Petit Monique - Inceste

« Assurer l’autonomie financière des familles victimes de l’inceste »

La procédure de protection de l’enfance face aux situations incestueuses comporte encore quelques angles morts qui méritent d’être éclairés. Celui évoqué par Monique Petit) justifie qu’on s’y  intéresse. Monique Petit est Présidente de l’Association d’Action Educative qui assure depuis 1994, à Metz le Service d’Accès au droit : tous les mercredi après-midi une permanence est animée à tour de rôle par une trentaine bénévoles (issus des rangs du travail social et de la justice).

Il y a un aspect du drame de l’inceste auquel on ne pense pas suffisamment souvent et que vous souhaitez mettre en avant.

Monique Petit : Je dois dire, tout d’abord, que je crois beaucoup à la nécessité de faire sanctionner par la justice les agressions sexuelles que subissent les enfants. Il est fondamental que la société signifie l’interdit : c’est essentiel pour la reconstruction de la victime. Pour autant, cette même société doit se donner les moyens d’accompagner les conséquences de ces sanctions. Ainsi dans les situations d’inceste, il arrive parfois que le père, auteur des faits, soit aussi le seul à assurer l’autonomie financière du foyer. Son incarcération prive la famille de toutes ressources. L’enfant a été victime de son père. Cela nous semble, à nous, évident. Mais, il faut parfois faire tout un travail pour qu’il prenne conscience qu’il n’a aucune responsabilité dans ce qui s’est passé. Puis, vient le nécessaire accompagnement face à l’incarcération de son parent. Quand sa famille se trouve dans des difficultés inextricables, il n’est pas rare que lui soit renvoyée une grande culpabilité : « c’est à cause de toi que papa est en prison » lui renvoient alors parfois, sa mère et sa fratrie.

 

Quelles sont les conséquences pour l’enfant ?

 Monique Petit : On n’imagine pas la pression qu’il subit. Il est arrivé qu’une jeune-femme affirme en plein procès d’assises qui jugeait les actes de son père, qu’elle aurait préféré ne rien dire et continuer à subir les agressions plutôt que de les révéler et par son geste provoquer la situation de galère dans laquelle s’est retrouvée sa famille. C’est terrible à dire, mais, alors que c’était bien elle la victime, elle renvoyait le sentiment d’être responsable des difficultés considérables dans lesquelles se retrouvaient sa mère est ses frères et sœurs ( détresse financière, obligation de vendre la maison…). Ce qui m’inquiète beaucoup, c’est que nous avons reçu récemment au Service d’Accès aux Droits, à Metz, une jeune femme qui nous a révélé, sous couvert de l’anonymat, qu’elle avait subi toute sa jeunesse les agressions sexuelles de la part de son père. Elle disait avoir réussi à assumer cette période de sa vie. L’objet de sa démarche, c’était son petit frère qui était en train de vivre la même situation. Elle nous posait la question des garanties de survie financière de sa famille, au cas où elle dénoncerait son père et que celui-ci serait incarcéré : il était la seule source de revenus. Nous n’avons pas pu lui certifier qu’il y aurait un revenu de remplacement. Elle est repartie sans que nous sachions quelle serait sa décision …Il est terrible d’imaginer que cette femme soit dans l’alternative, soit mettre un terme à l’agression et plonger sa famille dans la détresse financière, soit préserver cet équilibre là tout en sacrifiant son petit frère. Certes, en ne révélant pas ce qu’elle sait, elle commet un délit punissable par la loi. Mais on ne peut rester insensible à son cas de conscience.

 

Que préconisez-vous ?

Monique Petit : Je veux être tout de suite très claire. Il ne s’agit nullement pour moi de revendiquer une quelconque clémence face à de tels crimes au prétexte que l’auteur a charge de famille. Autre précision, la situation se présente dans bien d’autres cas. Un homme condamné à de la prison, pour escroquerie ou pour un meurtre, peut, tout autant, ruiner les conditions de vie de sa famille, si, là aussi, il est sa seule source de revenus. Ce qui est particulier dans les situations d’inceste c’est que l’enfant est doublement victime, en subissant à la fois les actes de l’agresseur et les effets directs (au niveau de l’équilibre financier de sa famille) de sa révélation. Bien sûr, il y a les versements que peuvent assurer la Commission d’Indemnisation. Mais ceux-ci ne peuvent intervenir qu’après jugement et demande du temps. Cela ne règle pas le quotidien dans les mois qui suivent l’incarcération. Il y a aussi l’allocation de parent isolé qui peut être attribuée pour un an ou les allocations mensuelles d’aide à l’enfance délivrées par le Conseil Général. Mais celles-ci ne permettent pas, dans la plupart des cas, de maintenir le niveau de vie antérieur. Je pense qu’il y a un vrai problème sur lequel la société doit se pencher. Cela ne représente pas des sommes exorbitantes, mais permettraient de répondre à l’immense détresse financière qui, dans les situations que j’ai évoquées, viennent se rajouter à l’effondrement que représente pour la famille, la révélation. Cet aspect constitue aussi un moyen de reconstruction pour la victime et une façon pour la société d’assumer sa responsabilité jusqu’au bout en matière de protection. C’est, je pense, un dossier qui pourrait faire l’objet d’une attention particulière de la part de Claire Brisset, la défenseure des enfants.

 

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°605 ■ 17/01/2002