Le militantisme

L’animateur entre professionnalité et engagement

De par leur présence au cœur des villes et des campagnes, il arrive que les animateurs soient confrontés aux situations les plus dégradées, aux exclusions et aux injustices les plus révoltantes. D’où la tentation de participer au changement social seul à même de réduire les inégalités. Les partis politiques, les syndicats, mais aussi les fédérations d’éducation populaire offrent un cadre à ce combat. Comment l’animateur peut-il se retrouver dans son quotidien, écartelé entre l’affirmation de son professionnalisme et la revendication de son engagement ?


L’idée que l’animateur puisse être avant tout un militant s’impose presque naturellement. A la base de cette « évidence », les racines de l’animation socioculturelle qui se situent du côté de l’engagement d’un certain nombre de milieux religieux, syndicaux, associatifs. Ces mouvements se sont battus -et le font encore- pour améliorer les conditions de vie des milieux les plus défavorisés, en utilisant pour ce faire, le support culturel. L’un des fondements essentiels de l’animation réside donc bien dans la mouvance de l’éducation populaire et sa quête pour rendre les individus toujours plus autonomes et acteurs de leur vie. Quelques décennies ont passé depuis les pionniers qui donnaient sans compter de leur énergie et de leur temps. Mais la situation a-t-elle fondamentalement changé ? On ne devient pas animateur par hasard. On fait ce travail parce qu’on est persuadé de pouvoir être utile. La dimension du service rendu à autrui est prégnante. Qu’on le veuille ou non, qu’on en aie conscience ou pas, on déploie une action qui va dans le sens de l’intégration sociale et de l’émancipation de la personne humaine. On s’appuie sur des convictions qui privilégient des valeurs humanistes. Des notions telles la mixité sociale, la justice, la citoyenneté, l’égalité et la solidarité sont au cœur de ce travail. Tout comme l’exclusion, les discriminations, le racisme, l’humiliation des plus faibles, l’oppression et l’exploitation constituent des réalités tout particulièrement combattues. Toutes choses qui font que cette profession ne peut guère se concevoir sans un minimum de conviction personnel.

Donner de sa personne

Car, la fonction d’animation est étroitement liée à cette part de soi-même que le professionnel investit dans son action. Le savoir-faire mis en œuvre n’est guère efficace s’il ne s’accompagne pas du nécessaire savoir être qui donne tout sa force à la démarche engagée. Chacun sait que la manière dont on présente son activité, le ton que l’on emploie, le sentiment que l’on donne d’y croire ou pas … sont essentiels. Le dynamisme et l’enthousiasme constituent certaines des conditions incontournables du succès. Si l’intervenant doit nécessairement s’impliquer, du côté de l’usager l’attente va dans le même sens. Car, ce que ce dernier cherche au travers de l’animation qui lui est proposée, ce n’est pas une démonstration froide, désaffectivée et seulement technique. Son besoin renvoie au lien qu’il aspire à tisser, à la convivialité qu’il espère trouver et à la qualité de la relation qu’il souhaite établir tant avec l’intervenant qu’avec les autres participants. Et c’est bien l’investissement personnel du professionnel qui va faire la différence. Sa participation doit dépasser le stade du seul acte routinier. On est bien donc dans une logique d’engagement. On objectera facilement à ce raisonnement que l’implication ne s’identifie pas au militantisme. Effectivement, mais l’un et l’autre partagent en commun cette même volonté de donner de soi à l’autre. De quoi rapprocher des motivations et des comportements que l’on pourrait concevoir au mieux comme parallèles, au pire comme contradictoires.

Un rôle subversif ?

Autre dimension qui fait de l’animateur un salarié pas comme les autres : sa méthodologie d’intervention. S’il transmet un savoir-faire, son objectif est bien que les usagers puissent s’en emparer. Il ne s’agit pas de les laisser en situation de dépendance, mais de leur permettre d’acquérir l’autonomie qui leur permettra de maîtriser une technique ou une modalité de loisir. Cette prise de pouvoir sur sa propre vie, cette capacité à devenir maître de l’action engagée, cette propension à contrôler ce que l’on met en œuvre sont en porte à faux avec la société dans laquelle nous vivons. Certes, la prise d’initiative et la capacité à être réactif sont des valeurs de plus en plus valorisées dans un contexte salarial qui demande des compétences qui sortent du simple réflexe d’exécution. Mais, c’est toujours dans le cadre d’une soumission à une hiérarchie et à un processus dont la dimension décisionnelle échappe le plus souvent à l’individu. Permettre que celui-ci soit sujet de ses loisirs s’oppose à sa fréquente position d’objet dans laquelle le place son activité salariée. Tout cela ferait-il de l’animateur un Monsieur Jourdain qui se placerait en position de militant sans même le savoir ? Il participe à la démarche éducative qui vise à accroître toujours plus le niveau de connaissance, de culture et de créativité, toutes choses qui ne peuvent que rendre le citoyen plus conscient et développer son esprit critique.

Quand le professionnel remplace le bénévole

L’animateur serait donc un agent de changement social ? Si l’on peut repérer un certain nombre d’arguments en faveur de son rôle militant, il y en a tout autant qui justifient qu’il n’en soit pas un ! Le secteur social a longtemps été confondu avec soit le bénévolat, soit la vocation. Les assistantes sociales furent perçues pendant de nombreuses années dans la continuité des dames d’œuvre. Lorsqu’en 1945, elles revendiqueront, au même titre que les médecins ou les architectes, la création d’un ordre professionnel, cela leur sera refusé, le législateur considérant que leur activité ne relève pas d’une profession, mais d’une mission. En 1942, quand l’abbé Plaquevant crée à Toulouse l’une des premières écoles d’éducateur spécialisée, il envisage de fonder un ordre religieux qui se consacrerait avec dévouement et sans compter aux enfants perdus. L’animation socioculturelle n’a pas échappé pas à cette logique. Avant d’être professionnalisée, elle releva longtemps de l’engagement associatif bénévole. Aujourd’hui, c’est tout différent. Avant de faire preuve de son engagement, l’animateur présente des compétences d’ordre technique et relationnel. Une formation professionnelle lui permet d’acquérir la qualification nécessaire pour remplir les fonctions qui lui sont demandées. Etre animateur, cela ne s’improvise pas. Les techniques méthodologiques propres à ce métier requièrent des connaissances théoriques ainsi qu’un apprentissage long qui ne prend d’ailleurs jamais fin, chaque nouvelle expérience étant source d’enrichissement.

La légitimité de l’animateur

La légitimité professionnelle et l’utilité sociale de l’animateur ne proviennent pas d’une référence à une quelconque conviction partisane, mais d’un savoir faire reconnu et validé par un diplôme qualifiant. Là où le militant s’autorise de lui-même, le professionnel, lui, se réfère à des garanties officielles quant à ses compétences. La générosité et la disponibilité qu’il peut partager avec le militant n’ont pas pour objectif de gagner à une cause, mais sont complétées par le recul et la distance qu’apporte la formation qu’il a reçue. Il a notamment appris à gérer ses émotions et à identifier ce qui est en jeu dans la relation à l’autre. L’utilisation des sciences humaines et sociales lui permet de décoder chaque situation et de disposer d’une capacité d’analyse et d’intervention sociale. La technicité attendue d’un professionnel ne fait donc guère bon ménage avec l’amalgame et la simplification idéologique qui frappe bien des démarches militantes. L’animateur est un passeur et non quelqu’un qui cherche à donner ses idées aux usagers. C’est un artiste de la relation qui révèle aux autres leurs désirs, sans leur imposer les siens ou faire à leur place. Il ne s’agit pas de rallier à une vérité ou à un dogme, mais de cheminer côte à côte, afin de trouver la meilleure voie pour réaliser un projet culturel, d’activité ou de loisirs. On ne peut être à la fois partisan et ouvert sur l’ensemble des possibles, défenseur acharné d’une cause et disponible pour comprendre la réalité dans toute sa complexité, zélateur d’une réponse privilégiée et à l’écoute de tout ce que vivent les usagers.

Militant ou pas militant ?

Alors, que penser du face à face de l’animateur et du militant ? Les arguments se succèdent, s’opposent, se contredisent dans une farandole infernale. L’animation saurait-elle être autre chose que subversive, militante de la cause sociale, accoucheur avec d’autres d’un monde meilleur ? Mais, quelle illusion que de croire qu’on va changer la société à partir de sa place de professionnel. L’animation n’est pas une cause, mais un métier. Pourtant, les animateurs doivent s’engager pour la vie. Nos enfants nous demanderont des comptes : qu’avez-vous fait pour résister à l’exclusion et à la montée des inégalités et de la misère ? Mais, la démarche militante est dangereuse en ce qu’elle ne mesure pas la réussite de l’action sur les résultats obtenus, mais à l’aune du postulat de départ. Ce qui compte, c’est la fidélité à la doctrine. Seule la relation contractuelle peut apporter une garantie aux usagers de ne pas être confrontés au risque du pire des arbitraires. C’est pourquoi, le cadre du travail doit l’emporter sur l’idéologie. L’animation doit définitivement s’émanciper du militantisme chrétien et philanthropique des âges premiers. Mais, comment peut-on se protéger derrière une position de neutralité, en s’identifiant à la seule fonction de technicien qui pour légitime qu’elle soit est loin d’être suffisante. On ne peut scinder ainsi le même individu en deux entités opposées : le professionnel et le citoyen. Par quelle schizophrénie pourrait-il renier ses convictions surtout dans un métier en contact avec des populations particulièrement victimes de l’injustice…

L’éthique à la rescousse

Il serait tentant de laisser le lecteur aux prises avec ce tourbillon d’arguments, lui confiant le soin de se faire son propre avis. Nous lui proposons néanmoins une piste de sortie possible de cet imbroglio. L’engagement personnel de l’animateur ne se limite pas au militantisme classique correspondant à l’adhésion à un parti politique, à un syndicat ou à ces manifestations où l’on défile derrière des banderoles ou un drapeau. Même si ces occupations sont au demeurant tout à fait honorables et utiles, il y a bien d’autres manières d’assumer ses convictions. Comme cette capacité à ne jamais cautionner par son silence ce qui est atteinte aux droits de l’homme, cette préservation du devoir de vigilance et de parole quant à ce qui peut sembler injuste, cette conservation de la liberté d’indignation qui amènent à prendre position. Ces comportements qui guident l’existence de chacun et la mise en pratique de principes de bonne conduite tant dans la vie privée que dans le travail relèvent de ce qu’on appelle l’éthique. L’éthique n’est pas généralisable : elle est l’affaire de chaque individu qui, par son éducation, sa culture, a acquis un sens du devoir, une morale, des valeurs (ou ne les a pas acquis). C’est, en tout cas, ce qui peut l’amener à prendre des décisions dans telle ou telle situation. Il s’agit de répondre aux questions : comment vivre ensemble en respectant chacun dans ce qu’il a d’unique ? Comment se positionner face à ce qui apparaît comme injuste ou inacceptable ? Comment porter la parole de ceux qui n’ont pas la possibilité de la transmettre ? Si la morale commande, l’éthique recommande. Il n’y a pas de réponse toute faite, mais un questionnement individuel et collectif qui implique le développement du jugement personnel. C’est bien cette attitude que peuvent partager militant et professionnel et qui permet à ce dernier de se positionner, en évitant à la fois une neutralité finalement assez hypocrite et une prise de position partisane. Confronté à des situations qui bousculent ses représentations de la justice, il s’engagera en toute responsabilité, à partir de sa place de citoyen. Il n’intervient ni en tant que professionnel, ni en tant que militant, mais en tant que sujet, en tant qu’acteur de la société dans laquelle il vit. Il serait donc possible d’éviter la scission schizophrénique entre la démarche personnelle et la démarche salariée. Mais, cette voie ne peut suivre aucun modèle idéal. Il revient à chacun de trouver sa propre façon de la suivre.

Du métier …

Un métier est une activité humaine, le plus souvent à but lucratif. Il s’acquière par l’apprentissage d’un savoir-faire acquis dont la durée est variable. On exerce son métier, soit librement (freelance, profession libérale, artistes), soit comme entrepreneur (chef d'entreprise, commerçant, agriculteur), soit comme salarié, dans ce cas, soit dans le secteur privé, soit dans le secteur public (fonctionnaires et assimilés). L'exercice de certains métier est réglementé (conditions de diplômes, concours d'accès, achat d'une charge ou d'une patente, etc.) Contrairement au travail, avoir un métier n'implique pas forcément sa pratique. En outre, la législation française du travail prévoit l'activité salariée à temps partiel (mi-temps, 1/2 ou 1/4 de temps...) et divers modes d'interruption en dehors des congés annuels (année sabbatique, congé formation...). En France, l'Agence Nationale Pour l'Emploi a identifié 466 métiers différents répertoriés dans une encyclopédie descriptive dénommée ROME (Répertoire opérationnel des métiers et des emplois).

… à la profession

La profession se distingue du métier, en ce qu’elle s’applique à « une activité professionnelle ou un emploi dont l'exercice exige des connaissances spécialisées et une formation scolaire qui est parfois longue et intensive ». Pour être considérée comme une profession, un métier doit réunir au moins les six éléments suivants : un ensemble de connaissances communes, des normes d'exercice convenues, une organisation professionnelle représentative, la perception en ce sens du grand public, un code de déontologie, une procédure d'agrément convenue. Un processus de professionnalisation implique donc la constitution de règles de fonctionnement très précises, validées par des instances qui garantissent son exercice, voire sanctionnent ses dysfonctionnements. Certaines professions se sont dotées à cet effet d’ordres qui remplissent ces fonctions (médecins, pharmaciens, architectes, avocats …). Pour ce qui est de la fonction d’animateur, on peut évoquer un continuum qui irait du bénévolat à la profession, la place occupée actuellement étant celle du métier.

Ce que militer veut dire

Militer est un acte fort en vue du changement social, nécessitant une implication directe ici et maintenant, dans le constat présent des problèmes, c’est trouver des solutions concrètes, maîtriser et mesurer dans l’instant la singularité des situations. Il ne s’agit pas seulement de faire respecter les lois mais de se battre pour les faire changer ou évoluer. Militer c’est formaliser ses convictions, les rendre manifestes au travers d’activités quotidiennes, témoigner du souhait que l’on a d’améliorer la société par des démonstrations répétées et explicites. Militer n’est pas un acte banal mais la promesse de ne pas rompre avec les valeurs auxquelles on est attaché, un moyen unique de les mettre en avant et de les promouvoir.

Lire interview : Matignon Jean-Marie - Militantisme

 


« Changer le monde, certes, ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Mais on s’engage dans le travail social pour changer quelque chose, que ce soit dans les rapports humains, dans l’urbanisme, dans la politique, dans l’environnement. J’ai l’impression que le travailleur social d’aujourd’hui est davantage préoccupé par sa convention, son diplôme … sa résidence secondaire ! Il a perdu cet élan initial, ce désir de vouloir faire tourner autrement le monde. Je souhaite que les travailleurs sociaux soient des militants. Mais je considère aussi qu’un maire, de la même manière, est un militant : je suis maire pour essayer de faire en sorte que les gens vivent moins mal, pour qu’il y ait du logement social intelligent, des équipements pour les enfants, moins d’échec scolaire, etc… J’attends des travailleurs sociaux qu’ils m’aident dans cette tâche » Guy Vattier, maire de Briey, (dans Lien Social n°497, p.11)


 

Le militantisme
Que cherche-t-on dans le militantisme ? Les motivations sont multiples et diverses. La première consiste à s’engager pour faire avancer une cause, une conviction, une idée. On pense à l’investissement dans un parti politique ou un syndicat. Mais, de nombreuses associations vivent grâce au temps et à l’énergie qui leur sont consacrés par leurs adhérents. C’est aussi une forme de militance. Pour autant, le militantisme ne se résume pas à ce qui est apporté. Il faut aussi intégrer ce qui est reçu. Il y a d’abord le désir de sortir d’une vie banale et routinière et de tenter de peser sur l’évolution de la société. Il peut aussi y avoir cette recherche de la fin d'une solitude qui attire les isolés, les mal-intégrés à leur famille ou à leur milieu social, de ce désir de s'intégrer à un groupe humain qui apporte entraide, solidarité, camaraderie. L’idée d’un pur apostolat est donc une illusion. Si une personne investit tant efforts, c'est bien parce que l’engagement militant procure une réelle satisfaction. Mais, le militantisme ne comporte pas que la dimension dévouement et source d’épanouissement personnel. Il y a aussi un certain nombre de dérives et de dysfonctionnements assez caractéristiques de cette forme d’activité. Cette quête d'une vie plus riche se traduit fréquemment en une aspiration à l'exercice d'un certain pouvoir qui constitue une fréquente forme de compensation, voire même de rémunération, bien avant les « honneurs » ou les avantages matériels. En outre, le terme militant a pour synonyme des mots qu’on a plus de mal à accepter tels partisan (qui faut penser à embrigadement) ou adeptes (qu’on va plutôt employer pour les sectes). Ainsi, le dictionnaire de l’Académie Française donne-t-il en 1835 la définition suivante : "Militant : qui lutte, qui attaque, qui paie de sa personne. Qui prône l’action directe, le combat". Le verbe militer vient du latin militari qui veut dire soldat. Jusqu’au XVIIème siècle, le militant désignait le prosélyte actif de la religion catholique. Etymologiquement, il appartient donc à la fois à une Eglise, mais aussi à une armée. Héritage lourd à porter que l’on retrouve dans ces organisations qui ne savent pas toujours éviter de tourner sur elles même, en rond et en vase clos. Entre les réunions publiques qui ne rassemblent que des convaincus et les discussions byzantines permettant de se différencier du groupe voisin qui n’est pas toujours très éloigné mais dont il faut à tout prix se distinguer pour exister, certaines associations peuvent avoir une existence finalement assez stériles.


Un métier du social pas toujours très … social
Nous ne sommes plus dans la situation du réseau amical et bénévole des premières années. Les professionnels de ce secteur sont inscrits dans une logique salariale. L’animation est régie par la convention collective de 1988, ainsi que par des contrats de travail qui lient le salarié à son employeur. Les conditions d’exercice de sa fonction, son salaire, ses horaires sont régulés juridiquement. Il peut même arriver qu’un conflit soit porté devant le tribunal des prud’hommes. Tout cela implique que l’animateur n’est pas taillable et corvéable à merci. De part et d’autre, on ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Pour autant, il est difficile d’imaginer exercer ce métier, en respectant toujours des horaires fixes et en ne faisant pas preuve d’un minimum de souplesse. Doit alors s’établit un juste équilibre entre la disponibilité des salariés et la marge de manœuvre accordée par l’institution employeuse. On ne peut en effet concevoir que les uns fassent des efforts pour s’adapter et que les autres se montrent rigides et peu arrangeants. A la flexibilité des premiers doit correspondre un minimum de bienveillance des seconds, ce qui sur le terrain n’est pas toujours le cas. Les techniques de gestion du personnel en vigueur dans le monde commercial ou industriel a tendance à déborder parfois sur le social. De plus en plus souvent, on déplore des comportements d’employeurs qui excluent la considération et la dimension humaine que l’on pourrait attendre d’un secteur qui, pourtant, place la promotion du lien social au cœur de son action. Les salariés sont traités comme des numéros, des dossiers, sans que soient pris en compte leurs difficultés. Ils ne sont pas plus gratifiés de leurs réussites et de leurs succès. Est-ce là rançon de la transformation du bénévolat en métier ?


Le point de vue de Thomas Janus
La question du militantisme dans l’animation pose autant de problèmes qu’elle n’en résout ! Certes, je fonctionne dans mon quotidien, qu’il soit personnel ou professionnel, à partir d’un certain nombre de valeurs sur lesquelles je ne transigerai jamais. L’utilisation de la violence, de la discrimination ou de l’injustice comme mode de gestion des relations humaines est et restera toujours insupportable à mes yeux. De ce point de vue, je me considère comme un militant d’idéaux humanistes, militant de l’éducation, militant de l’enfance… ou du moins de l’idée que je me fais de l’humanisme, de l’éducation et de l’enfance ! Ces précisions me semblent utiles, car il n’y a rien qui s’impose comme allant de soi, parce qu’évident et universel. Ce sont là mes convictions et je les assume, mais je ne prétends pas vouloir les imposer à tout le monde. S’il s’agit, par exemple, de refuser que dans un mini camping, on attribue les tâches ménagères plutôt aux filles qu’aux garçons, je pense qu’on va me suivre. Idem, si j’exige que dans un grand jeu, on fasse attention à équilibrer les équipes pour éviter que les unes soient plus fortes (parce que composées de plus grands) et les autres plus faibles (parce que composées de petits). Il en sera de même si je demande à ce que, dans la mesure du possible, on applique les mêmes règles quels que soient les enfants concernés (on éteint la lumière au même moment, on a droit aux mêmes rations de dessert selon les tables …). Mais imaginons que militant contre la malbouffe, j’interdise de fréquenter la restauration rapide en provenance d’outre atlantique, que convaincu de la pertinence de la coopération je refuse qu’on propose tout jeu basé sur la compétition, ou mieux encore, particulièrement remonté contre l’abêtissement que constitue le football, j’ai interdit de regarder la finale de la coupe du monde en juillet dernier, ne serais-je pas vécu comme particulièrement arbitraire ? Pourtant je ne ferais qu’appliquer mes convictions profondes ! S’impose un minimum d’obligation de réserve quant à l’utilisation sur son travail des idées auxquelles on adhère. Le militantisme cherche à convaincre, éventuellement à convertir. Ce n’est pas mon intention : je tiens compte de ce que sont les personnes avec qui je travaille. Sans renier mes opinions, je cherche plus à les partager qu’à les imposer. De ce point de vue, je ne me considère pas comme un militant.
 
Bibliographie
« Le métier d’animateur »
Jean-Marie Mignon, La découverte, 2005
À la confluence d’un double héritage, laïque et confessionnel, au croisement de l’éducation populaire, du travail social et des occupations de loisirs, l’animation est le fruit d’une histoire complexe. D’où la difficulté qu’elle a toujours eue à se constituer en profession. Mais, précisément, la professionnalisation est bien le maître mot aujourd’hui : initialement fondée sur un engagement militant pour l’accès de tous à la culture et aux loisirs, l’animation devient progressivement un emploi salarié comme un autre et attire de plus en plus de candidats. Les municipalités les recrutent en nombre. L’objectif de ce livre est de donner une vision claire de cette histoire et de ces mutations, de présenter concrètement les différentes filières vers lesquelles les animateurs peuvent s’engager, ainsi que de cerner leurs principaux employeurs. L’auteur explique ainsi que les métiers sont de plus en plus spécialisés par rapport à la pratique de l’animation de base : à l’issue de sa formation, l’animateur peut s’investir dans de multiples domaines, en choisissant par exemple de devenir agent de développement en milieu rural ou urbain, de gérer une maison des jeunes et de la culture, de valoriser le patrimoine ou de faire de la médiation sociale… Une vaste palette de métiers, dont beaucoup sont en devenir. Largement actualisé dans cette nouvelle édition, cet ouvrage est une véritable référence pour tous ceux qui s’engagent dans cette voie et pour leurs formateurs.

« La Fin des militants? »
Jacques Ion, Éditions de l’Atelier, 1997
Le nombre des militants traditionnels a certes diminué mais l'engagement n'a pas pour autant disparu, constate l’auteur, sociologue chercheur au CNRS. On ne peut comprendre cette évolution, si l’on n’a pas conscience de la disparition progressive du modèle de l'engagement des années 60 au bénéfice d’un engagement bien plus distancié. Le militant syndical est en voie de disparition. La participation aux élections autres que politiques (parents d'élèves, prud'hommes) est en baisse, tout comme le taux d'adhésion à une organisation. Pour autant, le nombre d'associations n'a jamais été aussi florissant, mais sous la forme de petits regroupements autocentrés sur les loisirs de leurs membres, comme les clubs de 3è âge ou les clubs sportifs. Le nouveau modèle aboutit à l’affaiblissement au sein des organisations du "nous ", représentatif du groupe au profit de l’individu. Alors qu’auparavant les personnes adhéraient à des organisations dont elles étaient déjà proches par leur milieu social ou professionnel, les militants d’aujourd’hui gardent la maîtrise de leurs engagements, les limitant à une durée déterminée et privilégiant dans leurs actions une efficacité immédiate. Autres constats marquant de cet état des lieux de l’engagement contemporain : la tendance aux structures locales qui fonctionnent de manière indépendante, les liens avec la fédération d'appartenance qui se distendent, les groupes militants qui se professionnalisent et le bénévolat qui se tarit.

"Le militantisme à la Ligue des droits de l'homme" (mars 1999)
(www.ldh-france.org )
Les très nombreux travaux consacrés au militantisme et à l'engagement politique peuvent se ranger schématiquement en deux catégories. Il y a ceux qui annoncent la fin des militants, dont témoignerait l'érosion des effectifs partisans et syndicaux. Celle-ci serait liée à une crise de la représentation, au discrédit croissant des activités politiques, à la montée des valeurs individualistes, au déclin des grandes idéologies qui, du communisme au catholicisme, donnaient un sens à l'action collective. Et puis il y a ceux qui annoncent la naissance d'un « nouveau militantisme ». Héritier des mouvements sociaux post soixante-huitards, il serait lié à la montée des classes moyennes salariées, à la hausse du niveau d'études, au développement de la communication et des médias. Les citoyens des sociétés post-industrielles seraient mieux informés, plus autonomes et plus critiques à l'égard de leurs représentants. Ils souhaitent un militantisme à la carte, spécialisé, sur des enjeux concrets. Un militantisme de proximité, au niveau local. Un militantisme plus radical, expressif et contestataire. Des structures plus souples, décentralisées et conviviales. Un militantisme moins englobant enfin que le militantisme traditionnel, que le sociologue Jacques Ion résume par cette image : « A l'engagement symbolisé par le timbre renouvelable et collé sur la carte succéderait l'engagement symbolisé par le post-it, détachable et mobile : mise de soi à disposition, résiliable à tout moment. » Les résultats des travaux récents montrent que la réalité se situe plutôt entre ces deux thèses. Non, le militantisme n'est pas mort. Mais il a profondément changé de forme. C’est ce que montre la recherche réalisée par trois équipes de jeunes chercheurs sur la ligue des droits de l’homme.

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation ■ n°71 ■ septembre 2006