Joseph Michèle - Clinique de concertation

Toutes les méthodologies possèdent leurs partisans et leurs détracteurs. Rencontrer ceux qui les pratiquent permet de mieux répondre aux objections et interrogations. Michèle Joseph, praticienne de la « clinique de concertation »,a bien voulu se plier à cet exercice.


Autant, l’approche de la « clinique de concertation» » semble enthousiasmer et emporter l’adhésion des professionnel(le)s qui l’expérimentent et la pratiquent, autant elle peut intriguer et questionner le candide, le déstabiliser, voire l’irriter. Certes, elle présente un certain nombre d’atouts indéniables, permettant au travail de réseau de se déployer avec efficacité et au travail social de sortir d’une posture d’expertise, se hissant au-dessus des usagers, en ignorant leurs compétences potentielles. Mais, elle laisse apparaître tout autant des inconvénients, en nombre au moins égal. Réunir un aréopage d’intervenants autour d’une famille ne comporte-t-il pas le risque de constituer un tribunal, mettant en accusation les dysfonctionnements des usagers ? A l’inverse, lorsqu’un professionnel est manifestement investi comme le mauvais objet, n’y a-t-il pas une menace sur la sérénité des échanges pouvant se transformer en stigmatisation d’un bouc émissaire ? Comment préserver le secret professionnel, si toute la vie de la famille est susceptible d’être dévoilée devant tout le monde ? Et en cas de conflit larvé ou ouvert entre intervenants, est-ce la place des usagers que de se trouver en plein milieu de leurs disputes et éventuels règlements de compte ? Autant de questions qui auraient pu être posées directement au Docteur Jean-Marie Lemaire, psychiatre belge et thérapeute familial, initiateur en 1996 de la « Clinique de Concertation ». Mais plutôt que de rencontrer un spécialiste incollable sur les tenants et aboutissants de la doctrine, le choix a été fait ici de soumettre l’une des nombreuses travailleuses sociales séduites par cette approche, au feu de ces diverses objections.

Une praticienne à l’écoute

Michèle Joseph travaille comme assistante sociale, dans un centre d’alcoologie. Certes, certaines spécificités la prédisposaient à rencontrer la « clinique de concertation ». Tout d’abord, elle possède une solide formation systémique. Ensuite, elle s’est spécialisée depuis vingt ans dans le travail à distance. Elle ne rencontre plus directement les usagers, mais propose aux intervenants un soutien sur les problématiques d’alcoolisation des publics auprès duquel ils interviennent. Le travail en réseau, elle le pratique donc au quotidien. Enfin, elle est convaincue, depuis longtemps déjà, tant de l’expertise que possèdent les usagers sur leur propre vie que sur leurs compétences à trouver des solutions à leurs difficultés. C’est une de ses collègues, elle-même en formation sur cette méthodologie qui lui en parle pour la première fois. Intéressée autant qu’intriguée, elle décide d’aller y voir de plus près. Elle s’inscrit à un séminaire de trois jours, en octobre 2007, à Auvers-sur-Oise. Cette approche, elle n’en avait jamais entendu parler, auparavant. « Je me demandais un peu si je n’allais pas me retrouver au milieu de spécialistes et ce que j’allais faire là, moi qui n’y connaissais rien ». Parmi la cinquantaine de personnes qu’elle rejoint alors, elle retrouve de collègues de l’hexagone. Mais d’autres viennent de Belgique, d’autres d’Italie, mais aussi d’Algérie, démontrant la dimension multinationale de la démarche. A son grand étonnement, aux côtés des professionnels thérapeutes ou travailleurs sociaux, se pressent aussi quelques usagers, ce qui est plutôt inhabituel dans les formations de travailleurs sociaux. Les uns semblent avoir une connaissance approfondie de la méthodologie, d’autres un peu moins. Elle peut difficilement cacher aux participants son ignorance. Elle l’explique, lors du tour de présentation qui a lieu systématiquement au début de chaque rencontre.

L’intrus

« J’allais jouer avec quelques autres le rôle de l’intrus, qui loin d’être perçu comme un frein à la réflexion commune, est considéré au contraire comme une aide à l’ouverture ». Conquise par une démarche où elle se retrouve volontiers et par des gens qui « parlent sa langue », elle décide de suivre la formation qui se déroule sur dix mois, à raison d’une journée par mois, consacrée à chaque fois à l’un des dix concepts centraux de la « clinique de concertation ». La démarche veut que l’on renouvelle le cycle de la première année une seconde fois, selon les mêmes conditions, avec toutefois une petite variante : la personne qui participe à nouveau, se doit de présenter l’un des dix concepts aux participants. « On m’a charrié, en me disant que je redoublais. Mais, ce n’est pas comme cela que je l’ai vécu : on a toujours à apprendre les uns des autres. Les échanges qui ont lieu, à chacune de ces journées, sont d’autant plus enrichissants qu’ils sont différents à chaque fois. Il y a toujours quelque chose de nouveau à entendre ». L’assemblée générale de l’AFCC (Association Française pour la clinique de concertation), se déroulant le lendemain d’une de ces journées de formation, en décembre 2009, Michèle Joseph décide d’y assister. Le Conseil d’administration cherchait des administrateurs. C’est bien volontiers, qu’elle pose alors sa candidature. Elle est élue. Son adhésion récente, son engagement enthousiaste, son expérience en faisaient la personne ressource idéale à rencontrer.

Un outil parmi d’autres

En réponse à nos questionnements, Michèle Joseph commence par préciser le domaine d’intervention de la « clinique de concertation » : « ce n’est pas une panacée qui viendrait répondre à tous les problèmes rencontrés. Cette approche est là précisément non pour régler les difficultés rencontrées par les usagers, mais bien pour aider les intervenants à travailler ensemble. Elle prend donc sa place dans toute une série d’autres outils. Elle n’en remplace aucun et surtout pas, par exemple, le colloque singulier entre le professionnel et l’usager. La « clinique de concertation » est activée à un moment donné, pour répondre à un besoin précis. Elle répond donc à une préconisation : lorsque les intervenants se retrouvent dans une impasse ». Que peut-elle dire de la situation particulière d’un usager placé au cœur d’éventuelles disputes entre professionnels ? « De toute façon, les familles les connaissent ou les pressentent déjà ces rivalités. Quand elles ne les attisent pas. Pourquoi faudrait-il les en tenir éloignées ? Alors qu’elles peuvent, au contraire, nous aider à avancer, ne serait-ce qu’en expliquant les effets que peuvent avoir, pour elles, ces dysfonctionnements » Et de rajouter comment cette clinique est élaborée. Ce ne sont pas les intervenants qui convoquent les participants, mais bien les familles qui invitent. Un professionnel rencontre un usager et fait le point sur toutes ces personnes qui se mobilisent autour de ses difficultés … et sur le blocage auquel chacun est plus ou moins confronté. Il lui propose alors de réunir tout ce petit monde, en lui demandant de fixer la liste des « invités », et de contacter toutes les personnes qui lui semblent utiles. C’est donc bien la famille qui est placée, dès le début, au centre de la démarche.

Garantir le respect

Mais, quand même, n’y a-t-il pas un risque exhibitionnisme chez certains usagers et de voyeurisme chez les professionnels assistant à ce type de rencontre ? Michèle Joseph explique que le clinicien chargé d’animer la rencontre est garant de la sécurité de chacun, rappelant l’objectif poursuivi : permettre une meilleure coordination du travail en commun. Et puis, il y a les rites qui viennent poser un cadre structurant à la rencontre. Ainsi, de la présentation réciproque, au début de chaque séance. Ce n’est jamais aux familles de commencer, mais aux intervenants. Elles terminent le « tour de table », après avoir entendu chacun expliquer qui il était et ce qu’il venait chercher là. Ensuite, il y a l’élaboration du « sociogénogramme » qui permet de situer chacun des présents (mais aussi des absents) dans l’entourage de la famille. Ces deux étapes qui prennent du temps posent un cadre implicite, créant une dynamique et impliquant chaque participant. « C’est la force du collectif ainsi créé qui préserve le mieux contre toutes sortes de dérives. Le groupe joue un rôle contenant. Il est vigilant au respect du à chacun. Il y a toujours possibilité d’exprimer son malaise ou bien son désaccord face à ce qui est en train de se jouer. Une telle intervention sera écoutée. Et accueillie positivement, car elle contribue à élargir et à complexifier le questionnement. Il reviendra alors aux participants de trouver une réponse par consensus. Quelqu’un peut, par exemple, intervenir pour dire qu’il n’a pas envie de voir aborder tel ou tel aspect de la situation. On s’arrête alors et on en débat. Rien ne passe jamais en force. Tout doit être négocié. » Il faut notamment l’accord de tout le monde, pour faire apparaître tel ou tel aspect traité lors de la rencontre dans le compte-rendu qui est adressé à chaque participant.


La « clinique de concertation » mérite sans doute mieux qu’un simple article : qu’on y aille voir de plus près . Il est possible d’y assister. Les portes sont ouvertes. Étonnant : plus on est méfiant, plus on vous ouvre les bras ! En sort-on convaincu ? Cela appartient à chacun. Mais, dès lors qu’on a commencé à échanger, dialoguer et participer à un collectif, on a déjà répondu à l’ambition de cette approche : apprendre à travailler ensemble.

Lire l'article : La « clinique de concertation »

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1036 ■ 27/10/2011