Itinéraire d’un éducateur de la première génération

Paul Bertrand, érès, 1995, 180 p.

Le récit de Paul Bertrand nous plonge dans les racines-même de l’Education Spécialisée. La seconde guerre mondiale n’est pas encore terminée que l’auteur s’engage dans la profession. Il commence par prendre pied dans une vieille Institution fondée en 1912 pour recevoir des garçons confiés par les tribunaux, l’Assistance Publique ou les familles: le Patronage de l’enfance et de l’adolescence Rollet à Paris.  Avec d’autres, il va grandement contribuer aux réformes qui font intervenir des méthodes pédagogiques actives. Puis, c’est très vite un travail de défrichage qu’il va mener en province en créant à partir de rien et de très peu de moyens financiers, une maison d’enfants dans le Lot. Les prix de journée n’existent pas alors et les subventions vont plus à la reconstruction du pays qu’à l’action sociale. Il faut bien alors se débrouiller: quêtes, spectacles, avance sur ses propres fonds permettent de faire vivre la structure. C’est bien une vie de pionnier qui nous est décrite ici: pas le far ouest, mais presque. Ce temps où les réunions des éducateurs se terminaient tard le soir par ... la prière en commun. Cette époque héroïque où quand un jeune professionnel séjournait dans la chambre d’une collègue de travail, « c’était pour y réciter le chapelet, à genoux sur le plancher et les bras en croix » (sic). Deux ans d’expérience suffisaient alors -dans une ambiance de pénurie générale de personnel d’encadrement- pour vous voir confier un poste de direction. De retour à Paris, l’auteur est chargé de la gestion du Patronage. Puis, c’est la direction de Bayonne où on lui propose d’ouvrir un centre de 40 garçons. Dès lors, Paul Bertrand va prendre toujours plus d’engagements, réussissant même à suivre des études de psychologie. Il devient un acteur infatigable du mouvement associatif. Figure marquante de la Sauvegarde de l’Enfance du Pays Basque dont il obtient la direction générale en 1964. Il participera à l’animation de l’ANEJI dès la création de cette association. Tout au long de son itinéraire, il rencontre nombre de personnalités du monde de la protection de l’enfance: Jean Chazal, Henri Joubrel, Jean Pinatel,...

La fin de sa carrière se confond dès lors avec les conseils d’administration, les congrès internationaux, les participations aux commissions d’organisme les plus divers, les interventions dans les sessions de formation ... L’éducateur devient très vite un notable. Ses mémoires sont largement imprégnées de cette destinée. Au point  que ce qui a fait le centre d’intérêt de toute une vie professionnelle, à savoir l’enfant en difficulté,  se trouve finalement très peu présent dans cet ouvrage. Il aurait été passionnant pourtant, d’avoir le regard rétrospectif, à quarante ans de distance, sur l’évolution des pratiques, des publics et des problématiques. Paul Bertrand ne se pose-t-il pas lui-même la question: « me suis-je trop laissé absorber par la seule intendance ? ».

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°327 ■ 09/11/1995