Rondeau Catherine - Le merveilleux

La portée initiatique des contes

Catherine Rondeau est titulaire d’une licence en beaux arts et d’un Master en communications. De son mémoire qui cherchait à mieux comprendre les rouages qui font constamment basculer les enfants dans le registre du magique, fondement de l’univers du conte, elle en a fait un très beau livre. Après avoir enseigné la scénarisation et la production vidéo, elle se consacre à la création visuelle.

 
JDA : D’où vient le conte ?
Catherine Rondeau : Le conte existe depuis la nuit des temps. À l’instar du mythe, il s’inspire des grandes interrogations et des peurs de l’homme primitif qui, face aux mystères de la nature, cherchait à donner sens à sa vie et aux événements. Depuis toujours, inventer des récits se veut un mécanisme salutaire contre l’angoisse. Faire des offrandes au dieu Soleil lorsque les jours se faisaient courts afin de ramener la chaleur était plus rassurant que de rester dans l’inquiétude de mourir gelé de froid. Et on trouve des similitudes entre les contes anciens issus de Les diverses cultures, parce qu’elles ont, partout, été confrontés aux mêmes craintes et questions existentielles dans un monde où tout – la succession des saisons, les naissances, les pluies, le tonnerre, etc. –, apparaissaient comme des phénomènes surnaturels.
 
JDA : Pourquoi les enfants adorent les contes ?
Catherine Rondeau : À l’image de nos lointains ancêtres, l’enfant évolue à mi-chemin du réel et de l’irréel, il tend à établir des rapports magiques entre les réalités qu’il perçoit mais dont il ignore les rouages. Le récit merveilleux, avec ses objets animés et ses métamorphoses, parle donc le même langage que lui. Au fil des ans, l’attrait du conte persiste même lorsque les frontières entre le réel et l’imaginaire deviennent plus nets. Les histoires, en abordant les grandes préoccupations de l’enfance – que sont la peur, l’ennui et le sentiment d’injustice –, aident l’enfant à composer les inquiétudes de son âge. Elles lui permettent de jouer, à distance, avec ses craintes, de soulager des pressions intérieures et de gagner en confiance. Car si le Hansel et Gretel sont abandonnés par leurs parents, si Raiponce se morfond dans sa tour, si Cendrillon est maltraitée par sa belle-mère, tous ces héros finissent par sortir triomphants de leurs épreuves. Ces récits remplissent donc une fonction de catharsis tout en aidant les garçons et les filles à entrevoir que les problèmes de l’existence peuvent toujours être résolus, qu’avec des efforts et de la bonne volonté, le dénouement heureux est aussi possible pour eux.
 
JDA : Les contes reprennent-ils des thèmes universels ou sont-ils imprégnés du contexte socio-historique dans lesquels ils ont été conçus ?
Catherine Rondeau : Les contes sont à la fois pétris de motifs ontologiques et imprégnés d’influences socioculturelles, les deux observations n’étant pas antinomiques. Au cœur du récit merveilleux, on retrouve toujours une quête, toute simple, qui interpelle l’humanité entière : la recherche du bonheur. Le fameux dénouement heureux, c’est la clé de voûte du conte. Cette initiation au bonheur passe par un certain nombre de figures narratives archétypales (l’épreuve, l’interdit, l’exil, l’opposant, l’adjuvant, etc.). Selon les époques et les sociétés, la représentation de ces éléments se teinte de réalités historiques différentes. Ainsi les histoires nées lors du grand passage de l’oralité à l’écrit en Europe entre le XVIIe et XVIIIe siècles – lesquelles ont contribué à la mise en forme de l’univers féérique tel que nous le concevons en Occident depuis –, dépeignent clairement les injustices du régime monarchique. L’iniquité sociale que l’on retrouve dans Le Petit Poucet, Le Chat Botté, La Belle et la Bête, pour ne nommer que celles-là – avec d’un côté les monarques fortunés et de l’autre les roturiers sans-le-sou – correspond de près à la vie sous l’Ancien Régime. La notion même de bonheur dans les contes s’adapte à l’Histoire. Dans les récits classiques canoniques évoqués jusqu’à maintenant, la fin heureuse est représenté par l’acquisition de richesses, voire carrément l’accession au trône par le héros initialement démuni. Cette finale optimiste renversait le rapport de sujétion réel de l’époque, offrant une forme de satisfaction imaginaire aux populations inféodées, une revanche symbolique qui a fini par fomenter les véritables révolutions… Mais dans d’autres contextes, la force émancipatrice du conte mène à des happy ends différents, quoique toujours enracinés dans un besoin de solidarité.
 
 JDA : Quelles sont les qualités valorisées par les contes ?
Catherine Rondeau : Quiconque se remémore les histoires de son enfance peut dresser un portrait sommaire des protagonistes du conte classique. Le héros est généralement beau, gentil, rusé et courageux alors que les méchants sont le plus souvent cruels, calculateurs et laids. Pourtant, il arrive que les distinctions soient moins tranchées. Peter Pan se montre impoli et vantard, Pinocchio désobéit, ment et vole effrontément. Alors, qu’est-ce qui distingue, fondamentalement, les « bons » des « méchants » dans l’univers féerique? La générosité. Le héros n’hésite jamais à partager le peu dont il dispose, à se dépouiller sans arrière-pensée, allant jusqu’à risquer sa vie pour aider son prochain. Et en retour, ce sont ces actes d’altruisme fous, véritable pierre de touche du conte, qui le sauvent des pires dangers et lui assurent un dénouement heureux. À l’inverse, l’avarice, l’avidité et la soif du pouvoir mènent toujours les vilains à leur perte.
 
JDA : Le conte s’identifie-t-il à une leçon de morale ?
Catherine Rondeau : Pas nécessairement. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, autant le conte récompense les qualités du cœur, autant il supporte mal toute tentative d’appropriation en vue d’en faire un discours moralisateur. Aussitôt qu’on essaie d’en faire l’apanage de bien penseurs, il perd de sa force. Dès que le pouvoir s’en accapare pour influencer, il perd de son attrait. Mais tel le phénix qui renaît de ses cendres, le conte réapparaît toujours, rebelle et intègre, pour défendre la quête de bonheur des hommes face à l’establishment du moment.
 
JDA : Quelle place pour le merveilleux aujourd’hui ?
Catherine Rondeau : On remarque un regain d’intérêt pour le récit merveilleux aux époques les plus sombres de l’Histoire des sociétés. Comme si l’esprit humain pressentait que pour pouvoir continuer à avancer, il lui fallait laisser libre cours à l’imagination afin d’élaborer de nouveaux chemins. Or, le temps est à nouveau enchanté. Une quantité phénoménale de contes nous arrivent depuis une vingtaine d’année par le roman fantastique et le grand écran. Et de fait, nous traversons actuellement un moment pivot pour l’humanité, une crise d’une ampleur sans précédent, une crise qui met en jeu la survie même de l’espèce. Nombreux sont les observateurs avertis qui clament haut et fort comment l’être humain doit, pour survivre, se hâter de réinventer radicalement son rapport au monde, cesser de tabler l’illusion du bonheur matériel et la croissance à tout crin. Mon analyse des contes modernes me donne à penser que les solutions passent, encore et toujours, par une plus grande solidarité fraternelle...


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Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°164 ■ décembre 2015