Reungoat Patrick - Déontologie

« Interroger les pratiques plutôt que les figer »

Patrick Reungoat a participé au groupe de travail du CSTS au nom du CNAEMO. Il est aussi président du mouvement « Education et Société » et formateur à l’IFRAMES, école d’éducateurs près de Nantes.

Lien Social : Qu’est-ce qui vous a amené à participer au groupe de travail du CSTS sur l’éthique et la déontologie ?

Patrick Reungoat : c’est à la suite de la condamnation en justice d’un collègue éducateur, exerçant en AEMO administrative, que nous avons décidé à réfléchir sur la question de la responsabilité en travail social. Nous avions, à l’époque, préféré cette solution à une mobilisation de type « comité de soutien ». Cela a débouché, sur le thème du congrès du CNAEMO que nous avons organisé à Nantes, en 1995 (1). Jacques Ladsous m’a proposé de participer au groupe de travail sur l’éthique et la déontologie qui avait commencé à se réunir au sein du CSTS. Les travaux ont duré près de trois ans. Le rapport final a été adopté en février 2001, après avoir été voté à l’unanimité. Je pense que c’est un document intéressant qui ouvre des perspectives sur ces questions.

 

Lien Social : Quels ont été les axes de réflexion sur les lesquels vous avez travaillés ?

Patrick Reungoat : j’ai plus particulièrement travaillé dans des sous-groupes qui se sont intéressés à la question de l’affrontement des systèmes de valeurs dans le travail social, mais aussi à la formation et à l’analyse de la demande de repères qui s’est manifesté depuis 10 ans, ainsi qu’aux réponses qui y ont été apportées. Il est de coutume d’affirmer qu’on est confronté à l’effondrement des idéologies. Je rajouterai, à l’exception d’une : l’idéologie libérale qui tend à devenir dominante. S’il y a bien, un brouillage des repères, c’est face à la décentralisation ou à la montée de la contractualisation, face à l’émergence de la démarche qualité ou la demande d’évaluation. Cette évolution plonge les professionnels dans une incertitude qui les incite à rechercher des réassurances (d’où les 90% d’approbation d’un code de déontologie de la part des éducateurs consultés, lors du travail de recherche que nous avions demandé à Reynald Brizais de réaliser pour notre congrès de 1995).  Le risque est bien de tomber dans la recherche du référentiel des bonnes pratiques, dans l’identification de l’attitude standardisée qu’il faudrait avoir pour répondre à l’avance aux exigences du travail social. C’est faire bien peu de cas de la nécessité de garantir, à partir d’une mission donnée, une rencontre instituée qui intègre l’engagement éthique ainsi que la part d’imprévu et de créativité inhérente à toute relation humaine. C’est pourquoi, il est essentiel de ne pas confondre démarche déontologique et éthique. S’il apparaît important de disposer de références communes qui se rapportent aux droits des usagers ou à la démocratie, il faut instaurer un débat permanent sur les pratiques et sur les conceptions à l’oeuvre dans celles-ci. Le risque, c’est aussi que le débat autour de l’existence d’un code de déontologie vienne gommer la nécessité du questionnement permanent sur les pratiques concrètes et leur analyse et, surtout, incite les institutions à externaliser le traitement de ces questions en considérant qu’elles relèvent d’autres instances. Le débat ayant lieu ailleurs, cela ne les concernerait pas, au premier chef. C’est pour tenir compte de cette complexité, que le CSTS a adressé dans sa conclusion des préconisations qui ne sont pas globales, mais destinées à chaque catégorie d’acteurs.

 

Lien Social : justement, le CSTS préconise de créer en son sein une commission permanente qui serait un lieu d’interpellation et de veille. N’est-ce pas une façon de venir en concurrence avec ce qui tente de se mettre en place parallèlement, et notamment l’initiative de l’ANPASE, de l’ANCE et de l’ANAS ?

Patrick Reungoat : je me refuse à me situer dans une logique de compétition où ce serait le plus doué ou le plus efficace qui devrait survivre. Je considère tout au contraire que le foisonnement des initiatives, loin de nuire à la démarche, ne peut être que profitable. Il faut chercher à mutualiser les expériences et faire en sorte qu’elle s’enrichissent les unes, les autres, plutôt que de chercher à créer un code unique ou une instance unique. Le gouvernement a été saisi par notre rapport, de la création d’une mission permanente. La puissance publique montrerait son intérêt réel pour la question, en instituant une telle permanence et en lui donnant les moyens de fonctionner. Cela n’enlève rien, bien au contraire, aux initiatives associatives. L’important est de promouvoir des espaces de réflexion qui relance en permanence les professionnels, les institutions et les pouvoirs publics sur ces questions.

 

(1) « La responsabilité en question...s » XVème assises du CNAEMO, Mars 1995, voir Lien Social n°300

 

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°582 ■ 28/06/2001