Le placement familial, une vieille histoire à réinventer

Denise BASS et Arlette PELE, érès, 2002, 168 p.

Le placement familial est encore trop souvent vécu comme un échec pour le professionnel, un rapt pour l’enfant et une sanction pour les parents. La séparation est fréquemment retardée, par peur qu’elle intervienne trop tôt, au risque d’intervenir dans l’urgence, quand il est trop tard. Or, s’il faut rappeler que cette décision est toujours prise sur la trame d’une violence familiale qui compromet gravement le devenir psychoaffectif de l’enfant, il faut aussi renoncer à la croyance en la naturalité du rôle de la famille et de l’innéité des attachements familiaux. Car la valeur d’un lien n’existe pas en soi : il y a des liens positifs qui fournissent un étayage rassurant et puis il y des liens négatifs qui ont surtout des effets désorganisateurs et angoissants. Les actes des professionnels sont souvent posés en fonction de leurs croyances et leur idéologie : si la famille est identifiée comme monstrueuse, ils demandent le placement, si elle s’identifie peu ou prou à l’idée qu’ils se font d’une sorte de forme idéalisée, ils hésitent et retardent à le demander. De tous temps, pourtant, les familles substitutives ont existé. De l’enfant utilisé comme caution dans le cadre d’un crédit, jusqu’aux négociations préliminaires à l’alliance matrimoniale qui amenaient au partage de la progéniture, une partie étant destinée à intégrer la famille maternelle, en passant par le fosterage, coutume irlandaise consistant à confier son fils, du sevrage à l’age de 17 ans, à une famille amie, longtemps l’enfant de la tradition, propriété du lignage, fut un bien mis en circulation selon l’usage coutumier. Bien entendu, chacune de ces modalités est solidaire d’un contexte social et historique et n’est donc pas directement transférable. D’autant que l’enfant moderne a fini par émerger comme sujet. Mais, « au moment où les familles se décomposent, se recomposent, se mono- ou s’homo-parentalisent, ce qui implique que l’enfant vit souvent avec un parent qui n’est pas son géniteur, les fonctions parentales ont à être questionnées. L’enfant placé a, lui aussi, à faire son chemin dans une sorte de famille composite, faire de parentalités partielles qu’il lui faudra combiner » (p.9) La séparation n’est pas une fin en soi, mais un moyen de réaliser un travail de différenciation entre l’enfant et ses parents, de (re)construction de son autonomie et de rétablissement de son histoire. La séparation physique peut intervenir sans qu’il y ait séparation psychique et inversement. La mission du placement familial consiste justement à définir la place de l’enfant entre sa famille de filiation (naturelle) et sa famille d’affiliation (d’accueil). Elle cherche non à répondre à l’intérêt de l’enfant, notion toujours discutable, cachant l’idée que les intervenants se font de cet intérêt, mais la solution la moins néfaste.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°669 ■ 12/06/2003