Verdier Pierre - Fil d'ariane

« Reconnaître la légitimité des familles d’enfants placés »

Pierre Verdier est Directeur général de la « Vie au grand air », auteur de nombreux ouvrages. Dans un article paru dans le n° 669, l’association « le Fil d’Ariane » était critiquée, au travers du discours de sa présidente, pour le peu de capacité qu’elle semblait manifester dans la nécessaire prise de recul face aux plaintes de familles naturelles qu’elle recueille. Cet article a suscité un certain nombre de réactions, dont celle de Pierre Naves et Pierre Verdier. Afin d’éclairer le lecteur sur cette association, nous donnons aujourd’hui la parole à Pierre Verdier.

Vous travaillez régulièrement avec l’Association LE FIL D’ARIANE : pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste son action ?

Pierre Verdier : l’association LE FIL D’ARIANE a été créée par Catherine GADOT  dont la fille a été placée à l’Aide sociale à l’enfance à l’âge de six mois et y est restée durant six ans. C’est la première et la seule association créée et fondée par un parent d’enfant placé.  Elle regroupe des familles en difficulté.

L’association s’est donné pour but :
•      d’éviter la séparation des enfants et de leur famille en accompagnant les parents lorsqu’ils sont en difficulté morale, matérielle ou psychologique
•      d’accompagner les familles pour mettre fin plus rapidement au placement de leur enfant tout en leur enlevant le sentiment de culpabilité qui les assaille
•      d’anticiper, de faire de la prévention, pour empêcher un éclatement de la cellule familiale
•      de guider les parents d’enfants placés dans leurs démarches

Pour cela, elle accueille, écoute, oriente les familles en difficulté, les accompagne, y compris physiquement dans leurs démarches à l’Aide sociale à l’enfance et chez les juges, elle sert d’interface avec les travailleurs sociaux.

Nous nous sommes rencontrés en 2001.  Ensemble nous avons écrit un petit guide :« mon enfant est placé j’ai des droits » qui a été préfacé par Ségolène ROYAL alors Ministre chargé de l’enfance et de la famille. 

Nous avons réalisé en 2001, à Bobigny, la première rencontre nationale des parents d’enfants placés, manifestation renouvelée en 2002 et préparée déjà pour le 11 octobre 2003, cette fois à Evry. Il s’y est dit des choses difficiles à entendre. Mais ce n’est pas en se fermant les yeux et les oreilles à la souffrance d’autrui que l’on pourra progresser.

Le FIL D’ARIANE agit donc sur deux niveaux : sur le plan individuel, une aide très personnalisée et sur le plan collectif, une action politique en partenariat avec l’Etat et les départements.  C’est pourquoi elle est associée à l’élaboration de plusieurs schémas départementaux sur l’enfance comme représentant des usagers.

 

Pourquoi avez-vous fermement réagi aux critiques portées contre cette association ?

Pierre Verdier : je ne peux accepter la critique ciblée de cette association accusée de montrer peu de capacité à prendre la distance et le recul nécessaires face aux plaintes qu’elle recueille. Je travaille régulièrement avec cette association qui m‘a proposé le titre de parrain que j’ai accepté comme un honneur : elle m’adresse des personnes en difficulté, et, moi aussi, il m’arrive d’en accompagner dans les services d’Aide sociale à l’enfance et chez les juges.  Je remarque au contraire sa grande lucidité d’analyse et le fait qu’elle ne prend pas systématiquement fait et cause pour les familles contre les travailleurs sociaux mais se met au contraire en recherche permanente du seul droit de l’enfant. Sans doute n’est-elle pas toujours « neutre ».  Mais qui peut prétendre l’être  ? Je préfère pour ma part l’a priori de bienveillance pour l’usager à la toute puissance administrative de jadis.

 

Le FIL D’ARIANE est-il précurseur d’un nouveau type de rapport entre les familles naturelles et le secteur médico-social : comment voyez-vous dans les années à venir la place que peut prendre ce type d’association ?

Pierre Verdier : dans plusieurs domaines les droits ont commencé à évoluer lorsque les personnes concernées ont pris collectivement la parole.  La loi 2002-2 du 2 janvier 2002 nous oriente dans ce sens.  Elle donne mission à l’action sociale de promouvoir l’autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté. Elle repose sur une évaluation non seulement des besoins, c’était classique, mais aussi des attentes de tous les groupes sociaux.  Ce qui veut dire qu’un schéma départemental qui ne reposerait pas sur une consultation directe des personnes serait désormais illégal et devrait être censuré au contrôle de légalité.  Elle affirme le droit à la dignité,  à l’intégrité, à la vie privée, à l’intimité, au libre choix, à la confidentialité, à l’information, à la participation dont l’exercice est garanti. (art. 311-3 CASF).  Celui qui se porte garant doit payer en cas de défaillance du prestataire.  Nous retrouvons là la place des associations de consommateurs, et LE FIL D’ARIANE en est, pour rechercher la responsabilité des institutions en cas de défaillance.  Comme un aiguillon : un aiguillon çà dérange mais çà fait avancer. C’est authentiquement une démarche de citoyenneté. Vous employez le terme de « familles naturelles ». Non, elles ne sont pas « naturelles », mais tout simplement légitimes et c’est cette légitimité qu’il faut leur reconnaître.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Non paru  ■ 2003