Deniau Lionel - AIRe

« Nous attendons plus de la reconnaissance pour nos compétences que de la compassion pour notre engagement »

Lionel Deniau  est Directeur de l’Association « Des Amis Les Rochers » (qui gère trois IR dans la région de Rennes) et Président de l’Association des Instituts de Rééducation

Quelles sont les revendications de l’AIRe ?

Lionel Deniau : les ministères sont habitués à des demandes présentées par des associations de parents qui réclament plus de moyens. Ce n’est pas notre cas. Nous nous définissons comme des professionnels militants au service des enfants dont nous avons la charge. Notre première revendication, c’est une recherche de sens. Nous nous adressons au politique et à travers lui à l’ensemble de la société et posons la question : quelle place laissez-vous aux jeunes d’aujourd’hui ? On pose beaucoup ces temps-ci la question de la sécurité. Mais, on prend les choses à l’envers : les adultes ne sont plus capables d’assurer leur place. Les enfants ressentent bien cette insécurité et s’engouffrent dans les failles. Les plus petits ne s’entendent pas souvent dire que ce sont les adultes qui décident. Il reste à trouver la bonne distance entre l’attitude maltraitante qu’on dénonce à juste raison et le laissez faire qui place les enfants dans une position de toute-puissance. Ces deux types de comportement de la part des adultes génèrent une détresse qui pour être différente n’en est pas moins aussi destructrice. Ce n’est pas tant un discours sécuritaire qu’il faut tenir aujourd’hui, mais un discours sécurisant. Nous pensons que les troubles du caractère et du comportement sont autant d’appels à l’aide lancés par les enfants au monde des adultes qui ne sait plus adopter la bonne distance à leur égard. Nous avons ainsi demandé dans le cadre du Collectif Interassociatif Enfance et Média, auquel nous participons la suppression de toute publicité où l’enfant est présenté dans la toute puissance face à ses parents.

 

Votre démarche ne consiste donc pas à demander plus de moyens, comme pour la plupart des associations des associations défendant une population en difficulté ?

Lionel Deniau : c’est vrai que les places en IR sont très inégalement réparties sur l’ensemble du territoire : on en compte 0,75 pour 1000 habitants en région parisienne jusqu’à 3,75 pour 1000 habitants dans certains départements de la régions PACA ou Aquitaine. Mais, nous avons effectivement adopté une démarche originale puisque ce que nous réclamons ce n’est pas l’augmentation du nombre des IR (depuis 1989 ils se sont accrus de 30%), mais l’amélioration de la qualité des prises en charge que nous effectuons. Nous préférons interpeller les institutions telles la pédopsychiatrie ou l’Education nationale pour que chacun prennent ses responsabilités. Un IR est un établissement de soins à l’intérieur duquel il y a une école. Nous nous heurtons à un manque cruel de moyens humains dans ces deux domaines. Du côté des psychiatres, c’est la grande pénurie qui risque d’ailleurs d’intervenir dans tout le secteur médico-social. Depuis qu’une prime de 7.000€  par an leur a été promis s’ils restent exclusivement à l’hôpital, on n’en trouve plus qui acceptent des vacations dans nos établissements. Quant aux instituteurs, l’éducation nationale reconnaît que sur tout le territoire, il y a 7.500 postes spécialisés qui ne sont pas pourvus. Cela peut se comprendre : dans mon établissement, un gamin s’est mis un jour à contester l’affirmation de sa maîtresse selon laquelle la terre tournait autour du soleil. Comme l’adulte insistait affirmant posséder le savoir, le gosse lui répliqué qu’il voulait voir ses diplômes. Il a fini par proposer à la classe de voter pour savoir qui avait raison. On comprend que cela peut être usant au quotidien.

 

Vous vous heurtez aussi à des difficultés de recrutement des personnels éducatifs...

Lionel Deniau : Cela dépend de chaque établissement : dans certains les équipes sont stables, mais dans bien d’autres, elles subissent un turn over impressionnant. Il nous semble que pour faire face à de telles difficultés, il serait important de rendre attractif le travail en IR. Cela pourrait se faire tout d’abord par une formation complémentaire au diplôme initial, qui permettrait une préparation et une adaptation au public particulièrement difficile que nous recevons. Une fois en place, les personnels doivent se voir reconnue l’interpellation psychique et physique qu’ils subissent. Cela pourrait prendre la forme d’une meilleure rémunération, qui serait spécifique à ces postes particulièrement exposés. Mais, il faut aussi que soit reconnue dans une ligne budgétaire spécifique, le soutien apporté aux professionnels que cela s’appelle supervision ou analyse de pratique. Tout cela permettrait, nous semble-t-il, d’aider les professionnels qui se dépensent beaucoup et s’usent dans les IR, plus que partout ailleurs, à mieux vivre les désavantages liés aux investissements forts qui leur sont demandés.

 

Quelles sont vos relations avec les autorités ?

Lionel Deniau : Nous sommes en contact avec le ministère des affaires sociales. On nous y écoute avec intérêt. Mais, nous attendons surtout qu’on nous y entende. Nous cherchons à nous faire connaître, car beaucoup ne connaissent pas notre travail. Nous voulons éviter le renouvellement des tentations d’un Jacques Toubon, alors garde des Sceaux, qui avait pensé alors transformer nos établissements en Centre d’Education Renforcés ! Nous ne voulons plus de la compassion pour le travail que nous faisons, mais la reconnaissance de nos compétences.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°624 ■ 06/06/2002

 

L’A.I.R.e

Tout débute dans l’année scolaire 1995/1996, au cours de laquelle des directeurs d’établissement du Finistère puis de Bretagne se réunissent pour échanger sur leurs pratiques respectives. Constatant le manque d’une structure pouvant servir de lieu d’échange spécifique et d’interlocutrice privilégiée auprès des autorités, les statuts de l’Association des Instituts de Rééducation sont déposés fin 1995. En juin 1996 se tient la première journée d’étude. L’AIRe va progressivement attirer vers elle la moitié des établissements présents sur le territoire. L’association se définit comme un regroupement de professionnels militants cherchant à faire de la prise en compte des enfants et adolescents souffrant de trouble du caractère et du comportement, un enjeu national. A cet effet, l’AIRe interpelle régulièrement les autorités. Sa première revendication concerne le changement d’appellation des IR : la prise en compte, dans sa globalité, de la population accueillie, justifie le label Institut Thérapeutique Educatif et Scolaire. Autre demande forte : que soit mis un terme à la triple habilitation (CDES, PJJ, Conseil général) qui multiplie les financeurs au profit d’un mode de financement unifié dépendant de l’assurance maladie (comme pour les autres formes de handicap). C’est donc avec force qu’est revgendiqué le maintien des ITES dans le secteur médico-social.  Autre souci essentiel, la réaffirmation de l’importance du partenariat, notamment en ce qui concerne l’Education nationale qui peine à faire face à ses obligations de mettre à disposition les enseignants nécessaires. L’Aire s’est dotée d’un comité scientifique destiné à alimenter ses réflexions. Y participent des personnalités issues d’horizons divers : psychiatrie (professeurs Jeammet et Mises), sociologie (Michel Chauvière), Education nationale (Serge Boismare du centre Pédagogique Claude Bernard), Justice (Hervé Hamon, Président du Tribunal pour enfants de Paris), Alain  (Directeur générale de Moissons Nouvelles)...  Chaque année, l’AIRe propose un colloque qui réunit les professionnels intéressés par la réflexion et la recherche sur les troubles du caractère et du comportement ainsi que sur les pratiques pédagogiques, éducatives, thérapeutique pour y remédier : Rennes (1996 & 1997), Paris (1998), Bordeaux (1999), Nîmes (2000), Lille (2001). Prochaines journées : les 4, 5 et 6 décembre 2002, à Paris. A noter une ouverture vers l’Europe et notamment la Belgique où se tiendra les journées de 2003.

AIRe : 17 rue Monseigneur Millaux BP40 35221 Chateaubourg