La relation éducative. Un outil professionnel pour un projet humaniste
GABERAN Philippe, Éd. érès, 2023, 152 p.
L’ouvrage a certes été écrit il y a vingt ans. Pourtant, il n’a pas pris une ride. Son propos restitue l’ADN d’une profession aux antipodes de la marchandisation du social qui cherche à l’instrumentaliser.
S’interroger sur la nature profonde de ce qu’est un éducateur spécialisé, c’est commencer par définir ce qu’il n’est pas. Il n’est là ni pour réparer, ni pour guérir l’autre, pas plus que pour compenser ses déficiences ou le normaliser. Son action ne consiste pas non plus à utiliser des recettes pour obtenir des résultats visibles, rapides et rentables. Ceux-là mêmes qui seraient prétendument évaluables, mesurables et comparables, alors que l’efficacité n’est pas quelque chose dont la matérialisation est automatique.
Non, sa raison d’être consiste bien à promouvoir chez l’autre le passage du vivre à l’exister. A favoriser sa transition du paraître à l’être. À accompagner le déploiement de ses compétences lui permettant de faire ses propres choix au regard de ses capacités. À l’aider à devenir acteur de sa propre vie. À soutenir chez lui l’appropriation de soi par soi.
Comment y parvenir ?
Pour le savoir, Philipe Gaberan dresse le portrait de cinq personnes qu’il a accompagnées. Ce sont Jean, Luc, Marc, Madeleine ou Marie que l’on voit vivre et évoluer, souffrir et être heureux, aux prises avec leur famille, leur histoire et les professionnels qui les entourent. Mais aussi Isabelle, Sophie ou Mehdi avec qui se noue une relation affective. De quoi évoquer la trame des postures éducatives tissées pour les accompagner dans leurs rapports au travail, à l’argent, à l’amour.
Cela passe par l’acceptation d’une rencontre qui se fait avec la réalité de l’être tel qu’il est. S’il faut faire le deuil de ce qu’il ne deviendra jamais, il ne faut jamais capituler devant le devoir d’agir. Agir pour faire en sorte que la différence cesse d’être une fatalité et un facteur d’exclusion.
Ne pas réduire l’autre au prédicat qui marque son identité. Plus on lui permet d’exprimer une autre image de lui-même que celle de la pathologie dont il est atteint, plus il a de chance de ne pas s’y enfermer. Plus on lui montrera, de façon suffisamment désirable, la part d’estimable qui est en lui, plus il sera susceptible de le désirer à son tour.
Devenir provocateur de paroles et accoucheur de mots. Mais pas en posant l’injonction d’avoir à parler. Le détour, l’errance, la perte de temps et le partage sont autant de prétextes à la communication et à la confidence.
Ne pas borner la finalité de l’activité à la réalisation d’un objectif. L’essentiel de la réussite éducative tient dans le cheminement et tout ce qui a été vécu dans l’entre deux. Il est illusoire de vouloir en mesurer la portée en jaugeant la différence entre le point de départ et le point d’arrivée.
S’impliquer en tant que professionnel. Le regard que celui-ci porte constitue pour l’autre une précieuse reconnaissance. Sa façon d’être et de faire l’aide à exister. Son éprouvé et ses ressentis sont autant de témoignages d’une même humanité partagée.
Enfin, renoncer à la toute-puissance et s’exposer à la résistance d’autrui. Ce qui n’est pas pour autant un consentement à l’impuissance. L’objectif n’est pas que l’éduqué se plie à la volonté de l’éducateur. Il y a une force irréductible en chacun(e) à être soi-même et pas ce qu’un autre veut que l’on soit. N’est pas aussi intégré qu’on le croit celui ou celle qui passe son temps à faire semblant.
Ce sont là les principaux axes de la pratique éducative qui permet non à fabriquer l’autre à l’aune de ce que l’on croit bien pour lui, mais de lui permettre de se transformer. Même si l’éducateur ne peut prédire l’influence de son art sur la personne confiée, et encore moins le devenir de celle-ci à partir du seul travail éducatif accompli, c’est le chemin qui permet de mieux l’aider à trouver le sens de ce qui lui fait être-là au monde.