Punir et sanctionner

Éviter la punition, promouvoir la sanction

La punition est un sujet créant volontiers la polémique. Marqueur central de l’autorité des adultes qui doit s’imposer face à la permissivité, pour les uns. Manifestation de l’arbitraire trop souvent subie par les enfants, pour les autres. Si la réponse à la transgression des règles de vie commune s’impose à toute communauté humaine, il convient d’en définir les modalités. La menace du châtiment doit-elle servir à décourager toute tentation d’infraction ? Comment faire progresser l’enfant dans sa capacité à intégrer la loi, sans le fustiger ? Ce dossier se propose d’aborder toutes ces questions, en esquissant des pistes non pour fournir un mode d’emploi, mais pour amorcer une réflexion qui devra toujours trouver au sein de chaque équipe des applications créatives s’adaptant à leur contexte.
 
Définir pour mieux circonscrire
Fréquemment utilisées comme synonymes, la punition et la sanction sont pourtant distinguées l’une de l’autre, quand on veut montrer leurs différences non seulement dans leur intention initiale et leur contenu, mais tout autant dans leurs conséquences.

Toute société doit, pour cohabiter, poser des règles et convenir de lois qui permettent de réguler le vivre ensemble. Chacun de ses membres a pour obligation de les respecter. Sans cette contrainte au cadre commun, ce serait le chaos des passions théorisé par Thomas Hobbes : « bellum omnium contra omnes » (la guerre de tous contre tous). Mais, qui dit code de conduite, dit réaction face à sa transgression : la discipline demandée aux membres de la communauté n’aurait aucun sens, si son non-respect n’impliquait aucune répercussion. De par leur immaturité, les enfants sont fréquemment confrontés à la tentation de s’exonérer des obligations collectives, en n’écoutant que leurs pulsions. Les adultes peuvent réagir à leur désobéissance, en privilégiant soit la punition, soit la sanction.

 

La punition comme répression

Le terme de punition nous vient du latin poena qui signifie peine (légale), châtiment, compensation ou amende. Punir un enfant, c’est lui imposer une privation, une humiliation, voire des sévices destinés à le culpabiliser, quand il a posé un acte produisant un dommage pour lui-même ou pour autrui. Si la volonté d’exemplarité visant à une prise de conscience salutaire, à un changement de conduite et à un évitement de la récidive est bien présente, la punition s’en prend plus à la personne, qu’à l’acte posé. Ce n’est pas tant l’implication objective de la faute commise qui compte, que le retentissement et la résonance chez celui qui l’inflige. Son degré de mécontentement ou de fatigue au moment de réprimer pèse, le plus souvent, sur sa décision. Il en va de même de la relation de bienveillance ou au contraire d’antipathie vécue à l’égard du fautif. Et c’est bien toute cette subjectivité qui peut entacher d’arbitraire la mesure qui est prise, pouvant ainsi ne pas s’appliquer de la même manière à chacun, être disproportionnée par rapport à la gravité de l’acte et ne pas s’appuyer sur des règles clairement établies au préalable et varier selon l’humeur du moment. Dernière caractéristique, la punition est la manifestation d’un rapport de force du puissant, du dominant et du détenteur du pouvoir (l’adulte) sur le faible, le dominé et le soumis (l’enfant). 
 

La sanction comme réparation

La sanction se distingue de la punition en ce qu’elle donne à penser et non à voir. Elle ne cherche ni à faire mal, ni à faire expier une faute, encore moins à réduire la marge de liberté pour humilier, rabaisser ou dévaloriser l’enfant. En transgressant (délibérément ou non) une règle, le petit d’homme essaie de passer outre, mais aussi d’en vérifier la solidité. Il teste la cohérence et la fiabilité des adultes chargés de la faire respecter. De la même façon que l’erreur participe de sa progression dans l’apprentissage des savoirs (dès lors où on l’aide à intégrer en quoi il s’est trompé), la réponse constructive à un manquement de sa part concernant une obligation, une contrainte ou un interdit lui permet de progresser dans l’intériorisation de la loi et l’acceptation de la pleine responsabilité de ses actes (pour autant qu’on l’accompagne dans la prise de conscience du sens de son infraction). On sanctionne un acte et non l’enfant lui-même, cette réponse l’invitant et l’incitant à adapter et à ajuster ses comportements : renoncer progressivement à la seule pression de ses désirs et accepter les contraintes extérieures qui ne lui permettent pas de faire ce qu’il veut, quand il le veut. Pour y arriver, encore faut-il que l’adulte respecte un certain nombre de conditions : énoncer clairement les règles et les lois qui régulent la communauté afin qu’elles ne puissent être ignorées, informer au préalable des réponses privatives prises en cas de transgression, garantir une proportionnalité entre ce qui a été commis et les mesures de rétorsion décidées.
 
 
Répartition
Parmi les punitions, on distingue celle qui sert à expier (se repentir), celle qui sert d’exemple (donner un signe visible), celle qui impose un exercice (produire une activité), enfin celle qui bannit (exclusion d’un lieu). Quant aux sanctions, on différencie la frustration (retirer provisoirement un droit ou un objet) de la mise à l’écart temporaire (retour sur soi avant de réintégrer le groupe) et de la réparation (compenser la transgression par un acte positif).
(Selon Eirick Prairat)
 
 
Rétribution ou réparation ?
Comment réagir face à une infraction à une règle commune ? Une piste particulièrement fertile peut être trouvée du côté de la réparation du lien social qui s’est cassé entre l’auteur et la victime, à cause du préjudice produit par la transgression.
 
Lorsqu’un enfant ou un adolescent ne respecte pas une règle de fonctionnement au sein d’une colo, d’un centre aéré ou d’un club de jeunes, l’animateur qui en est témoin ne peut qu’intervenir. Il en va de sa crédibilité. Il n’y aurait rien de pire que de regarder ailleurs, d’autant plus si le groupe s’en aperçoit. Il se doit  d’adopter des réponses qui viennent non seulement marquer sa désapprobation, mais aussi et surtout faire assumer à l’auteur du passage à l’acte ou de la transgression les conséquences de son acte. Nous venons de voir qu’il a le choix entre la punition et la sanction. Mais comment s’éloigner de la première et se rapprocher de la seconde ? Peut-être, en s’inspirant d’une démarche utilisée par la justice pénale : la médiation réparatrice. Pour comprendre en quoi cela consiste, comparons les deux des pratiques pénales possibles.
 

Justice rétributive

La justice rétributive domine encore très largement les systèmes pénaux traditionnels, un peu partout dans le monde. Elle se centre sur la conduite transgressive passée et sa juste conséquence. Dès lors où l’on a commis un acte qui viole la loi, on doit être puni en proportion de la gravité de l’infraction. La dette que l’on a contractée implique une créance à l’égard de la société. Pour la solder, il faut soit payer une amende pécuniaire, soit subir une peine d’emprisonnement. La forme la plus ancienne de cette approche remonte à la l’expression de la Loi du Talion retrouvée dans le Code d'Hammourabi, roi de Babylone ayant régné entre 1792 et 1750 avant JC. On peut y lire : « Si quelqu'un a crevé l'œil d'un homme libre, on lui crèvera l'œil ; si quelqu'un a cassé une dent d'un homme libre, on lui cassera une dent ». Aussi violent que cela puisse paraître, le principe « œil pour œil, dent pour dent » permit alors de remplacer les pratiques de vendetta, par des punitions règlementées. Même si, aujourd’hui, les condamnations prononcées ne sont plus en miroir avec l’acte commis, elles restent prisonnières d’une volonté de vengeance. Les victimes semblent mesurer la reconnaissance du traumatisme ou le dédommagement du tort qu’elles ont subi, en proportion du quota de la peine infligée : plus le coupable est puni lourdement, plus elles auront le sentiment que justice leur est faite.  
 

Justice restaurative

La réparation, quant à elle, ne se centre pas sur l’acte posé, mais sur la détérioration produite dans les relations : l’infraction nie, agresse et détruit ce lien entre le fautif et l’autre à qui il s’en est pris. Pour le restructurer, il est nécessaire que chacun se réapproprie ce qu’il a vécu : la victime, pour pouvoir exprimer le traumatisme de ce qu’elle a subi et le transgresseur pour démontrer qu’il peut assumer la responsabilité de son acte et sa volonté de ne pas être réduit à ce qu’il a commis. Réparer ce qui a été cassé passe donc par une conciliation dont l’objectif est de rétablir le principe de réciprocité. L’auteur de l’infraction prend conscience de l’existence et de la situation affective de la victime ainsi que de la réalité des conséquences de son infraction. La victime, quant à elle, peut chercher à comprendre, sans les justifier, les motivations de l’auteur. L’échange de ressentis, de sentiments et d’émotions entre eux peut alors permettre le rétablissement du lien social. Le triple objectif de la justice restaurative est donc de réparer la victime, de responsabiliser l’auteur et de rétablir la paix sociale. Certes, un accueil collectif de mineurs ne saurait être comparé à une cour de justice. Il lui est néanmoins possible de s’inspirer de l’esprit de la réparation restaurative. Nous sommes passés de la centration sur la personne à la focalisation sur l’acte, puis de l’acte à la relation humaine : quelles implications dans le quotidien de l’animation ?

 
Réparation à grande échelle
Dans plus de trente pays ravagés par la guerre civile, des commissions de vérité et de réconciliation ont été mis en place pour faire face au passé de façon critique, pour sortir des crises profondes vécues et pour éviter que cela ne recommence. Les victimes sont invitées à s'exprimer, afin de leur permettre de retrouver leur dignité. Les auteurs d'exactions sont appelés à avouer leurs forfaits et à exprimer leur repentir devant les victimes ou les familles concernées.
 
 
Comment impulser une dynamique de sanction
Les considérations théoriques proposées jusqu’ ici convaincrons (ou non). Sauf que le lecteur peut légitimement s’interroger sur leur concrétisation. Ni recettes, ni solutions, voilà quelques pistes susceptibles d’amorcer des applications de terrain.
 
Notre éducation, nos habitudes, nos réflexes spontanés nous poussent à réagir face à un enfant qui transgresse, en lui infligeant une mesure de rétorsion qui lui fasse payer son acte et le décourage de recommencer. Il faut entreprendre tout un travail sur soi pour adopter une autre logique : celle de la sanction. On peut identifier deux moments fondateurs : avant et après le passage à l’acte. Regardons de plus près comment cela peut se dérouler.
 

Avant l’infraction

Il semble incontournable que l’équipe d’animation s’interroge sur cette question, en amont du fonctionnement de l’accueil collectif de mineurs où elle va intervenir. Chacun est porteur d’une tradition familiale, d’un vécu personnel et de convictions intimes qui influencent directement ses comportements. Il est essentiel de les confronter, afin d’arriver à un consensus minimum qui peut prendre la forme d’une charte de bonnes pratiques, d’un guide méthodologique ou d’un recueil de règles de fonctionnement de la sanction. Ce qui permet au groupe d’adultes d’apparaître aux enfants dans une dynamique de cohésion (tout le monde va dans le même sens), de cohérence (il y a adéquation entre ce qui est dit et ce qui est fait) et de co-gestion (la confrontation aux transgressions est affaire de chacun et de tous). Pour ce qui est du groupe d’enfants, la préparation initiale est tout aussi essentielle. Il peut (doit ?) être associé à l’élaboration d’un code de règles de vie qui intègre non seulement les droits et les interdits (qui sont toujours amendables), mais aussi les sanctions qui seront appliquées en cas de non-respect. Il est important de rappeler que ce règlement a pour ambition de protéger chaque enfant non seulement contre les atteintes et nuisances commises par les autres enfants, mais aussi par les adultes. Ce dispositif doit être connu de toutes et de tous (enfants, comme adultes), faisant l’objet d’une formulation explicite qui évite que chacun l’interprète à sa façon.  
 

Après l’infraction

Quelle attitude adopter, quand on est témoin d’une transgression ? La plupart du temps, on fait ce que l’on peut, pas toujours ce que l’on veut. Dans la pression du moment, on n’a pas toujours le loisir de bien calibrer sa réponse. Certaines modalités peuvent peut-être aider à canaliser une réactivité pas toujours bonne conseillère. La première d’entre elle consiste à éviter de prendre une décision dans l’immédiat. Mieux vaut différer la mesure que l’on entend prendre à un peu plus tard, quand les tensions et les colères se seront apaisées et que chacun pourra prendre la mesure de ce qui s’est passé. La seconde précaution consiste à ne pas se contenter de culpabiliser l’enfant à partir de la dimension morale de la faute qu’il a commise. Il risquerait alors de s’enfermer soit dans le déni (se justifiant pour fuir la stigmatisation), soit dans la dévalorisation (son image de soi s’effondrant). Très vite, il faut l’aider à assumer son acte, à en prendre la pleine responsabilité et à en accepter les conséquences : solder la dette qu’il a créée envers une victime ou la communauté à laquelle il appartient. Et c’est là sans doute l’étape la plus importante : quelle sanction concrète appliquer ? Si la privation ne peut et ne doit pas être exclue de la mesure adoptée, il est bien plus intéressant de s’inscrire dans le positif que dans le négatif. Comment le fautif peut-il agir pour apporter un plus, après s’être monté source d’un préjudice ? Si l’imagination est sans limite pour prendre une décision qui impose des désagréments à l’enfant en réponse à la nuisance qu’il a produite, elle devrait être tout aussi fertile pour concevoir des réparations qui l’amènent à la fois à contribuer au bien-être du groupe dont il n’a pas respecté la loi, tout en y retrouvant sa place, réparant le lien déchiré.

 

Choisir son ambition
« L’objectif pour le pédagogue est-il d’aider l’enfant à intégrer la loi et à savoir se conduire ou d’avoir la paix en le disciplinant ? » s’interroge Elisabeth Maheu. Que privilégier chez l’enfant ? La répression de sa toute puissance ou l’accompagnement de la lente et longue progression qui le mènera à une posture d’adulte responsable ? L’autonomie qu’il construit petit à petit ou sa docilité ? Son assimilation consciente de la contrainte ou sa soumission à l’autorité ?
 

Lire l'interview : Beck Philippe - Punir et sanctionner

Ressources

Bibliographie :

« Sanctionner sans punir : Dire les règles pour vivre ensemble »
Elisabeth Maheu, Ed. Chronique Sociale (2005)
Ce livre fourmille de pistes concrètes pour sanctionner sans punir, trouver des alternatives à l’exclusion, aux gifles, aux punitions collectives, colles, mises au coin, privation de dessert ou de sortie…
 
« Les ados ont besoin de limites : Discipline efficace sans punition »
Anne Cawood, Ed. Broquet (2013)
Partout dans le monde, les parents redoutent le stress et la pression des années de l'adolescence alors que même les plus aimables des enfants semblent se métamorphoser en monstres.
 
« Les enfants ont besoin de limites : Discipline efficace sans punition »
Anne Cawood, Ed. Broquet,  (2013)
Les enfants sont difficiles, exigeants, contestataires, épuisants, irritants et rebelles. Mais, comme nous, ils s’épanouissent dans la sécurité de limites nettes et cohérentes. Il nous revient à nous, les adultes, de gérer cela avec efficacité.
 
« Eduquer sans punir: Apprendre l'autodiscipline aux enfants - pédagogie Montessori »
Thomas Gordon, Ed. Marabout (2013)
Eduquer sans punir : voilà ce que tout bon parent et tout enseignant souhaitent. Même si de nombreuses recherches ont démontré les effets nocifs des punitions, la discipline reste la préoccupation première des éducateurs.
 
« Se faire obéir tout en douceur »
Vanessa Saab, Ed. First,  (2013)
Pour grandir, se sentir pleinement aimés et s'épanouir, les enfants ont besoin d'être aimés de façon inconditionnelle... mais également d'être portés par des limites strictes et indispensables.
 
« La fessée - Questions sur la violence éducative »
Olivier Morel, Ed. La Plage (2015)
Éduquer sans frapper, c'est possible ! Aujourd'hui, il n'est plus permis de frapper les femmes ou les détenus. Seuls les enfants ne sont pas encore protégés par la loi. Et pourtant, les gifles et les fessées ne rendent pas les enfants plus obéissants, elles n'améliorent pas les apprentissages.

« Châtiments corporels et violences éducatives- Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses »
Muriel Salmona, Ed. Dunod ( 2016 )
Il semble en effet difficile de remettre en cause le modèle qui nous a construits ou que l'on a soi-même adopté avec ses enfants, puisque cela relève a priori de la sphère privée. Or ce type d'éducation n'est pas sans conséquences pour le futur adulte et pour la société.

« Une nouvelle autorité sans punition ni fessée »
Catherine Dumonteil-Kremer, Ed. Nathan, (2016)
La punition et la menace qui fondaient autrefois l'autorité sont aujourd'hui dénoncées par tous les grands penseurs de l'éducation. Cela signifie-t-il pour autant que nous devons abandonner le terrain et démissionner de notre rôle de parents ?
 

Vidéos

- Interview filmée de Philippe BECK : https://www.youtube.com/watch?v=xObPlsxJ0NU&t=431s- Conférence d’ Arnold LAGÉMI « Faut-il punir ?» : https://www.youtube.com/watch?v=0jzZgxEhio4 

Sites

http://www.jesuisanimateur.fr/conseils/fixer-le-cadre/autorite-limites-sanctions/http://www.bafa.free.fr/animateur/autorite.htmlhttp://bpjpepsltp-tours-2013.over-blog.com/2014/11/la-punition-la-sanction-est-ce-educatif.htmlhttps://www.vitacolo.fr/autorite-en-colonie-de-vacances-methodes-conseil.htmlhttp://apprendreaeduquer.fr/comment-sanctionner-punir/ 

 

Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°183 ■ novembre 2017