Fouéré Stéphane - Risques et responsabilités

Stéphane Fouéré est avocat au barreau de Saint Nazaire. Il est spécialisé en droit social (droit du travail et droit de la sécurité sociale). Il est convaincu que la responsabilité civile ou pénale se rapprochent du quotidien des animateurs et des travailleurs sociaux en général, du fait de l’élargissement et du durcissement des cas de poursuites, avec ce que peut avoir d’infâmante une mise en examen ou une garde à vue, surtout  quand la procédure finit par ne pas reconnaître la  responsabilité du professionnel.

Journal de l’animation : Pouvez-vous nous repréciser le cadre général respectivement de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale ?

Stéphane Fouéré : la responsabilité civile peut impliquer soit une personne physique, soit une personne morale, ayant accompli des faits et gestes qui ont entraîné un préjudice à l’égard d’un tiers. Une indemnisation peut alors être décidée par le tribunal de grande instance, à partir des quantum des dommages occasionnés. Il faut noter l’introduction, en 2000, d’une nouvelle notion juridique : la responsabilité sans faute qui part du principe que toute institution ayant la garde d’un enfant engage sa responsabilité, dès lors que cet enfant commet un dommage à l’égard d’autrui, sans que le juge n’ait à établir si c’est là le résultat d’une faute. Ce n’est là ni plus, ni moins que l’élargissement de la responsabilité civile des parents qui est toujours engagée du simple fait qu’ils sont parents et ont la garde de leur enfant. La responsabilité pénale c’est autre chose. Cela concerne des faits nécessairement fautifs. Mais, la personne à l’origine de ces actes n’a pas à rendre des comptes en premier lieu à la victime, mais à répondre de ses actes devant la société. C’est le parquet qui poursuit et le tribunal correctionnel qui est amené à juger. Si les actes qui ont été commis tombent sous le coup d’une incrimination pénale dûment définie par la loi, ils peuvent entraîner une condamnation.

 

Journal de l’animation : Dans quelles conditions un animateur peut voir sa responsabilité civile mise en cause ?

Stéphane Fouéré : en cas de préjudice commis par un tiers, sa responsabilité civile ne sera pas obligatoirement engagée. L’article 1384 du code civil précise que l’on va d’abord se tourner vers celui qu’on appelle le commettant, c'est-à-dire celui pour le compte duquel le salarié travaille, le donneur d’ordre en quelque sorte. Le salarié est réputé avoir agi, jusqu’à ce qu’on apporte la preuve du contraire, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée. L’employeur peut se retourner contre lui, dans le cadre d’une responsabilité prouvée, à condition de pouvoir démontrer que s’il y a préjudice, c’est parce qu’il a outrepassé le cadre de la fonction qui est la sienne, qu’il a commis des actes manifestement fautifs ou encore qu’il a adopté des comportements personnels inadmissibles. Ce peut être le cas, par exemple, d’une blessure après qu’il ait frappé un enfant ou des dégradations dont s’est rendu coupable un groupe livré à lui-même alors qu’il aurait du le surveiller. Dans ces cas, ce sont bien les propres agissements du salarié qui seront caractérisés et incriminés. C’est sa propre responsabilité et non plus celle de son employeur qui sera mise en cause.

 

Journal de l’animation : et pour ce qui est de la responsabilité pénale ?

Stéphane Fouéré : La responsabilité pénale du salarié ne répond pas aux mêmes critères que la responsabilité civile, car c’est d’emblée les agissements personnels qui sont en cause. L’employeur peut éventuellement essayer de durcir la responsabilité de son salarié en mettant à sa charge une délégation de pouvoir, celui-ci devant nécessairement l’approuver, car cela correspond à une modification essentielle de son contrat de travail. Toutefois, une telle délégation répond à des critères très précis : on ne peut déléguer à n’importe qui, tout et n’importe quoi. Il faut que soient réunis les moyens, les compétences, le statut hiérarchique, l’autorité permettant d’exercer pleinement cette charge. Le juge possède un pouvoir souverain quant à l’appréciation de la validité et du bien fondé de cette délégation. Si elle est entérinée, c’est vers le salarié que tous les regards et les actions en responsabilités peuvent se retourner. C’est là une des manifestations de la tendance forte qui vise depuis une vingtaine d’années à personnaliser l’implication en matière pénale. Cela s’explique par la reconnaissance de la place des victimes. Pendant longtemps, elles n’ont pas été entendues, notamment en matière de pédophilie ou de viols. C’était à elles de démontrer les faits. Aujourd’hui, on les prend bien plus en compte, en pensant que le procès et l’audience constituent l’une des premières étapes de leur reconstruction. C’est pourquoi, on cherche systématiquement les personnes qu’on puisse incriminer.

 

Journal de l’animation : ne peut-on considérer que la responsabilité est partagée ?

Stéphane Fouéré : Ce serait sage, car il y a effectivement trois acteurs. En premier lieu, on trouve l’organisateur qui peut être une association ou un établissement public et qui possède une double casquette : à la fois employeur et à la fois responsable des enfants, tant auprès des familles que des organismes de tutelle (Jeunesse et sport, Dass etc …). Il doit donner tous les moyens nécessaires au salarié pour lui permettre d’agir avec efficacité. Si, par exemple un animateur est chargé de surveiller vingt enfants, il manquera à son devoir de vigilance devant l’importance anormale du public à prendre en charge. La responsabilité de l’employeur pourra être engagée. Il y a ensuite le salarié qui doit respecter la mission qui lui a été confiée. Il ne peut y déroger sauf à alerter l’employeur sur des conditions pouvant mettre en danger le public qu’il encadre. S’il ne le fait pas, sa propre responsabilité peut, à son tour, être engagée. Quant au jeune, il peut commettre des actes qui l’impliquent directement. S’il s’affranchit de l’autorité et de la garde des adultes qui sont sensés le surveiller, ni la responsabilité du commettant, ni celle du salarié ne seront mis en cause. Une partie des actes répréhensibles commis par exemple au cours d’une même nuit pourra lui être reproché, d’autres l’étant à ceux sous la garde duquel il se trouvait à ce moment-là.

 

Journal de l’animation : comment se prémunir contre les risques de voir sa responsabilité engagée ?

Stéphane Fouéré : Le juge fait une appréciation extrêmement concrète des évènements, de leur déroulement, ainsi que des précautions qui ont été prises. Ce qu’il cherche en priorité, ce sont les traces écrites du travail de réflexion autour des risques potentiels et de leur prévention. C’est pourquoi, il est important de formaliser l’ensemble des procédures au travers de fiches de postes précises qui soient parfaitement claires, définissant le rôle et les missions de chaque salarié, mais aussi au travers de circulaires précisant les prise en charge du  matin jusqu’au soir, ce qu’il faut faire s’il y a un problème, une question ou un accident, ce que le salarié a droit de faire ou pas. Sans oublier l’information des salariés quant à la responsabilité personnelle qu’il peut encourir, mais aussi des évolutions de la réglementation et des modifications dans les modes d’accueil. C’est le sentiment de flou qui donne l’impression que le risque n’a pas été envisagé et que les moyens n’ont pas été mis en oeuvre.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°61 ■ sept 2005