Quand Je éduque les autres...

DELHASSE Guy, Couleur Livres, 2010, 85 p.

Cela fait 30 ans que Guy Delhasse travaille comme éducateur en internat éducatif. La poésie et le langage de l’âme lui permettent de se débarrasser de tout jargon professionnel. On ne trouvera pas ici de grandes théories, ni de concepts savants. Juste les mots de tous les jours, pour dire le quotidien. Jeune professionnel, il était comme tant d’autres, animé de rêves, d’idéaux, d’envies de changer le monde. Bien plus modestement, il s’est retrouvé drapé dans une bure noire et enfermé entre quatre murs d’un monastère empli d’enfants, soumis aux horaires décalés et résigné à n’avoir aucune perspective de carrière ou aucune ambition d’enrichissement personnel. Mais aucune amertume dans ces propos : bien plus qu’un simple et banal métier de production, Guy Delhasse s’honore d’exercer une fonction faite de créativité permanente utilisant comme média principale les techniques de la parole, de la communication et de l’écriture. L’auteur revisite pour nous, l’une des  questions centrales de la profession d’éducateur spécialisé : la distance avec le public côtoyé. Il décrit longuement ce qui distingue le « je » du « moi ». Le « je » est cet être de chair et de sang, adulte diplômé qui a signé un contrat de travail qui lui fixe des tâches prescrites. Le « moi » est ce qui fait de chacun un individu singulier, avec ses goûts, ses loisirs, son histoire, sa famille, sa pensée intime, son jardin secret. Le « je » est la partie professionnelle du « moi ». Illustration de cette dichotomie que l’auteur revendique et assume : la relation de séduction réciproque qui se déploie entre l’enfant et l’adulte, dans le quotidien partagé. Guy Delhasse est  catégorique : on peut aimer ses parents, sa compagne, ses enfants, mais pas ceux qu’on est chargé d’accompagner. « C’est bien le ’’ moi ’’ qui aime, pas le ’’ je ’’ » (p. 52). Et d’expliquer, avec justesse, que les mômes que nous côtoyons sont prêts à aimer et à se faire aimer par tout le monde, tant ils sont en quête d’une affection perdue ou introuvable. Mais, « pas par nous. Trop de force destructrice dans la conjugaison de ce verbe » (p.53). Oui, c’est dangereux et risqué de « conduire à l’intérieur de la beauté un être en voie d’achèvement » (p.63). Mais, comment le petit d’homme peut-il y accéder, s’il ne rencontre pas sur son chemin l’amour de celles et de ceux qui l’accompagnent au quotidien et peuvent ainsi le rassurer sur sa capacité à atteindre cette humanisation ? Il faut distinguer une adoration dévoratrice, castratrice, aliénante et un amour respectueux de la dignité et de l’intégrité de l’autre, lui répond Philippe Gaberan qui préface l’ouvrage. Guy Delhasse reconnaît, pour le moins, que la paroi qui sépare la bulle magmatique du ’’moi’’, de la mission balisée du ’’je’’ est épaisse comme le mur de papier des maisons japonaises.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°978 ■ 24/06/2010