Le Moal Martine - La permanence
La permanence éducative est peut-être ce qui rassemble le plus les projets des séjours de rupture dans la diversité de leurs modalités de prises en charge. Martine Le Moal, Directrice de l’association Extra-Balle, nous explique pourquoi.
En quoi consiste la permanence dans les Séjours de rupture ?
La permanence est le caractère de ce qui est durable, la stabilité et la continuité en étant les synonymes. Nos collègues africains en parlent à leur façon : « nous sommes permanemment auprès des jeunes ». Mais il s’agit d’aller au-delà. La permanence se manifeste d’abord à travers la présence adulte. Nous sommes présents, très présents, (trop présents diraient certains) et cette présence en continu, réactive et exigeante, interpelle les jeunes. « Vous êtes toujours là, sur notre dos », « Lâchez-moi à la fin » sont des phrases que nous entendons souvent. Mais, c’est justement notre présence permanente qui les oblige à rectifier leur propre posture. Ressenti d’abord de manière insupportable par les jeunes, elle leur permet de s’accrocher à des adultes (parfois avec !), comme à des tuteurs. La permanence se situe ensuite, dans la parole. La confrontation directe de la rencontre, le quotidien partagé avec un petit groupe de personnes, un accompagnement mené dans la consistance et la durée, le face à face quotidien et quasi implacable entre les jeunes et les adultes sont propices à l’émergence progressive d’un nouveau savoir être. Peu à peu, le dialogue s’installe et l’échange devient primordial. Les jeunes découvrent le pouvoir des mots. Ils s’appliquent à remettre du sens. La permanence concerne, enfin, les lieux. Qu’il se situe en France ou ailleurs dans le monde, le lieu doit être sécurisé, repérable, suffisamment distinct de leur environnement habituel. Une expérience partagée dans un lieu qui leur est destiné, qui les accueille de la meilleure manière. Ce lieu ne correspond pas à une bulle stérile, mais à un entre-deux, un ailleurs de tous les possibles. Une fois appréhendé, il aide à l’apaisement et au ressourcement. C’est dans cet ailleurs, que les changements peuvent s’opérer.
Justement, ces changements sont-ils au rendez-vous ?
Dans nos structures, nous recevons des adolescents, filles et garçons, pour qui la contenance familiale a, le plus souvent été absente. Beaucoup d’entre eux n’ont intégré des codes sociaux, que ce qui leur permet d’obtenir des bénéfices si petits soient-ils. Ils exigent de l’argent de poche, ils affirment avoir droit à la vêture, mais ils contestent les règles de vie, ou tentent de les négocier, de les contourner. Ils bousculent les adultes, leur parlent mal. Ils ont des profils carencés, voire abandonniques, sont ballottés entre l’attirance et le rejet d’une famille dysfonctionnelle où jamais les adultes ne leur demandaient de comptes. Nombre d’entre eux ont expérimenté l’errance, des semaines de fugues, des exclusions scolaires. Pour autant, ces mêmes jeunes sont dotés d’une énergie vitale telle, que l’on ne peut être qu’admiratif. Ils démontrent des compétences et des capacités, notamment d’adaptation, supérieures à la normale. Ils possèdent des ressources et des qualités morales insoupçonnées. De l’humour, de la curiosité, de la vivacité d’esprit, un terreau inépuisable. C’est tout cela que nous cherchons à cultiver. Chaque fois, la distance est longue à parcourir pour les faire progresser. Nous ne sommes jamais certains d’y arriver. Mais nous en avons, chaque fois, de l’espoir. Nous nous retrouvons souvent face à de l’agressivité, des passages à l’acte, la souffrance qui se manifeste par la violence. Et puis, au moment du retour, certains ont réinvesti l’espace, se sont réapproprié le temps, leur temps. Ils ont été remis en selle, nous les avons renvoyé à l’école. Ils se sont apaisés. Ils ont retrouvé des envies et expriment des désirs. Ils ont appris la tolérance, ils acceptent bien mieux la frustration. Ils sont moins vides et se projettent. Ils communiquent et redécouvrent le poids et la force des mots. Ils se sont ouverts à d’autres cultures et sont redevenus curieux. Ils expriment leur désir d’apprendre. De toutes ces expériences, nous gardons l’incroyable humanité qui émerge de la rencontre avec chacun de ces jeunes.
Les séjours de rupture impliquent-il une posture professionnelle particulière ?
Nous faisons le pari de l’éducabilité. On doit le tenir. Et il tient. Il nous faut partir des possibles du jeune, tout en portant un regard bienveillant sur lui, lui laisser le droit à l’échec, puis le droit de rebondir. La cohérence des adultes est la condition essentielle de la réussite de l’action assurée. Elle doit faire valeur d’engagement. Faire avec et être avec, permet à la relation de s’engager, de personne à personne. Les adultes que nous sommes deviennent des modèles positifs d’identification. Dans le cadre des séjours de rupture, le travail social prend une autre dimension : l’engagement des personnels, voire leur militantisme, la capacité d’innovation, la réactivité et la diversité des réponses, le vivre avec dans un univers inhabituel, et plus spécifiquement l’oralité, la parole qui est notre seule arme.
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Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1079 ■ 18/10/2012