Ansault Christelle - Discrimination

Christelle Ansault déléguée du groupe travail social de la Ligue des droits de l’Homme pour qui la lutte contre la discrimination nécessite une politique volontariste de prévention et d’éducation qui reste encore à inventer.

Comment se manifestent concrètement aujourd’hui  les discriminations en France ?

Christelle Ansault : Dans notre pays, tout le monde ne vit pas dans le même respect de ses droits. Si l’on est originaire par exemple du Maghreb et de l’Afrique noire, on rencontre de plus grandes difficultés qu’un autre pour accéder à un logement ou à un emploi. On peut illustrer cette réalité avec l’exemple de cet homme de nationalité sénégalaise, salarié en contrat à durée indéterminée ayant un revenu de 1300 €uros par mois, et dont un bailleur social a refusé la candidature pour « ressources insuffisantes », alors que le loyer du studio proposé était à 300 €uros ! Mais à l‘inverse, cela concerne aussi les personnes victimes de la précarité qui peuvent porter des jugements discriminatoires. Ainsi, cette famille d’origine étrangère, pour qui un jugement d’expulsion locative a été prononcé et qui a subi le harcèlement des forces de police qui voulaient les inciter à partir de leur logement, avant la fin de la trêve hivernale. Elle était persuadée que, comme le propriétaire portait un nom juif et le commissaire de police aussi, elle ne pouvait être que victime d’un complot. Je donne ces exemples, pour montrer les diverses formes de racisme et de discrimination que l’on n’a aucun intérêt à opposer, même si les réponses à y apporter sont différentes. Il ne s’agit pas de faire une sinistre comptabilité sur le nombre d’agressions ou d’injustices dont a été victime telle « communauté » par rapport à telle autre. Toutes ces formes d’agressions, d’exclusion de l’autre et de jugement à partir des origines doivent être combattues.

 

Les discriminations se limitent-elles au seul racisme ?

Christelle Ansault : La discrimination c’est, à qualité et à compétence égale, ne pas pouvoir accéder à certains droits, à cause du nom que l’on porte, de la couleur de la peau, de l’adresse où l’on habite.  L’article 225-2 du code pénal ainsi que le code du travail énumèrent très précisément toutes les caractéristiques de l’individu qui ne peuvent, sous peine de sanction, servir de prétexte à un traitement différencié : l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, les caractères génétiques, l’appartenance ou la non appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé ou le handicap. Différentes formes de discrimination sont donc reconnues par la loi et peuvent être sanctionnées. Le racisme en est une manifestation particulière. Mais bien d’autres catégories de la population peuvent en être victimes : les femmes, les handicapés, les homosexuels, les gens du voyage... Certaines personnes cumulent plusieurs de ces caractéristiques, ce qui accentue hélas les difficultés qu’elles rencontrent.

 

Pensez-vous qu’il y ait plus d’actes discriminatoires qu’auparavant ou bien est-ce plutôt notre sensibilité à leur égard qui est exacerbée ?

Christelle Ansault :  Il est difficile des mesurer l’ampleur des discriminations, parce que les statistiques ne peuvent pas prendre en compte l’origine des personnes, Mais les indicateurs concernant les discriminations sont  très liés aux critères sociaux. Ainsi, on peut évaluer l’ampleur des conséquences des discriminations : à qualification égale, les personnes d’origine étrangère et vivant dans certains quartiers ghettos, en particulier les femmes et les jeunes, sont beaucoup plus touchées par le chômage…Il y a bien certaines associations qui organisent des « testings », en adressant par exemple des CV en réponse à la même petite annonce, l’un portant un nom français, le second ayant une résonance étrangère. Au premier, on propose un rendez-vous, alors qu’au second, on répond que la place est déjà prise. Ces démonstrations prouvent l’existence des discriminations, mais ne donnent pas d’indications sur leur importance.

 

La diversité des cultures présente dans notre pays n’incite-t-elle pas au réflexe identitaire ?

Christelle Ansault : Le problème se situe bien du côté des moyens que notre société s’est donnée - ou plutôt qu’elle ne s’est pas donnée - pour faire une place aux cultures différentes. Cela se pose d’abord  dans la manière dont on stigmatise certaines populations tant au niveau des nouvelles lois sécuritaires que de la « maîtrise » de l’immigration ou encore au travers du traitement de ces questions dans les médias. Les comportements déviants qui se manifestent chez certains jeunes sont analysés à partir du prisme des événements du 11 septembre ou du conflit israélo-palestinien, ce qui les transforme en menace potentielle pour la nation. Ils seraient à l’origine de l’insécurité dans les quartiers. Ils seraient de dangereux intégristes obligeant leur petite sœur à porter le foulard et remettant en cause la liberté des femmes. Même si cela existe effectivement, il faut absolument éviter d’amalgamer toute la population concernée, comme s’il s’agissait d’un seul et même comportement. C’est pourtant ce que font beaucoup de discours stigmatisants qui portent une grave responsabilité dans le rejet que subit toute une population. Il ne faut pas s’étonner que certains citoyens soient influencés par ce cadre et ces propos, et manifestent leur peur à travers leur vote ou dans leurs comportements quotidiens.

 

Comment peut-on faire reculer de tels comportements ?

Christelle Ansault : Nous disposons d’un arsenal juridique prévoyant la sanction des comportements ou propos discriminatoires, mais il est très difficile de l’appliquer pour les personnes qui en sont victimes. Car, toute la difficulté, c’est de démontrer l’existence de ces comportements. Ainsi, on ne compte qu’une moyenne de 80 condamnations par an depuis 1995. Ce qui est également inexistant et qui devrait être mis en œuvre d’une façon bien plus volontariste, c’est une véritable politique de prévention et d’éducation sur des questions qui ne sont abordées, par exemple à l’école, que sur la base du volontariat des enseignants. On devrait y dispenser systématiquement un travail explicatif portant bien sûr, sur l’égalité des êtres humains mais aussi sur les différentes cultures, sur l’histoire des religions et tout ce qui permet de rendre l’autre bien plus familier. Instaurer le dialogue entre les jeunes permettrait de leur faire repérer ce qui les différencie mais aussi ce qui les rapproche et de faire tomber l’ignorance réciproque dans laquelle ils sont trop souvent.

 

Comment doivent réagir les animatrices et animateurs qui sont confrontés aux manifestations discriminatoires ?

Christelle Ansault : Il ne faut tomber ni dans la banalisation, ni dans la moralisation. Les bons sentiments et la sincérité ne suffisent pas pour accomplir le nécessaire travail d’éducation. Pour savoir comment réagir, il est important d’être formé pour cela. Pas forcément uniquement par des intervenants extérieurs, ce qui est déjà bien. Il peut y avoir aussi de l’auto-formation. Pourquoi pas, par exemple, sous la forme de jeux de rôle, un animateur jouant le rôle d’un jeune tenant des propos discriminatoires et les autres essayant de réfléchir comment lui répondre. S’il faut toujours reprendre ce qui s’est dit ou ce qui s’est passé, les réponses à apporter sont toujours fonction du contexte qu’il faut savoir analyser pour trouver la réaction la plus adaptée. Il faut être en mesure de faire la part des choses. Il arrive que certaines expressions soient utilisées de façon commune dans le langage courant, sans qu’elles aient forcément un arrière fond raciste. Je ne pense pas qu’il faille les laisser passer, mais pas non plus accuser celui qui les tient de racisme. Il est important alors de le faire revenir au sens du mot employé. Dans tous les cas, il ne faut pas rejeter le jeune qui tient ces discours, car on courrait alors le risque de l’y enfermer, en lui donnant en plus l’impression, s’il est puni, d’être une victime. Une des méthodes qu’on peut utiliser ce sont des ateliers d’expression sur la citoyenneté, qui permet d’organiser un débat sur toutes ces questions, en faisant attention toutefois de bien s’y préparer, afin d’être en mesure de réagir et argumenter.                                 

 

Lire : «  L’état des droits de l’Homme en France » - Edition 2004, La Découverte

                                      

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°51 ■ sept 2004