Dictionnaire critique de l’action sociale

Sous la direction de Jean-Yves Bareyre, Brigitte Bouquet, André Chantreau et Pierre Lassus, Bayard, 1995, 436 p.

 
Tout travailleur social est un lecteur potentiel d’ouvrages consacrés à sa problématique professionnelle. Pourtant, peu se consacre à cette activité (qui apparaît néanmoins comme un vecteur essentiel de notre indispensable formation continue). A cela au moins trois raisons repérables.  Tout d’abord, les prix pratiqués par l’édition, parfois prohibitifs et souvent inégaux (ainsi 80F pour 250 pages et 130F pour 100 pages)... mais nombre d’Etablissements et de Services possèdent une bibliothèque. Le risque ensuite, de ne pas trouver intéressant l’ouvrage acquis (la déception sera d’autant plus forte qu’il aura couté cher) ... mais il existe des critiques (dont celles de votre serviteur) qui pour subjectives qu’elles soient n’en donnent pas moins une idée du produit. Enfin, et c’est là l’obstacle principal semble-t-il, le manque de temps dans le cadre du travail pour se consacrer à la documentation professionnelle, et l’hésitation à se plonger à la fin de sa journée dans une lecture qui apportera tout sauf le dépaysement, l’évasion et la prise de distance auxquels on peut légitimement aspirer après des heures passées au contact de réalités souvent éprouvantes et parfois douloureuses.
Le dictionnaire présenté ici, possède à mon avis la particularité de répondre à chacune de ces trois objections principales.
Tout d’abord le rapport qualité/quantité/prix défie toute concurrence. Cet ouvrage constitue un utile et authentique investissement que l’on peut réaliser tant à titre individuel qu’à titre institutionnel. Avec ces 436 pages entre les mains (sur double colonne), le lecteur en a pour son argent. Qui plus est, il ne peut être déçu par cette lecture. En effet, les auteurs ont choisi de ne pas confier la réalisation de leur ouvrage à 2 ou 3 esprits éclairés avec tout le risque d’appauvrissement que l’on peut imaginer. Nous ne sommes plus, en effet, à l’époque de la Renaissance où une seule intelligence pouvait avec satisfaction rendre compte de l’état des savoirs de son époque. Ce ne sont pas moins de 124 spécialistes (dont plusieurs associations) qui ont apporté leur contribution à l’ouvrage. Cela donne une qualité et une attention dans la présentation qui ne se démentissent à aucun moment. La méthodologie suivie dans la majorité des 220 entrées est identique: définition du concept, référence étymologique, historique, puis développement sur les applications dans le domaine propre à l’action sociale, suivi d’une bibliographie succincte. Le tout dans une écriture synthétique mais claire et accessible au non-initié. Dernière objection: l’évasion. Certes ce dictionnaire ne vous parle ni d’aventure, ni d’énigme policière, encore moins d’intrigue amoureuse. Mais il vous permet d’autant plus facilement de vous replonger dans vos lectures favorites, qu’il vous apporte en deux ou trois pages maximum une réponse intelligente et concise à une problématique à propos de laquelle, il vous aurait fallu autrement consacrer 2 à 300 pages.
Et puis, ce dictionnaire, on peut l’aborder selon son humeur du moment, ou le centre d’intérêt qu’une réunion de synthèse, un échange au sein de l’équipe ou ses propres interrogations personnelles auront fait émerger. Pas nécessaire ici de commencer par la première page et d’arriver à la dernière pour comprendre un article présenté en son milieu. Chaque insertion est indépendante des autres: des corrélats permettent simplement d’approcher d’une manière pluraliste les sujets traités en renvoyant aux autres entrées concernées.
Autre avantage non négligeable, chaque auteur s’efforce d’orienter son explication non dans une logique propre exclusive à sa formation d’origine (sociologie, droit, psychologie, philosophie, économie,...) mais en rapport direct avec la cohérence de l’action sociale.
Ces notices constituent  de véritables mines d’informations. Les unes rappelleront des notions anciennement acquises et un peu oubliées. Les autres surprendront. D’autres enfin apporteront un éclairage nouveau et intéressant par rapport à des pratiques que l’on n’avait pas forcément vues sous cet angle.
 
Voici pour tenter d’allécher le lecteur un petit florilège qui n’est représentatif en fait, que d’une lecture particulière.
--   A comme Abandon. Au cours du deuxième semestre de son existence, le petit d’homme est particulièrement sensible aux changements de personnes dans son entourage propre (la disparition des figures familières peut lui donner l’impression qu’il les a détruites). Cette fragilité rend non souhaitable toute modification dans l’existence à cet âge (changement de placement ou de nourrice).
--   C comme conflit. Faut-il voir en priorité son côté négatif (désunion, opposition) ou positif (facteur d’équilibre et de progrès) ?
--   G comme Génie social. L’ingénieur social n’est pas un concept né dans ce milieu des années 1980, mais bien ... au milieu du XIX ème siècle.
--   H comme Handicap. L’étymologie provient de l’anglais « hand in the cap » jeu inventé au XVII siècle et consistant à mettre sa main dans un chapeau durant le déroulement de la partie.
--   M comme Mandat ou Mission. On utilise facilement le premier pour le second. Dans le social, le Mandat ne concerne en fait que le domaine strictement juridique: une mesure de justice est alors prise pour décider de l’intervention dans une famille. Toute autre action sociale relève de la Mission conférée par un texte législatif, une Institution habilitée
l’Etat ou un Diplôme professionnel.
--   P comme Parrainage. Il peut être religieux, laïc ou social. Cette dernière catégorie comporte une dimension internationale (financer l’éducation, les études et la    santé d’un enfant du tiers-monde) mais aussi locale (recevoir un enfant placé en établissement sur des week-ends ou des vacances).
--   R comme Référent. A la fois au coeur du réseau relationnel, le travailleur social exerçant cette fonction est aussi médiateur et tiers extérieur pour l’enfant, sa famille et les structures d’accueil.
--   T comme Thérapie familiale (systémique, comportementaliste ou psychanalytique), comme T.I.G. ( dont l’origine vient bien du « travail correctif » mis en place dans la Russie révolutionnaire de 1917), comme Transfert (à l’oeuvre dans toute relation d’aide et d’accompagnement) ou Toxicomanie (à distinguer de Drogue ou de Psychotrope).
--   U comme Usure professionnelle. L’épuisement physique, psychique et émotionnel du travailleur social se traduit par la dégradation de la qualité des rapports établis avec ceux qu’il faut aider. Cela peut aller jusqu’à une certaine déshumanisation de la relation.
Ce dictionnaire constitue un outil à la portée de toutes et de tous: les étudiants comme les chercheurs, les jeunes professionnels comme les travailleurs sociaux expérimentés. Conçu comme un instrument évolutif, les éditions ultérieures devraient permettre une réactualisation correspondants aux inévitables mutations à-venir.
S’il n’y avait qu’un ouvrage à se procurer, c’est bien celui-ci qu’il faudrait privilégier.
 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°366 ■ 26/09/1996