De Choiseul Charles - Cannabis

Légalisation du cannabis: Ce que la loi dit et ce qu’elle devrait dire

Charles De Choiseul est avocat au barreau de Saint Nazaire et président de 1991 à 2000 de l’Observatoire Géopolitique des Drogues

Journal de l’animation : Pouvez-vous nous préciser ce que dit la loi concernant l’attitude que doit avoir tout adulte face à une infraction en train de se commettre (et ce que cela implique face au cannabis) ?

Charles De Choiseul : L’article 434-1 du Code Pénal fait obligation à chaque citoyen d’avoir à dénoncer tout crime sur le point de se commettre ou susceptible de se renouveler. Si on est confronté à une contravention ou à un délit ou encore à un crime qui vient d’avoir lieu et qui n’est suivi d’aucun projet de réitération, la loi n’oblige donc pas à la dénonciation. Un professionnel confronté à une simple consommation de produit illicite, n’est donc pas tenu à saisir les forces de police ou de gendarmerie, contrairement à ce que ces dernières prétendent souvent, pour intimider et obtenir des renseignements précieux pour elles. La législation sur les stupéfiants comporte toutefois des actes qui sont criminalisés : ce sont la production illicite et le trafic qui sont punis de 20 ans de réclusion quand cela a lieu individuellement et de 30 ans quand il y a circonstance de bande organisée. On mesure là l’absurdité de la loi. Celui qui s’engage dans l’organisation d’une production et d’un trafic international risque théoriquement la même peine que celui qui fait pousser 2 pieds de cannabis dans son jardin ou bien vend 3 barrettes de shit pour financer la consommation des 7 autres. Cela m’est arrivé d’ailleurs, lors d’un procès, de déclarer que le tribunal correctionnel était incompétent et de demander que soit convoquée la cour d’assise quand mon client était jugé pour avoir revendu 2 ou 3 kilos de cannabis ! Dans la logique judiciaire, un professionnel de l’animation qui apprendrait qu’un jeune fait pousser du cannabis ou en vend devrait aller immédiatement le dénoncer, sous peine de tomber sous le coup de l’article 434-1 du code pénal ! C’est peut sembler absurde, mais c’est la loi au sens strict. Pour autant, on constate qu’une large place est laissée à l’interprétation et à l’application de cette loi lorsque des tribunaux voient ce genre d’affaires se présenter devant eux.

 

Journal de l’animation : Il faut aussi faire attention à la façon dont on parle de la drogue ?

Charles De Choiseul : La loi pénalise effectivement les comportements qui viseraient à inciter ou à encourager la consommation de ces produits, mais aussi leur sous un jour favorable. Des propos considérés comme incitatifs tombent donc sous le coup de la loi. Mais, la décision de s’abstenir d’intervenir alors qu’on a connaissance de prise de produits illicites peut aussi faire l’objet de poursuite. Mais là aussi, cela dépend des tribunaux, car la loi sanctionne les actes positifs. Or, l’abstention n’en est pas un. Certains juges peuvent néanmoins considérer que, ne rien faire, c’est une façon d’encourager ... Mais, il faut rassurer les professionnels : si ces incriminations sont extrêmement répressives, elles sont concrètement inapplicables et largement inappliquées. Des circulaires récentes du ministère de la Justice sont d’ailleurs venues tempérer les termes de la loi. La limite consiste sans doute dans une équipe d’animation qui se mettrait à consommer du cannabis avec des mineurs. Mais, là, je crois que le problème ne serait pas que judiciaire ...

 

Journal de l’animation : Pouvez-vous nous préciser la distinction entre dépénalisation et légalisation ?

Charles De Choiseul : Ce n’est effectivement pas la même chose. La dépénalisation se réfère à un comportement qui ne fait plus l’objet d’une sanction pénale. Ainsi, des actes tels que le vagabondage ou l’adultère sont sortis du code pénal. Ils ne sont considérés par la loi comme ni bons, ni mauvais. Pour lui, il n’existent plus, tout simplement ! La légalisation, quant à elle, concerne l’encadrement légal d’un comportement : la loi fixe alors un cadre et des limites, avec des sanctions administratives, civiles ou pénales au cas où ces règles ne seraient pas respectées. C’est l’exemple type des médicaments : pour pouvoir les vendre, il faut obtenir du ministère de la santé une Autorisation de Mise sur le Marché. Dans la plupart des cas, il faut, en outre, une prescription d’un médecin. L’achat de ce produit est donc légal, mais encadré. La légalisation implique donc bien plus de contraintes que la dépénalisation. C’est peut-être pour cela que, parmi ceux qui préconisent de sortir du régime de prohibition des drogues, on en trouve peu qui soient partisans de la simple dépénalisation, qui présente trop peu de garantie.

 

Journal de l’animation : Vous venez de nous parler de la prohibition de la drogue. Vous y êtes opposé ?

Charles De Choiseul : Effectivement, car ce régime ne présente à mes yeux que des inconvénients. Les produits qui circulent sont vendus sur le marché noir, sans aucun contrôle sanitaire, ni sur leur composition, ni sur leur teneur en principe actif. Cela laisse la porte ouverte à tous les coupages avec des substances pas toujours très saines pour la santé et à des cultures individuelles qui augmentent notablement la densité et les effets : tout cela provoque des conséquences qui peuvent être graves pour la santé. La répression ne fait qu’encourager ces pratiques de culture individuelle. Il faut savoir que la répression s’appuie non seulement sur les amendes et les peines de prison prévues par le code pénal, mais aussi sur les amendes des douanes qui peuvent aller de 1 à 10 fois la valeur du produit sur le marché noir. Comme les drogues proviennent de l’étranger, les douanes considèrent qu’il s’agit d’importations illégales. Ce qui est étonnant, c’est bien que l’administration fiscale s’appuie sur la valeur illégale du produit pour fixer le montant des pénalités douanières. Tout moyen de transport ayant servi au trafic pouvant être confisqué, j’ai même vu un père de famille aux termes d’une transaction, obligé de racheter 30.000 F son propre véhicule après que la douane ait trouvé du shit dans les bagages de son fils !  Tout cela encourage non à l’abstinence mais à cultiver soi-même ses propres plans de cannabis. Là au moins, on ne risque rien du côté de la douane.

 

Journal de l’animation : que pensez-vous de l’argument qui préconise le maintien de l’interdiction du cannabis afin d’offrir aux adolescents un terrain de transgression qui soit le moins nocif possible : en légalisant ce produit, le risque serait alors de déplacer l’attrait de l’interdit vers des drogues dures (et donc plus dangereuses) ?

Charles De Choiseul : Je pense qu’en matière de consommation de cannabis, il faut effectivement chercher du côté de la contestation de l’autorité parentale. C’est pour des jeunes, aussi une façon de s’opposer à leur famille. Mais, il existe bien d’autres moyens de transgresser que d’avoir recours aux drogues. Je ne crois à un report qui se ferait mécaniquement vers l’héroïne ou la cocaïne qui dénotent me semble-t-il, un degré de souffrance qualitativement différent. En cas de légalisation, certains craignent, à juste titre peut-être, un effet d’emballement de la consommation. Mais, il est de toute façon illusoire de croire enrayer ce mouvement : toutes les statistiques montrent que les fumeurs occasionnels sont déjà plusieurs millions. Ce qui me fait plus peur dans le système actuel, c’est bien, la cohabitation dans les mêmes réseaux des fumeurs de cannabis et des vrais toxicomanes aux drogues dures. Ce sont parfois les mêmes dealers qui proposent de l’herbe, de l’ecstazy ou de l’héroïne, facilitant ainsi, dans certains cas, le passage à des produits plus durs. Les policiers l’ont bien compris qui prennent leurs renseignements et recrutent leurs indics en remontant ainsi les filières : du consommateur occasionnel de haschisch jusqu’aux sources d’approvisionnement. La légalisation mettrait un terme à la fréquentation de ces réseaux,  par les petits consommateurs. Mais cela priverait les policiers, par la même occasion, d’un outil de travail précieux. C’est aussi pour cela qu’ils sont opposés à toute légalisation !

 

Journal de l’animation : la répression, pour vous, ne règle donc rien ?

Charles De Choiseul : Pire, elle fait entrer dans la délinquance des gens qui n’ont rien à y faire. Dès lors, qu’un produit est illégal, pour se le procurer ou le vendre, il faut entrer dans un circuit qui va impliquer la complicité de nombreuses personnes qui vont guetter, stocker, cacher... Ces réseaux ne sont pas toujours des fréquentations idéales qui ne seraient pas sollicités, en cas de légalisation. Et puis, il y a l’emprisonnement qui entraîne le plus souvent des contacts avec des dealers d’une autre pointure. Ce peut être alors l’occasion d’une carrière délinquante... Non le système actuel ne présente que des inconvénients. Je n’y vois aucun avantage et surtout pas celui d’enrayer ni d’empêcher le problème de la toxicomanie. Pour autant, je partage la position du Syndicat des Avocats de France qui s’est prononcé contre une légalisation isolée du cannabis. La question qui se pose ne concerne pas un seul produit. En légalisant le haschisch, le risque est grand de stigmatiser encore plus les autres substances les plus dures. Le cannabis peut, à mon avis avoir le même régime que le tabac, puisque scientifiquement il a été démontré que le premier était moins nocif à tous points de vue que le second. Mais il faut aussi se tourner vers les expériences qui se déroulent tant en Suisse qu’en Grande Bretagne et qui constituent des formes embryonnaires de légalisation avec les distributions contrôlées médicalement d’héroïne. En France, cela se passe déjà pour les produits de substitution tels la méthadone ou le subutex. Il faut aussi regarder du côté des raves-parties où Médecins du Monde propose de contrôler la qualité des pilules d’ecstasy avant qu’elles ne soient consommées. Je reste convaincu qu’il faut mettre en place une stratégie globale et traiter ces questions dans leur ensemble, en articulant  les produits les uns par rapport aux autres.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°22 ■ oct 2001