Les liens affectifs en famille d’accueil

CHAPON Nathalie, NEYRAND Gérard, SIFFREIN-BLANC Caroline, Éd. Erès, 2018, (332 p)

Ce qui a toujours dominé nos sociétés, c’est la vision anthropologique d’une famille cellule de base fondée sur des liens de filiation et d’alliance. Tout système familial n’étant qu’une construction sociale, celui-ci ne pouvait que subir l’effet des mutations contemporaines. La protection de l’enfance a suivi les mêmes évolutions. Après avoir longtemps considéré les familles en grande difficulté comme toxiques parce que ne correspondant pas à l’archétype dominant, elle a cherché à maintenir à tout prix des liens avec elles comme ultime moyen de sauvegarder la filiation. Ces deux paradigmes se heurtent, aujourd’hui, à une inversion de la norme : ce n’est plus tant la famille qui fait l’enfant, mais le contraire. D’où le glissement progressif de la parenté comme statut de droit vers une parentalité conçue comme une mission au service de l’intérêt de l’enfant. Car, si le statut de géniteur permet l’inscription dans une lignée, il ne garantit pas la capacité à assumer les fonctions de continuité et de sécurisation psycho-affective indispensables à son bien-être. Quand de telles carences menacent son équilibre, ce rôle peut être confié à des tiers. C’est le cas des familles d’accueil. L’étude sociologique, menée auprès de vingt-cinq enfants placés, montre combien leur affiliation sociale, psychique et affective se distingue de leur filiation. L’un considère que sa famille d’accueil est sa seule famille. Dix que leur famille d’accueil passe avant leur famille naturelle. Neuf les mettent sur un pied d’égalité. Quatre, enfin, ne se considèrent liés ni avec l’une, ni avec l’autre. Rejetant toute rivalité entre les multiples attachements possibles, les auteurs distinguent plusieurs cas de figure. La suppléance substitutive intervient quand la famille d’accueil remplace une famille d’origine abandonnique, absente ou trop distante. La suppléance partagée s’instaure, quand une vraie collaboration permet d’accéder à la coparentalité. La suppléance soutenante cherche bien plus à seconder un milieu familial d’origine certes présent, mais aux compétences éducatives très fragilisées. Enfin, la suppléance incertaine renvoie à une situation où l’enfant n’en a investi aucune. Bien au-delà des liens de filiation, ce qui semble surtout compter, c’est cette affiliation structurée autour d’une vie commune partagée et d’une relation d’amour réciproque.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1287 ■ 19/01/2021