droit d’agir comme je le crois»; à « je vais me faire rejeter » préférer « s’il me rejette, c’est que ce n’est pas un véritable ami »; à « il ne va pas supporter » préférer « peut-être n’attend-il que cela ». Une fois le non affirmé, la réaction de l’interlocuteur ne se fait guère attendre. Elle est le plus souvent insistante pour transformer le non en oui. Différentes techniques sont alors possibles: confirmer avec constance et fermeté son refus, reconnaître et accepter les critiques sans pour autant abandonner son point-de-vue, permettre à l’autre d’exprimer ses reproches à l’occasion de la déception que lui procure votre refus.
 

Jacques Trémintin – Journal De l’Animation  ■ n°99 ■ mai 2009