Le Capitaine / Garrigues - Refonte des diplômes

« Cette réforme est un rendez-vous historique à ne pas manquer »

Défendre la refonte des diplômes relève d’autres motivations que la seule promotion de la marchandisation du social. Bruno Le Capitaine en fait la preuve, son argumentation est passé au peigne fin par Gabrielle Garrigue.

Quelle est la position de l'UNAFORIS sur la réforme des diplômes ?
Si au départ, elle était plutôt pour le maintien des diplômes actuels, l’UNAFORIS s’est finalement ralliée au schéma proposé par la CPC qui propose un socle commun et un diplôme par niveau, en référence au cadre européen de la certification, ainsi qu’une spécialisation correspondant aux deux grands domaines d’intervention de l’action sociale que sont le développement social et l’accompagnement éducatif. Au mois de décembre 2014, l’UNAFORIS a fait parvenir à la CPC une motion allant dans ce sens. La finalité défendue est la constitution d’une discipline professionnelle en travail social, composé par un corpus de connaissances qui lui serait spécifique. Jusqu’à présent, le travail social se situe à la confluence de multiples disciplines des sciences humaines et sociales, sans n’avoir jamais réussi (du moins en France, alors que c’est le cas dans d’autres pays) à concevoir une véritable discipline, à part entière. La création d’un socle commun serait une étape majeure dans cette direction.

Le travail social compte en France quatorze métiers différents, chacun ayant sa spécificité : en quoi cette multiplicité, dont tout le monde s'est accommodé jusqu'à présent, pose-t-elle problème aujourd'hui ?
Les quatorze métiers historiques du travail social, dont certains sont très anciens et d’autres bien plus récents, sont loin de couvrir l’ensemble du champ d’intervention de l’action sociale. Il y a aussi tous ceux qui relèvent de l’insertion sociale, de l’accompagnement social, de la médiation, de l’animation. Que faire de cette pluralité qui nuit à la visibilité et à lisibilité de l’action menée, tant du point de vue des usagers que des employeurs ou du grand public ? L’idée est de regrouper l’ensemble des compétences nécessaires pour accompagner tel ou tel public en deux ou trois axes principaux regroupant des familles de métiers. On remarque, depuis quelques années une baisse constante du nombre de candidats dans nos formations. L’une des causes est sans doute à rechercher du côté de l’enchevêtrement dans lequel on se retrouve en termes de missions et de dispositifs, ce qui a pour effet de multiplier les intervenants au risque de diluer l’action. C’est peut-être justement l’occasion de relancer la dynamique de l’intervention sociale, en simplifiant la répartition des diplômes.

Quels avantages et inconvénients aurait pour vous un travailleur social unique avec des spécialités ?
Plus que d’un travailleur social unique, il s’agirait de plusieurs travailleurs sociaux partageant un même fond culturel. La constitution d’un même corps professionnel n’implique pas de nier la spécificité de l’intervention sur un registre plus social ou plus éducatif. C’est ce que nous avons commencé à réaliser à l’ARIFTS, depuis deux ans. Dans la continuité des dernières réformes des diplômes qui organisent des domaines de transversalité, nos étudiants en formation d’assistant de service social, d’éducateur spécialisé, d’éducateur technique spécialisé et d’éducateur de jeunes enfants reçoivent déjà actuellement environ 30 % de leur enseignement en commun. Pour autant, la formation ne peut se concevoir sans que soient abordés concomitamment et simultanément le socle commun et la spécialisation. La CPC propose un taux de 40 à 50 %. Autre dimension essentielle, on parle volontiers aujourd’hui d’un accompagnement sur la globalité de l’usager. Cela implique de ne pas intervenir dans une logique de segmentation. L’approche globale peut d’autant mieux être prise en compte que l’on formera des professionnels dans cette logique d’un tronc commun.

Comment comprenez-vous la réaction d'hostilité des professions historiques du travail social ?
On ne peut les accuser de corporatisme, comme cela se fait parfois, pour la bonne raison que les différents métiers du secteur sont très loin d’être organisées dans cette logique. Seuls les assistants sociaux possèdent une organisation défendant depuis longtemps les valeurs et les intérêts de la profession. Cela tient plutôt à la difficulté de prendre conscience de l’évolution du travail social ainsi que des conditions nouvelles de l’action sociale. Il est légitime que des professions qui se sont battues pour s’ancrer dans le champ social s’inquiètent face au bien qu’on leur veut. Mais, ce serait une erreur historique de s’accrocher à une définition, à une appellation ou à une configuration, au lieu d’intégrer les métamorphoses des questions qui se posent à nous. Que demain les assistants de service social ne s’appellent plus ainsi et les éducateurs spécialisés plus ES, est-ce vraiment cela le problème ? L’essentiel, c’est bien que les usagers aient en face d’eux des professionnels bien formés, ayant du répondant.

Quel avenir voyez-vous à cette réforme ?
J’ai bien peur que ce gouvernement, qui avait pourtant demandé au départ des propositions audacieuses, ne botte une nouvelle fois en touche. Je crains que tout cela débouche sur une on réforme et qu’on ne réponde pas ainsi aux questions que l’ensemble des travaux des États généraux du Travail Social ont pu soulever. La réactivation d’une nouvelle concertation pourrait bien être les prémisses d’un enterrement. Si ce devait être le cas, cela dénoterait une grande incapacité à réformer.

Bruno Le Capitaine est Directeur général de l’ARIFTS (Association Régionale pour l’Institut de Formation en Travail Social des Pays de la Loire) et membre du Conseil d’administration de l’UNAFORIS (Union Nationale des Associations de FOrmation et de Recherche en Intervention Sociale), en tant que représentant territorial des Pays de la Loire.

Réponse de Bruno Le Capitaine à Gabrielle Garrigue

Je voudrais commencer par remercier Bruno Le Capitaine d’avoir accepté d’échanger sur cette proposition de réforme. On a tellement le sentiment d’avoir été exclu en tant que professionnels de terrain de la réflexion menée à ce propos, qu’on ne peut qu’apprécier qu’il se soit plié à cet exercice. Mais il ne fait là, après tout, que se montrer cohérent avec l’attitude qu’il a adoptée, en tant que Directeur, en permettant d’ouvrir au sein même de l’ARIFTS qu’il dirige des espaces de débat. Ce qui est très loin d’être le cas dans les autres Instituts de formation en travail social. Mais, bien entendu, cela ne signifie pas que nous partagions toutes ses positions. Notamment, quand il semble réduire les critiques que nous formulons à la seule crainte d’avoir à remplacer l’appellation de nos métiers. Notre collectif ne pense pas qu’il s’agit là simplement de changer de nom, mais craint qu’on assiste à une modification fondamentale du sens et du paradigme du travail social. La question préalable que nous pensons nécessaire de poser, avant toute réforme, c’est : quels travailleurs sociaux, pour quel travail social, pour quel projet de société ? Les différents métiers tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui sont porteurs d’un certain nombre de valeurs, de pratiques et de savoirs qui sont au cœur de leur fonctionnement quotidien. C’est de la préservation ou de la remise en cause de ce corpus original construit et affiné aux cours des décennies dont nous nous préoccupons en premier. Quand Bruno Le Capitaine évoque, ensuite, la création d’une discipline unique spécifique au travail social, nous nous interrogeons sur l’appauvrissement potentiel d’une telle réduction à un seul registre, alors que la multiplicité des champs auxquels s’abreuve aujourd’hui le travail social constitue, au contraire, une extraordinaire richesse. Le risque est bien de raboter et de niveler ce qu’il y a justement de particulier et de remarquable dans l’approche clinique, la créativité et les processus de chaque métier, pour ne laisser subsister que le plus petit dénominateur commun. Cette quête d’un savoir mutualisé et généralisable nous apparaît aux antipodes de la rencontre unique à l’autre que l’on nourrit par l’accumulation de multiples connaissances les plus diversifiées possibles, par une forte exigence sur sa pratique et par la disponibilité à la singularité de chacun. En outre, en quoi ce socle commun, qui relève plus d’une question de moyens, permettrait-il de construire cette discipline unique qui ne se décrète pas, mais qui se construit petit à petit, dans une démarche de recherche et d’élaboration sur de nombreuses années ? Au final, plutôt que d’un socle commun qui viendrait aplanir les différences de perception et d’approches des différentes spécialités professionnelles, nous pensons qu’il vaudrait mieux travailler sur la transversalité, mieux à même de préserver et d’articuler leurs richesses réciproques. Quant à l’invisibilité et à l’illisibilité de l’action sociale, qui, pour Bruno Le Capitaine, se trouvent alourdies par la démultiplication du nombre de métiers, elles se trouvent infiniment plus par aggravées ces jeunes adultes ne pouvant plus bénéficier de contrats jeunes majeurs, par ces mineurs isolés étrangers qui vivent dans la rue, par ces adultes souffrant de troubles psychiatriques non stabilisés renvoyés de psychiatrie faute de lits, par ces personnes seules ou ces familles ne trouvant pas d’hébergement parce que l’accueil d’urgence est saturé, par ces travailleurs sociaux en protection de l’enfance qui ne peuvent suivre correctement les familles parce qu’ils ont trop de prises en charge, par ces clubs de prévention qui ferment, quand dans le même temps on installe des caméras de surveillance, par ces acteurs de terrain mis en concurrence par des appels d’offre, etc… Ce n’est pas la refonte des diplômes qui répond à ces questions pourtant primordiales. Pour Bruno Le Capitaine, cette réforme permettrait de répondre à la crise que connaissent les instituts de formation dans le recrutement de leurs candidats. Ce que l’on constate, c’est que les personnes qui se présentent à ces concours d’admission ne choisissent pas au hasard de préparer tel ou tel métier. Elles savent ce qu’elles veulent et pourquoi elles le veulent. Nous ne sommes pas sûrs qu’elles seraient plus motivées, demain, à s’engager dans une formation débouchant sur une vague fonction de travailleur social généraliste, aux contours flous. Ce qui serait nécessaire, par contre, pour rendre attractives ces formations, ce serait d’abord la revalorisation les salaires et l’amélioration de la reconnaissance professionnelle. Mais aussi, la lutte contre la précarité des étudiants, passant par exemple par l’augmentation du montant des bourses ou la création d’un vrai salaire étudiant. Mais, l’on pourrait tout autant résoudre le problème de la gratification des stage, en créant un organisme indépendant qui serait chargé de leur distribution, au lieu de demander aux associations de les verser, tout en ne leur attribuant parallèlement pas les subventions correspondantes. Et puis, pour reprendre le titre de l’entretien de Bruno Le Capitaine, le rendez-vous historique à ne pas manquer serait celui de réfléchir à l’avenir d’une société et à la place qui est donnée à sa jeunesse.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1164 ■ 28/05/2015