Dubasque Didier - Informatique

Une réflexion en phase avec l’évolution de la profession

Didier Dubasque, assistant social,  a participé au groupe de travail du CSTS concernant l’utilisation des nouvelles technologies dans le travail social, en tant que représentant de l’ANAS. Il nous livre aujourd’hui ses impressions sur ces travaux.

Lien social : pouvez-vous nous décrire un peu comment le groupe de travail a fonctionné ?

Didier Dubasque : Notre groupe de travail s’est réuni à partir de 1997. Nous avons donc passé trois ans à réfléchir sur les implications des nouvelles technologies pour le travail social. Au départ, c’était un objet difficile à saisir. Il nous a fallu, au cours de cette période, découvrir toutes les facettes de ces techniques que ce soit au travers des auditions, qu’en pratiquant nous-même. Nous avons dû, en plus, nous adapter aux évolutions en cours. Car les travailleurs sociaux sont actuellement dans une dynamique d’appropriation de ces nouveaux outils. Le groupe de travail a été partie prenante de cette mouvance. Dans un premier temps,  nous avons été sensibilisés par les tensions qui existent dans la profession notamment autour de l’informatisation du poste d’assistante sociale. Il y avait alors de fortes inquiétudes portant sur l’utilisation du progiciel ANIS . Certains Conseils généraux avaient commencé à constituer des typologies de populations qui pouvaient devenir discriminantes. Une telle dérive a tout de suite été dénoncée par le collectif des citoyens*. Une délibération  de la CNIL  le 13 octobre 98 a confirmé la nécessité de supprimer des typologies préétablies relatives à la nature des difficultés sociales, mais aussi les potentialités et les objectifs à atteindre dans le cadre de l’accompagnement individualisé.  Nous nous sommes aussi interrogé sur l’intérêt d’utiliser certains logiciels comme ANAIS  dans les CRAM. Nous n’avons pas, pour certains, étés convaincus de la pertinence de cet outil. Et puis, les choses ont évolué : plusieurs membres du groupe de travail ont souhaité que la mandat originel soit mieux respecté. Celui-ci était en effet bien plus large et abordait des questions plus générales telles les applications significatives et l’utilité à l’égard des bénéficiaires. Ils sont les grands absents de ce débat et nous préconisons qu’une place leur soit faite bien que nous comprenions que cela soit difficile à mettre en œuvre. C’est dans la dernière année que nous avons privilégié une approche plus positive des outils en essayant de cerner  tous les apports qu’ils pouvaient proposer.

 

Lien social : le groupe a fini par trouver un terrain d’entente...

Didier Dubasque : le rapport qui a été rendu en décembre dernier est vraiment le produit d’un consensus. Les 6 rapporteurs  et le président du groupe, Guy Romier , avons travaillé en réseau, par mail, pour écrire ou réécrire nos parties. Finalement,  nous sommes arrivés à une liste de recommandations qui ont été validées.  Nous écrivons dans le rapport que l’informatisation et les nouvelles technologies sont pour le travail social un risque et une chance. Les NTIC rappellent aux intervenants leur obligation de « réfléchir avant d ‘agir » bref, de poser la question du sens. En fait, l’outil informatique n’est qu’un support qui peut être utilisé tant pour rendre plus performant celles et ceux qui agissent en conformité avec leur éthique, mais il peut tout autant amplifier des approches moins respectueuses : tout dépend finalement de ce qu’on en fait. On ne le répètera jamais assez, ce n’est pas l’outil qui fait la qualité du travail d’où l’importance d’une formation adéquate des professionnels. Ce qui m’inquiète, c’est que les centres de formation ne semblent pas beaucoup se mobiliser pour préparer les étudiants à l’utilisation de ces techniques qui vont pourtant se généraliser et devenir incontournables dans les années à venir. Cela coûte cher en équipement, les moyens des écoles sont limités. Ceux qui apprennent à manipuler le font plus, pour l’instant, à titre personnel. Or, c’est là, justement l’un des enjeux essentiels : réussir à contrôler et maîtriser la technologie de l’informatique et des réseaux. Elle doit rester au service des professionnels et non le contraire.

 

Lien Social : quelle perception avez-vous, aujourd’hui, de l’informatique?

Didier Dubasque :  Elle constitue un très bon révélateur des pratiques. Elle nous oblige à nous reposer des questions sur nos modes de fonctionnement et le sens de notre travail qu’on avait peut-être un peu tendance à ne plus se poser avec les outils traditionnels qu’on utilisait jusqu’à présent. Nous allons aussi, sans doute, être amenés à modifier notre mode de communication en apprenant à être plus concis et en allant un peu plus à l’essentiel. Mais, je suis sceptique face au discours qui prétend que ces nouvelles technologies seraient susceptibles de réduire les inégalités dans l’accès au savoir ou aux droits. Ce n’est pas n’importe qui, qui, pour l’instant les utilise et, par exemple, surfe sur le web pour en tirer des acquis différents de ceux d’une consommation de loisirs. Pourra-t-on démocratiser cet accès  et permettre l’accès aux savoirs ? C’est ce qui reste à démontrer.

 

* Collectif pour les droits des citoyens face à l’informatisation de l’action sociale regroupe de multiples organisations dont des syndicats ( CGT, CFDT, FSU, SUD, SAF, SM, SNP…) des associations  ( Ligue des droits de l’homme, CSF…) et des associations professionnelles (ANAS, CONCASS… )

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°644 ■ 28/11/2002