L’expertise sociale. La définir pour l’agir?

ROBIN Régis, Ed. Chronique Sociale, 2016, 253 p.

Mais, pour quelles raisons les travailleurs sociaux se montrent-ils donc si hostiles à se reconnaître dans cette expertise sociale qu’ils pratiquent pourtant en permanence ? L’exercice auquel se livre ici Régis Robin ne relève ni de l’apologie, ni du dénigrement, mais bien plutôt d’une analyse documentée s’appuyant tant sur une recherche conceptuelle que sur le témoignage de tout un corpus de professionnels de terrain. C’est vrai qu’il est très à la mode de s’en remettre à celle ou à celui qui est sensé-e « savoir ». Et que les intervenants, de par leur qualification, leur expérience et leurs capacités de mise en œuvre (qui cumule un savoir attesté, un savoir faire avéré et un savoir être éprouvé) ont acquis une grande habileté dans leur pratique. Pour autant, les compétences ainsi élaborées ne sont ni statiques, ni figées, encore moins reproductibles. D’abord, parce que la diversité des situations rencontrées implique une grande marge de manœuvre entre le travail prescrit et le travail réel. Ensuite, parce que l’intervention sociale est au croisement de nombreuses logiques et projets pouvant être contradictoires : celles et ceux respectivement des personnes accompagnées, des travailleurs sociaux, des institutions et de la société. Dès lors, l’action engagée ne peut qu’être incertaine et fluctuante, s’adaptant à une réalité mouvante qui évolue en permanence ; elle doit s’adapter constamment et se construire sur mesure plutôt que dans le prêt-à-porter ; elle est au croisement de multiples regards, d’approches disciplinaires complémentaires et d’une évaluation multi partenariale. Enfin, parce que le travail social se fonde sur un postulat essentiel : l’usager est un sujet de droit en capacité de faire, de prendre des initiatives et de trouver les solutions à ses propres problèmes. Son pouvoir d’agir est donc central, venant s’articuler à l’accompagnement proposé par les professionnels. Si les assistantes sociales acceptent d’endosser la fonction d’expertise, c’est pour mieux asseoir leur légitimité et leur reconnaissance. Mais, s’il s’agit d’entrer dans une dynamique de rationalisation technocratique ou de marchandisation de leur action comme seule réponse à la remise en cause de l’État providence et aux exigences de rentabilisation, elles s’y opposent farouchement. Au final, Régis Robin en appelle à abandonner le registre de la certitude bureaucratique et son discours totalisant au profit de l’inconfort créatif de la conviction. Ce sont là les fondements de l’expertise sociale qu’il revendique à la fois plurielle, collective, incertaine et citoyenne.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1209 ■ 08/06/2017