Educateur - Un p’tit boulot sans histoire

Christian ALLARD, L’Harmattan, 1997, 159 p.

Le titre choisi ici est un rien provocateur. Le contenu de l’ouvrage vient au fil des pages démentir une telle affirmation. Christian Allard n’a pas cherché à écrire une thèse ni à se lancer dans de grandes digressions. Son livre se présente plutôt comme un journal de bord égrenant évènements après anecdotes, réflexions après incidents, le quotidien d’un travailleur social de l’Aide Sociale à l’Enfance qui agit au coeur du vécu des mineurs en danger et des familles à risque.

C’est d’abord la rencontre avec  ces enfants si précoces. Ainsi, cette mère rencontrée chez elle qui interrogée sur son enfant de 3 ans: « Oh ! Il doit être sur la cité ». Ou encore, ce petit garçon de 4 ans débarquant au centre de Protection Maternelle et Infantile, son carnet de santé sous le bras: « Je viens parce que je tousse ». C’est aussi l’étonnante lucidité de ce jeune de 16 ans expliquant sa souffrance face au comportement de sa mère qui agit comme une copine: « elle est trop cool. Beaucoup trop, j’aimerais bien qu’elle soit plus sévère. » Univers des paradoxes, une autre mère se fait rassurante: « quand il fait une bêtise, je le tape sur les fesses ou avec le martinet. C’est tout ... Je la bats, mais jamais à mort. » Le professionnel est confronté quotidiennement à ces situations qui parfois donnent des sueurs froides: tel ce garçon de 12 ans courant sur le toit en terrasse d’un bâtiment. Sermonné, le gamin prend conscience des risques de chute et de fracture du crâne. La visite suivante, l’éducateur le surprend au même endroit... affublé d’un casque de moto ! Pour faire face à ces suivis, le professionnel peut s’appuyer sur des partenaires. Il y a les psys qui attendent dans leur cabinet ... la demande et la démarche volontaire du jeune ! Il y a  la hiérarchie qui devrait jouer un rôle revitalisant et dynamisant mais qui est plutôt un facteur de démoralisation en décourageant toute créativité . Il y a les internats éducatifs qui peuvent se débarrasser très vite des jeunes confiés quand ceux-ci sont trop lourds à porter. Mais l’auteur le reconnaît,  le premier travers de sa corporation, c’est la critique facile des collègues et le soupçon quant à la mauvaise qualité de leur travail. Il y a aussi ces éducateurs admirables qui s’accrochent et tolèrent les multiples passages à l’acte des jeunes les plus déstructurés comme autant de justifications au placement. Christian Allard, faisant référence à cette jeune de 18 ans qu’il avait renoncé à suivre au bout de quelques entretiens, sa problématique ne le justifiant pas et qui vient le remercier pour ce qu’il avait fait pour elle, affirme: «des fois, je me dis que les situations que l’on a le mieux traitées, ce sont celles où on a refusé d’intervenir». A cette mère agissant avec spontanéité en s’excusant de son manque d’instruction, l’éducateur spécialisé répondra qu’il a sûrement beaucoup à apprendre d’elle. Décapant et rassurant, ce petit livre qui sort des propos convenus.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°406 ■ 10/07/1997