Récits d’éduc. Des vies qui font des histoires, des histoires qui fondent des vies

Jacques LOUBET, érès, 2005, 142 p.

Jacques Loubet nous propose ici un ouvrage inspiré tant par le jeu d’écriture qu’il pratiqua longtemps que par la psychanalyse lacanienne. La première source ne le rend pas toujours simple à suivre. Quant à la seconde, elle nous confronte parfois à l’hermétisme. Ainsi, de cette fulgurance totalisante : « il n’existe qu’un seul handicap, celui de ne pouvoir dire son malheur à être au monde et dans le langage. La naissance du handicap est de ne pouvoir nommer son corps et de ne pouvoir dire les fantasmes qui le recouvrent, le handicap passe par et dans le signifiant » (p.30). On pourrait alors être tenté de refermer l’ouvrage. On aurait bien tort. Car, du haut de ses vingt cinq années d’expérience d’éducateur, l’auteur nous livre un regard rétrospectif sur un métier qu’il porte et qui manifestement le transporte encore. La validité du travail éducatif, explique-t-il, se crée dans la rencontre. La démarche du professionnel consiste à supporter ce que le jeune dépose en lui : amour, haine violence … Dans le mouvement du transfert qui s’opère alors, l’usager attribue au travailleur social une toute puissance, celle de gommer sa souffrance. L’éducateur doit faire en sorte que grâce à la relation qui se tisse, l’autre s’approprie un savoir-faire, qui lui permette de réussir son insertion sociale. Mais pour cela, il lui faut se dépouiller de toute intentionnalité et projection, en laissant chez l’autre le « je » advenir, accepter de passer du savoir « sur » au savoir « avec », remplacer la supériorité par le compagnonnage et la réciprocité. La véritable clinique, la vraie pédagogie et la seule médecine qui vaillent, continue l’auteur, résident dans cette praxis, ce « faire » dans lequel l’autre est sujet de sa propre autonomie, de sa guérison, de sa transformation et de son développement. Cette relation respectueuse ne va pas de soi. Car le travail social a du pouvoir, qu’il le veuille ou non, et il constitue le relais de la violence sociale. Ce à quoi se rajoute chez l’intervenant, la place de sa propre histoire familiale dans ce qu’il projette sur l’enfant et sa famille. Il faut, pour arriver à être là vraiment pour l’autre, se déprendre du jugement moral et se référer à l’éthique qui engage le professionnel, tant dans la parole, que dans son écriture ou dans les décisions éducatives. C’est pourquoi « il faut entre dix et quinze ans, pour être un petit peu, de temps en temps, éducateur » (p.30) C’est ce savoir-faire que l’auteur décrit largement au travers de ses rencontres avec des usagers disant leur être au monde parfois dans la folie et la destruction, mais avec qui il a cheminé malgré tout et dont il reconnaît qu’ils « lui ont aussi appris le chemin dans un voyage personnel. »

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°761 ■ 14/07/2005