Dutourd Jeanine - Délaissement parental

dans Interviews

Un enfant délaissé ne doit plus rester l’otage de ses parents

Cadre éducatif au sein d’un Conseil départemental, Jeannine Dutourd participe à l’évaluation des situations de délaissement parental. Elle nous explique comment cela fonctionne.

Quel est le rôle de cette commission à laquelle vous appartenez ?
La Commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle d'examen de la situation et du statut des enfants confiés à l’ASE a été créée par la loi du 14 mars 2016. Elle a pour mission d’étudier la situation des enfants confiés à l'Aide sociale à l'enfance depuis plus d'un an, quand il y a un risque de délaissement parental ou que le statut juridique de l’enfant va à l’encontre de son intérêt. Une attention particulière est portée aux enfants de moins de deux ans : leur situation doit être étudiée tous les six mois. Pendant longtemps, le souci des équipes était centré sur le maintien des liens de l’enfant avec ses parents. On ne s’autorisait pas à réfléchir à un avenir possible pour lui, en dehors des relations avec sa famille naturelle. Le fameux article 350 du code civil, que cette loi a abrogé, a souvent été caricaturé, quand on affirmait qu’une simple carte postale envoyée suffisait à enrayer toute procédure de remise pour adoption. Cet article parlait déjà de désintéressement manifeste de la part des parents. Mais, nous n’étions pas prêts à interpréter ce renoncement pour ce qu’il était, puisque nous pensions fondamental de préserver la relation à tout prix, aussi carentielle ou artificielle soit-elle.

Comment cette commission réussit-elle à décider ce qui est bien pour l’intérêt de l’enfant ?
C’est sa composition pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle qui permet le mieux de cerner ce que peut être cet intérêt. Le législateur a précisé dans son décret d’application du 30 novembre 2016 quels devaient être les membres de cette commission. Elle est bien sûr composée de deux représentants de l’ASE. Mais, y participent aussi un magistrat compétent en matière de protection de l'enfance, un psychologue pour enfant ou un pédopsychiatre, un représentant de la DDCS chargé des pupilles de l'État, un représentant du service des adoptions, un médecin et un membre de l’association des anciens enfants de l’ASE. Le débat est riche entre nous, chacun pouvant apporter de sa place un éclairage. En outre, la situation de l’enfant n’est pas présentée « hors sol ». C’est le référent éducatif de l’enfant et les professionnels qui l’accueillent (foyer, famille d’accueil, lieu de vie) qui viennent parler de ce qu’il vit au quotidien, de ses attachements affectifs, de ses relations avec ses parents. Ce n’est jamais la commission qui décide. Elle ne donne qu’un avis consultatif. C’est ensuite l’équipe qui accompagne l’enfant qui élabore son projet en plaçant la question de son statut au centre. La réflexion que nous proposons n’a pas pour ambition d’invalider son travail, mais de favoriser sa montée en compétence, en proposant un éclairage extérieur.
 
Comment sont sélectionnées les situations qui vont être soumise à la commission ?
Le seul critère retenu c’est celui du questionnement autour du statut de l’enfant. Chaque cadre éducatif qui anime les réunions de synthèse destinées à faire le point régulièrement sur la situation de chaque enfant confié se doit d’être vigilant sur la qualité du lien avec la famille. C’est le cas quand il y a absence ou irrégularité des relations. Mais, la question du délaissement n’est pas la seule raison pouvant être évoquée. Il est aussi légitime de s’interroger, quand par exemple le magistrat instaure des visites en présence d’un tiers pour poser un cadre protecteur pendant les rencontres avec les parents ou que l’enfant manifeste une souffrance persistante lors de ces contacts. Sont donc concernés tout autant les mauvais traitements subis, la consommation d’alcool ou de drogue des parents, des actes délictueux commis devant l’enfant ou encore un défaut de soins. Toutes ces circonstances peuvent amener à un retrait judiciaire de l’autorité parentale. Cela ne signifie pas que l’on va se précipiter pour accélérer la rupture. Ce que l’on cherche c’est à évaluer le plus précisément possible qu’est-ce qui peut être le plus psychiquement porteur pour l’enfant.
 
Cette commission n’est-elle pas finalement l’antichambre de l’adoption ?
Pas du tout. La commission délibère et donne un avis qui n’est jamais contraignant. Il n’est que consultatif. L’orientation proposée peut consister en un maintien du placement, si des liens forts ont par exemple été tissés depuis longtemps avec celles et ceux qui l’accueillent. La proposition de modification du statut de l’enfant peut aussi préconiser une admission comme pupille, à l’image de ce jeune âgé de plus de 17 ans pour qui il était important que ce ne soit pas que ses éducateurs qui affirment la défaillance de ses parents. Il attendait que l’instance judiciaire le confirme. Ce qui s’est fait à quelques jours de sa majorité. Enfin, il peut aussi y avoir un projet d’adoption. Mais ce n’est pas là la seule et unique solution. La commission est ouverte à tous les possibles.
 
Ne risque-t-on pas malgré tout de basculer dans une dérive inverse à celle vécue jusqu’à présent : au maintien des liens à tout prix d’hier succèderait la rupture systématique de demain ?
La loi est très précise en la matière. Si la justice doit vérifier que les parents « ont entretenu avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement » (nouvel article381-1 du Code civil), elle doit aussi estimer dans quelle mesure ils n’ont pas été empêchés par quelque cause que ce soit et surtout si toutes les mesures appropriées de soutien ont été prises pour les accompagner et développer leurs compétences parentales. La démonstration de délaissement s’appuyant sur la preuve apportée de la défection des parents n’est donc pas le seul élément pris en compte par le tribunal de grande instance compétent. Il faut aussi apporter les preuves attestant de la mise en œuvre des tous moyens suffisants pour éviter d’en arriver à cette demande. Il y a là des garanties juridiques pour éviter toute tentation d’arbitraire de la part de l’administration.

 

État des lieux
Une enquête a été menée en avril 2018 par Observatoire national de la protection de l'enfance, à laquelle ont répondu 79 Conseils départementaux.
-- 28 départements avaient déjà fait fonctionner un dispositif d’examen de la situation des enfants confiés à l’ASE, avant le vote de la loi du 14 mars 2016,
-- 34 étaient en train de le concevoir
-- 17 étaient dépourvus de tout dispositif et de projet de dispositif.
-- 36 sur 79 départements ont déclaré disposer d’au moins un outil, un référentiel  support ou une démarche de formation pour aider à l’évaluation de la situation de délaissement parental et/ou apprécier l’opportunité d’un changement de statut.
-- 19 sur 79 départements ont déclaré disposer de données chiffrées concernant les besoins de changement de statut, les demandes de changement de statut et/ou le traitement de ces demandes.
 
Parmi les préconisations de l’étude, on retiendra
-- la clarification des notions de « statuts » et de « délaissement »
-- la sensibilisation de l’ensemble des professionnels intervenant auprès de l’enfant confié (services sociaux, Justice, santé...) à l’approche par les « besoins fondamentaux » pour permettre des interventions harmonisées faisant consensus
-- le soutien des pratiques et l’accompagnement au changement de culture professionnelle.
 
Source : https://www.onpe.gouv.fr/system/files/publication/enquete_commissions.pdf

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1246 ■ 05/03/2019