Prisonniers de guerre «indigènes». Visages oubliés de la France occupée

MABON Armelle, La Découverte, 2010, 298 p.

Avant de se consacrer, en tant qu’universitaire, à la recherche historique, Armelle Mabon fut assistante sociale. C’est en travaillant sur l’action sociale coloniale, qu’elle découvrit le sort réservé au cours de la dernière guerre mondiale aux prisonniers indigènes. Quand les 540.000 hommes de l’empire français sont mobilisés pour défendre la « mère patrie », ils vont vite se rendre compte que les préjugés raciaux et le mépris de l’administration coloniale ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Europe. C’est d’abord l’armée nazie qui les traite avec une cruauté digne de sa conviction de représenter la race pure. A la différence des prisonniers métropolitains placés en captivité sur le sol allemand, les soldats indigènes sont enfermés dans 22 frontstalags en zone française occupée. Ils y vivent une discipline militaire implacable, les conditions sanitaires médiocres qui leur sont faites provoquant de nombreux décès. Le service social colonial s’évertue à leur distribuer de l’aide (denrées, tabac, savons, lessive …). Cette action n’est pas sans provoquer la plus grande méfiance de la part des autorités militaires qui soupçonnent, à juste titre, les assistante sociales d’utiliser ruse et duplicité, pour venir en aide à ces prisonniers, jusqu’à faciliter leur évasion. Certains d’entre eux entreront dans la résistance. Le personnel médical n’hésite pas, de son côté, à falsifier parfois leurs dossiers médicaux, pour favoriser leur rapatriement sanitaire. La population n’est pas indifférente, multipliant les actes de solidarité en faisant passer en fraude, dans les camps, pain, légumes et fruits. Ce régime va durer quatre ans. A la libération, l’ordre colonial reprend très vite le dessus, craignant par-dessus tout le développement d’une conscience politique remettant en cause l’exploitation des populations de l’empire. Le rapatriement s’effectue progressivement. Les soldats attendent pour le moins un minimum de considération. Devant percevoir leur solde, même quand ils sont prisonniers, ils réclament leur dû. Ne recevant que mépris et menaces, ils commencent à manifester une sourde colère, soutenus, là encore, par des assistantes sociales qui n’hésitent pas à dénoncer les dysfonctionnements. La réponse sera brutale : à Thiaroye, au Sénégal, le 1er décembre 1944, l’armée tire contre ce qu’elle considère comme une mutinerie, faisant 84 morts. Face à la revendication d’égalité, la France libre aura ainsi tenté de rétablir la croyance envers l’élite blanche. Épisode bien peu glorieux qui entache l’épopée de la libération et qui aurait pu être encore longtemps occultée, si fidèle à ses consœurs de la deuxième guerre mondiale, Armelle Mabon n’avait pas consacré son étude historique à cette question.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°981-982 ■ 15/07/2010