Dubasque Didier - Assistant Social - Educ Spé

Didier Dubasque a travaillé comme assistant social en protection de l’enfance, puis en polyvalence de secteur, Président de l’ANAS (Association nationale des assistants de service social créée en 1945), pour qui, la profession d’animateur socioculturelle n’occupe pas toute la place qu’elle mériterait.

En tant qu’assistant de service social, quelle représentation avez-vous du métier d’animateur ?

Didier Dubasque : L’animation socioculturelle m’apparaît comme une profession assez complexe. Il y a de multiples manières d’être animateur : il y a ceux qui se limitent à être producteurs de loisirs et qui sont très déstabilisés dès qu’ils sont en contact avec une situation d’enfant difficile à gérer. Il arrive parfois que ces professionnels soient tentés de se débarrasser de tout ce qui pose problème, en considérant que cela n’est pas de leur ressort. Mais, la plupart, je pense, ont développé des compétences multiples qui leur permettent d’assumer gérer les jeunes qu’ils ont en charge, y compris avec leurs difficultés. Ce qui fait qu’ils se trouvent avoir sur leurs épaules un certain nombre de responsabilités et de charges qui sont bien loin d’être reconnues en proportion de leur importance. Cette profession nécessite des capacités importantes en terme de communication que ce soit en direction des publics reçus (ce n’est pas rien de se retrouver ainsi seul face souvent à des groupes importants), mais aussi par rapport aux institutions dont ils dépendent et auprès de qui ils doivent plaider leurs projets et justifier de la gestion des budgets qui leur sont alloués. Ce n’est donc pas une simple sous-profession du travail social, mais une authentique profession qui mériterait une meilleure reconnaissance et une revalorisation. Je dis cela à partir des exemples des professionnels avec qui j’ai travaillé.

 

Vous venez d’évoquer que l’animation n’est pas une sous-profession du social : cela veut-il dire que pour vous, les animateurs sont des travailleurs sociaux ?

Didier Dubasque : Pour moi, c’est évident : l’animateur est effectivement un travailleur social qui agit sur le lien social de façon collective ou individuelle. D’abord, parce qu’en construisant des activités pour des jeunes, il a une fonction éminemment éducative. Ensuite, parce qu’il participe directement à leur socialisation, au travers de l’apprentissage de la vie en commun. Enfin, parce qu’il sert d’interface entre la commande de ses commanditaires et les demandes de son public. Si les pouvoirs publics le chargent d’un certain nombre de missions, il n’hésite pas, je pense, à faire remonter les problématiques dont il est témoin et se faire le porte-parole de populations qui n’ont pas toujours accès facilement aux décideurs. Ce sont là des dominantes qui font de lui un authentique travailleur social. Et cela quel que soit l’âge du public auprès de qui il intervient (de la petite enfance jusqu’aux personnes âgées en passant par les ados ou les adultes).

 

Avez-vous eu l’occasion de travailler avec des animateurs ?

Didier Dubasque : je ne vais pouvoir vous parler que de mon expérience personnelle que je me garderai bien de généraliser. Quand j’étais en polyvalence de secteur, nous avions fréquemment affaire aux même familles. Cela ne veut pas dire pour autant que nous communiquions ensemble systématiquement. Heureusement, d’ailleurs, pour la liberté des familles concernées qui n’apprécieraient pas que l’on soit ainsi en train de parler sur leur compte. Mais, quand il y avait une difficulté particulière, je n’ai jamais hésité à entrer en relation avec les animateurs. J’ai souvenir d’avoir pris contact avec un centre aéré qu’allait fréquenter un enfant qui posait de gros problèmes. Je voulais préparer ce séjour et éviter le risque d’une exclusion, en prévenant qu’il me semblait essentiel qu’il soit en centre aéré plutôt qu’à traîner dans la rue ou à rester dans sa famille. Il est important de préciser que les contacts que nous avons eus alors n’ont pas eu lieu par-dessus la tête de la famille et de l’enfant. Ceux-ci y ont été associés. Je pense que notre travail de collaboration avec les animateurs concerne d’abord donc les situations individuelles. Mais, les animateurs ont aussi toute leur place dans les instances qui regroupent les acteurs sociaux d’un quartier dans des actions de prévention ou de développement local, comme cela existe dans le cadre de la politique de la ville, par exemple. Encore, faut-il qu’ils aient les moyens (tout comme nous), de venir aux réunions, en fonction de leur charge de travail. C’est à leur employeur d’y veiller. Je crois que la connaissance que les animateurs ont sur les jeunes, sur leurs comportements, leurs questions et la façon dont ils vivent au quotidien, est très précieuse et constitue toute une dimension que les assistants sociaux n’ont pas.

 

Cela vous est-il arrivé d’être contacté par des animateurs ?

Didier Dubasque : Oui à plusieurs occasions. Par exemple, j’ai eu effectivement l’occasion d’être saisi par un animateur qui avait recueilli les propos d’un jeune sur une situation de maltraitance. Il était assez ennuyé, ne sachant trop quoi en faire. Nous avons pu travailler ensemble dans l’objectif de permettre de libérer la parole de ce jeune et de l’accompagner vers une démarche de soins. Cela a été d’autant plus difficile pour ce professionnel, qu’il a, par la suite, perdu son travail, son employeur lui reprochant d’être sorti de ses prérogatives. C’est là, je crois, une question centrale pour cette profession : doit-elle se contenter de proposer des activités, sans s’intéresser d’une façon ou d’une autre à ce que vit le public auquel elle a affaire ? Je ne le crois pas.

 

Il arrive q’un animateur prenne contact avec une assistante sociale qui refuse d’échanger avec lui, en prétextant qu’elle est tenue au secret professionnel...

Didier Dubasque : secret professionnel et partage de l’information, ce n’est pas la même chose. Si les usagers nous confient leurs difficultés, c’est qu’ils ont acquis la certitude que nous serons discrets sur ce que nous savons d’eux. Si nous commençons à divulguer imprudemment ce qu’ils nous disent, ils n’auront plus confiance en nous. Pour autant, nous ne sommes pas opposés à une transmission réciproque d’informations. Mais, il est essentiel que soit respecté un protocole qui peut tenir en trois points. Tout d’abord, il faut être clair sur le cadre dans lequel vont avoir lieu les échanges. L’animateur, pas plus que l’assistante sociale ne travaille en libéral. Ils dépendent d’un service et d’une hiérarchie. Les rencontres doivent avoir une dimension officielle. Ce qui n’est pas acceptable, ce sont ces échanges impromptus par téléphone ou sur le pas de la porte, ces discussions informelles où l’on parle sur les familles, de tout et n’importe quoi. Ce qui nous amène au second point : sur quoi va-t-on échanger ? Pour nous, c’est clair que l’on doit pouvoir parler uniquement sur ce qui est nécessaire à la poursuite de l’action. Enfin, troisième point : le jeune ou la famille à propos desquels on va échanger, doivent être informés qu’on va aborder leur situation. Il est hors de question de parler des gens, dans leur dos. Cela fait partie du respect minimum que l’on doit à toute personne, mais c’est aussi la conséquence d’une conception qui considère l’usager non comme un simple objet d’une relation d’aide, mais comme sujet, comme acteur de l’évaluation qui est faite à son propos. Ce n’est pas là un régime particulier qui serait destiné uniquement aux animateurs. Il faut savoir que ce protocole concerne aussi les échanges entre assistants sociaux eux-mêmes. Quand ils viennent à parler ensemble sur une situation qu’ils connaissent l’un et l’autre, ils ne se disent pas non plus tout ce qu’ils savent.

 

L’animateur est-il pour vous un partenaire privilégié ?

Didier Dubasque : l’assistant de service social ne travaille le plus souvent, jamais seul. Il est en contact selon les circonstances avec de nombreux intervenants. C’est bien plus les circonstances qui l’amènent à privilégier à tel moment, tel partenaire et tel autre, à un autre moment. Il y a une autre occasion où j’ai été en contact avec les animateurs, c’est au cours des travaux du Conseil supérieur du travail social auxquels j’ai participé. A cette occasion, j’ai travaillé avec les représentants des grandes fédérations d’éducation populaire (Céméa, Ufcv, Léo Lagrange ..., j’en oublie certainement). Cela m’a permis de découvrir la richesse et la finesse d’analyse de ces professionnels que je trouve largement sous-utilisés. On se tourne traditionnellement vers les métiers canoniques que sont les assistants sociaux et les éducateurs spécialisés et on néglige trop une profession qui elle aussi, a beaucoup à apporter et toute sa place à prendre.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal De l’Animation  ■ n°52 ■ oct 2004