Fillon Jean-Marc - Théatre "L'Envol"

Des résultats à la hauteur du long investissement consenti

Jean-Marc Filon est l’un des animateurs de la troupe de l’Envol. Il nous explique ce qui a permis à cette activité théâtrale d’avoir pu perdurer pendant vingt cinq ans et ce qu’il apporte


A vingt cinq ans de distance, quel souvenir gardez-vous des débuts de votre activité théâtrale ?
Notre expérience a débuté en 1988, à l’initiative d’un éducateur aujourd’hui décédé, Jean-Marie Guignouard. Il avait su motiver plusieurs d’entre nous dans l’équipe, afin de l’épauler dans cette nouvelle activité. On peut parler d’expérience puisqu’en effet, pas un seul d’entre nous n’avait pratiqué l’expression théâtrale, avec des personnes déficientes. Nous étions seulement quelques-uns, à avoir vécu les planches, à travers le théâtre ou le chant. C’est donc timidement que nous avons abordé cette discipline, et je dois dire que personnellement, même si j’adhérais au projet, je n’étais pas encore passionné. J’avais un certain détachement, voire une certaine perplexité vis-à-vis du résultat. Nous étions loin de penser que nous pourrions faire dire du texte à nos acteurs en herbe. Au début, nous avons privilégié l’expression corporelle. Au total c’était vingt trois résidents du Foyer Hautes Roches qui devaient y participer. Le résultat, nous en avions certainement une vision différente, les uns les autres, dans l’équipe éducative. Mais, nous avions cependant le même objectif, à savoir que chaque participant prenne du plaisir sur une scène et soit mis en valeur. La « première », qui eut lieu en 1989, nous a fait ressentir pour la première fois le trac, l’excitation, les applaudissements. Même si le public était composé de familles, d’amis et donc forcément plus indulgent, nous avons pu néanmoins constater une certaine émotion. Une deuxième séance fut organisée et elle confirma ce que l’ensemble de la troupe avait ressenti lors de la première : le plaisir de jouer faisait l’unanimité. Nous même, encadrants, en avions indéniablement ressenti tout autant. Les encouragements reçus des spectateurs, lors du verre de l’amitié, nous motivèrent à poursuivre « l’expérience ».


Quels sont les facteurs qui, selon vous, vous ont permis de tenir et de réussir sur cette longue période ?
Je dirais d’abord : le temps, le long terme, la régularité de l’activité. L’audace, ensuite, la compétence et la pugnacité de l’équipe. La passion, enfin, et la volonté des acteurs. Nous n’imaginions pas, au début, la possibilité d’une telle réussite. La preuve est faite que la fibre artistique peut-être présente chez certaines personnes en situation de handicap. L’un qui n’a pas l’acquisition de la lecture et qui réalise une performance, en enchaînant des répliques, parfois longues. Lui qui dans la vie s’exprime avec quelques difficultés, sur scène, assure ses phrases comme il dit. Et puis, les autres ceux qui ont des tirades encore plus longues et ceux qui en ont que quelques-unes, des petites. Oui l’envie est là, l’envie de s’exprimer, de faire l’acteur. Et puis, au fil du temps, nous avons pu déceler, le geste, « la gueule », la présence naturelle chez certains de nos acteurs ; chez d’autres, la justesse de la voix, la capacité à mémoriser du texte, l’envie d’y arriver. Mais, s’il est bien encore un autre facteur qui est essentiel, c’est la dynamique de groupe qui nous relie toutes et tous. Nous participons, chacun à notre façon, selon nos capacités à cette activité. Il s’y passe énormément d’échanges humains. Lorsque notre structure, nos projecteurs, nos rideaux, nos décors sont en place, il y a un ressenti général de satisfaction. Pour exagérer le propos nous nous disons que c’est « magique ». Lorsque nous vivons, les uns, les autres, une semaine de tournée, nous avons l’impression d’appartenir vraiment à une troupe, une troupe solidaire, fraternelle, joyeuse. Cela peut expliquer, je crois, le fait que les acteurs tout au long de l’année, ne rechignent pas à participer aux répétitions, aux ateliers. La répétition est accrocheuse, le spectacle se construit petit à petit, l’excitation grandit. Aucun acteur ne nous a lâchés, pendant ces longues périodes. A travers ces nombreuses répétitions, j’ai pu voir le plaisir grandissant à se donner la réplique, plaisir qui se démultiplie devant un public.


Il y a le spectacle, mais aussi l’atelier théâtre qui fonctionne tout au long de l’année …
A l’atelier théâtre, là aussi pas d’absentéisme et pourtant chaque participant sait que ces séances n’ont pas pour but de créer un spectacle. Le succès de cette activité réside peut être dans le fait, que c’est un moment de relâchement. A l’atelier, on se lâche, si on veut on s’extériorise, on improvise, on rit, on éclate de rire, on gueule, on se tait, on chante, on pleurniche si il le faut, on sanglote « pour de rire », on s’amuse « pour de vrai ». C’est une activité récréative et à la fois créatrice. On joue, on invente, on ose, on se permet, on imagine, on transforme, on se transforme, on se laisse aller, on est quelqu’un d’autre, on redevient soi, on est soi. C’est aussi au cours de ces séances que nous sont apparues les qualités scéniques des uns ou des autres, l’attitude naturelle, le profil d’un personnage. Chacun des participants a pu se rendre compte, des possibilités de l’autre. Il y a reconnaissance, considération lorsque apparaît le talent chez le « plus handicapé » que soi, le plus fragile. Un regard nouveau est observé, à l’intérieur même du groupe, la confiance en soi se développe.


Qu’apporte l’activité théâtrale ?
Beaucoup à beaucoup de monde. Cette pratique permet d’abord la mise en valeur et la progression de l’adulte porteur de handicap. Le travail régulier et l’investissement des acteurs développent, le langage, la compréhension, la prononciation, l’occupation de l’espace scénique, les déplacements, la gestuelle, la synchronisation, la mémorisation de son rôle, de son texte de son accessoire. Mais si cette activité est valorisante pour l’adulte, elle l’est aussi pour sa famille. On sait la difficulté pour des familles, d’accepter le handicap de leur proche. Le théâtre témoigne que leur enfant, frère, sœur peuvent donner une image positive et peut donc aider au rapprochement. En outre, la présentation de nos spectacles permet de montrer au reste de la société que des pathologies diverses ne sont pas des obstacles à la création artistique. Participer à un atelier théâtre permet donc non seulement à chacun de s’épanouir, mais aussi d’arriver à travers cette discipline à partager, avec le monde extérieur. C’est là un support de socialisation multidirectionnel, offrant la possibilité de rencontres, de relations et d’émotions partagées entre les usagers, leur famille et le public. Le théâtre sert aussi à créer ou à conforter des échanges entre des adultes qui se voient peu. Bénéficiaires du SAVS, du Foyer d’Hébergement ou du Foyer de vie, ils n’ont pas l’occasion de se croiser souvent. Des personnes qui présentent des pathologies et des troubles du comportement assez divergents, se partagent la scène et vivent ensemble lors des tournées ou pendant les répétitions. Ce qui est enrichissant pour tous. Existent alors des attentions, des discussions qui n’auraient pas lieu dans le cadre institutionnel. Le théâtre, c’est par ailleurs un moyen de proposer un autre type de relation entre les adultes et les éducateurs moins basée sur le quotidien. Le support artistique favorise la médiation, car il y a un but commun pour tous, un résultat qui est la représentation. Même les adultes qui ne sont pas acteurs, mais qui nous accompagnent lors des tournées, ont le sentiment d’avoir participé au projet, ce qui est valorisant. Certains ont participé à la fabrication des décors, d’autres nous aident à créer l’espace scénique, d’autres encore profitent simplement de l’ambiance qui les entoure. Cela demande du temps, mais cette activité, on l’a constaté, est porteuse d’espoir.



Lire le reportage Théatre "L'Envol" (85)

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1128 ■ 21/11/2013