Vince Catherine - Jeux avec la mort

« L’information est essentielle pour faire reculer la pratique du jeu du foulard »

Catherine Vince, vice-présidente de l’« Association des Parents d’Enfants Accidentés par Strangulation » est maman d’un garçon de 8 ans, décédé suite à la pratique du jeu du foulard. Agréée par l’Éducation nationale et Jeunesse et sport, soutenue par le ministère de la Santé, l’APEAS poursuit depuis 2.000, un travail d’information et de formation sur une véritable problématique de santé publique

JDA : avez-vous une visibilité sur la progression ou la régression de la pratique du jeu du foulard, chez les enfants et les adolescents ?
On est passé d’une dizaine de mort par an, à une vingtaine. Mais, cela ne veut absolument pas dire que le nombre de victimes soit en augmentation. Le repérage du jeu du foulard se fait mieux, grâce à l’information et la formation qui se diffusent, depuis quelques années. Cela signifie que des enfants qui, auparavant étaient répertoriés comme suicidés, sont recensés comme victimes de ce jeu, ce qui en fait accroître la proportion. Les parents prennent aussi plus facilement le téléphone, pour appeler l’association. Cela pourrait donner l’impression d’une recrudescence du phénomène. En réalité, on ne sait pas si ces chiffres correspondent à une aggravation de ces pratiques ou à leur plus grande identification. Nous avons essayé d’établir des statistiques, à partir des dossiers des procureurs. Mais, on n’a pas réussi à le faire, ces informations étant trop confidentielles. On ne dispose d’aucuns chiffres officiels, d’aucune comptabilité. On se trouve dans cette situation étrange où personne n’est en mesure de pouvoir dénombrer les décès liés au jeu du foulard, aujourd’hui, en France. Nous avons aussi lancé une enquête avec l’IPSOS, en 2007. A la question posée sur ce jeu, l’équivalent d’1,5 million de personnes de plus de 15 ans ont affirmé l’avoir pratiqué personnellement et 3,5 millions l’avoir vu pratiqué par d’autres. Cette information n’a pas pu été renouvelée depuis. On ne peut donc mesurer une éventuelle évolution. Il est aussi question d’une étude épidémiologique qui devrait être menée, sous la direction du Professeur Bertrand Chevalier, chef du service de pédiatrie à l’hôpital Ambroise Paré, à Boulogne- Billancourt. Mais nous n’en savons pas plus.

JDA : y a-t-il des facteurs liés au milieu socio-économique, à l’âge, au sexe, au profil psychologique, au degré de souffrance pré existant chez l'enfant etc… qui favorisaient ces comportements ou sont-ils répartis de façon aléatoire ?
Il n’y a aucune corrélation entre la pratique de ce jeu et une quelconque catégorie socioprofessionnelle. Cela signifie que l’on va trouver des enfants victimes, dans tous les milieux de la société et qu’il n’y en a pas plus dans les populations défavorisées que dans d’autres. Très souvent, on pense que ce jeu est associé à une souffrance spécifique. Il n’en est rien. On connaît, par contre, un peu plus les caractéristiques d’âge. Quand on fait une courbe de Gauss sur la mortalité par strangulation, le pic de la cloche se situe à 11 ans. Cela signifie que la moitié des pratiquants a moins de 11 ans et l’autre moitié est âgé de 11 à 18 ans.

JDA : a-t-on pu identifier les principaux ressorts qui amènent des enfants à pratiquer le jeu du foulard : est-ce plus l’ignorance, le goût du risque, le défi face au danger ... ?
Cela dépend de l’âge. Plus les enfants sont petits, plus ils sont dans l’inconscience du risque et dans la simple répétition de ce qu’ils ont vu ou entendu raconter. Plus on se rapproche de l’âge adulte, plus on est dans une forme de conduite à risque. Dans l’étude IPSOS de 2007, à la question sur la conscience, en tant qu’enfant, du danger que cela représentait pour la santé, 52% des réponses furent négatives. Quand on fait de la prévention dans les classes, les enfants nous disent connaître les risques pris, quand on boit de l’alcool, quand on marche sur un mur à 10 mètres de hauteur, quand on courre entre les voitures ou quand on traverse devant un train. Mais, il faut voir les yeux ronds qu’ils nous font, quand on leur parle des risques du jeu du foulard. « Je ne savais pas que c’était si dangereux, tomber comme cela dans les pommes, je trouvais ça juste rigolo ». Mais, dans les motivations, il faut aussi évoquer la recherche du plaisir et de la décontraction. On s’aperçoit que c’est, parfois, un jeu qui sert à s’évader des complications de la vie. Cela concerne notamment les addicts qui peuvent pratiquer ce jeu, plusieurs fois par jour : « lorsque je jouais je ne sentais plus la douleur, je planais de bonheur »,a ainsi pu témoigner une jeune adolescente.

JDA : à trop parler de ces comportements pour les prévenir ne risque-t-on pas, au contraire, d’inciter des enfants à les pratiquer, en excitant leur curiosité ou en de les encourager à commettre un geste interdit ?
La question n’est pas aujourd’hui de savoir s’il faut ou pas en parler, puisqu’un certain nombre d’enfants et d’adolescents s’adonnent à ce jeu. Ce dont ils ont surtout besoin, c’est d’informations. Nous ne pourrons pas tout empêcher, bien sûr. Et, c’est de la responsabilité des adultes que de mettre en garde sur des pratiques qui peuvent s’avérer extrêmement dangereuses. Ce qui est étonnant d’ailleurs, c’est que dans certains établissements scolaires, 80% des enfants pratiquent le jeu du foulard, alors que dans d’autres, ils l’ignorent totalement. C’est un peu comme un foyer d’infection virale. Là où elle apparaît, il faut la traiter. Notre association ne va jamais dans les établissements où il ne se passe rien. Elle répond aux sollicitations des écoles qui lui font appel pour être aidées. En dix ans d’activité, nous n’avons jamais eu de retour négatif, nous alertant d’un éventuel effet pervers incitatif de notre intervention.

JDA : la prévention doit-elle privilégier les effets ou les causes, de la mise en acte ou ce qui en est le soubassement ?
On ne sait pas, actuellement, faire le lien entre un éventuel mal-être et la pratique du jeu du foulard. Aujourd’hui, on ne peut que traiter les effets. On n’arrive pas à privilégier une cause sur une autre, tant elles sont diversifiées. Un coup, ça va être pour épater ses copains, une autre fois pour se faire du bien, éventuellement pour se faire peur ou obtenir des sensations fortes, ou encore parce que l’on a simplement été tenté. C’est très difficile de traiter en amont, tant qu’on n’aura pas progressé, dans l’analyse de l’origine de ces comportements. Nous avons lancé une nouvelle enquête auprès de l’IPSOS, sur les motivations. Nous attendons les résultats, fin janvier 2012. Nous espérons avoir plus d’éléments de compréhension.

JDA : quelle vigilance particulière doivent adopter les professionnels de l’enfance et plus particulièrement les animateurs ?
Ils doivent d’abord se tenir informés des principaux signes d’alerte. Ensuite, il ne faut jamais qu’ils sous-estiment les effets de la pratique d’un tel jeu. Trop souvent, certains adultes ont pu dire, après coup, avoir été témoins de tels actes, mais les avoir banalisés. Enfin, il faut partager leurs suspicions avec tous les autres adultes qui gravitent autour des enfants : les professionnels, mais aussi et en premier les parents.


www.jeudufoulard.com

Lire dossier : Les jeux avec la mort

 

Jacques Trémintin - Journal De l’Animation ■ n°125 ■ janvier 2012